Stèles

A André Blanchard

A Jacopo

Au peintre Jean Martineau

A Louis Chaigne (1)

A René Héner

A Jean Rivière

A Louis Chaigne (2)

A Edmond Humeau

A Dom Sortais

A Marie Chaigne

A Patrice de La Tour du Pin

Au poète André Berry

A René-Albert Charrier

Patrice,-

A Louis Chaigne (3)

( René-Albert Charrier)

A Victor Maheu

Complainte pour un frère mort

A Marthe-Claire Fleury

A Michel Manoll

A l'âme des vendéennes...

A mon père

(Les petits enfants du sommeil)

A Pierre Adeline

Tombeau d'une mère

 

A ANDRÉ BLANCHARD

 

Ainsi, le jour n'est plus où tu étais vivant,

Impatient désir d'espace inaccessible !

Intelligence au bord des cimes, soulevant

Poussière de soleil ! O force inextinguible

De l'esprit d'ombre en ciel superbe décrivant

Sa course d'or déjà vers l'Absolu pour cible,

Dont s'afflige pourtant quelque soupir rêvant ! -

Insondable matière où l'âme frémit toute !

Voici ton sel, ton sang, ta flamme et ta déroute,

Et ta larve amoureuse d'herbe et de poison !

Mais, à travers l'horreur des masques et du doute,

Comme, au-delà de toute courbe, hors saison,

S'immobilise l'éclat pur de l'Astre, écoute

L'Eternité surgir du fond de ta raison !

 

 

A LOUIS CHAIGNE(1)

 

Aussi longtemps que ta mémoire

Surnagera dans l'univers

Par la présence dérisoire

Mais forte contre les hivers

De ce qu'il reste pour y croire

Dans le silence de tes vers,

Se rejoindront dans le temps même

Qui nous enserre et hors du temps,

Cette âme d'or que le vent sème

Au coeur de quelques survivants

Et celle-là déjà que j'aime

Et qui s'inscrit comme un poème

Dans le plus clair des jours levants.

 

 

A LOUIS CHAIGNE (2)

 

Pour la première fois depuis votre silence,

Voici que je reviens fidèlement vers vous,

Chère Ame, dont le poids secret de la souffrance

Me fut un réconfort incomparable et doux.

Se peut-il que d'un feu qui brûla dès l'enfance

De toutes les ardeurs du plus beau jour levant,

Il ne reste aujourd'hui que la seule présence,

Au fond du souvenir, d'un peu de cendre au vent ?

S'il fut vraiment une âme à nulle autre pareille

Sur ces flots qui du temps roulent vers d'autres bords,

Votre plus fier destin brusquement appareille

Et s'échappe déjà du royaume des morts ;

Il s'élance au-devant des étoiles nouvelles

D'un ciel que vous aviez pour toujours entrevu

De ce regard plongeant dans les choses mortelles

Pour mieux y retrouver le Paradis perdu ;

Et rien n'arrêtra sa course dans l'espace

Par-delà le désert des dominations

D'un monde reniant de l'éternelle Face

Ce qu'il peut en saisir encore de rayons,

Sans que vienne jamais nulle terrestre entrave

Troubler ce qui n'est plus que pur cheminement

De flamme et de désir inexprimable et grave

De l'âme libre enfin de tout mortel tourment,

Vers cette ultime cîme où toute soif s'apaise

En la sérénité vivante du seul jeu

Qui vaille que le coeur devienne comme braise

A fondre de tendresse immense cette glaise

De l'être qui défaille au sein de la fournaise

De l'unique splendeur brûlante de son Dieu !

 

 

A

 

LOUIS CHAIGNE (3)

 

 

Ah! dites-moi, très cher Louis,

De votre coeur quel est le songe

Par-delà tous les aujourd'huis

Et quel miracle en vous prolonge

Ce Jour plus calme que vos nuits, -

Tandis que mon silence plonge

En cet espace aux sombres fruits

D'une tristesse qui me ronge

Au pur secret des jours détruits?

 

 

A MARIE CHAIGNE

 

Ton visage attentif au souffle de la mort

Traversait la mémoire en des songes funestes ;

De la vie égarée en l'âme les seuls restes

Semblaient flotter vers l'ombre calme comme un port. -

Mais ton être déjà, dans son ultime course,

Secrètement baigné des lumières d'en haut,

S'abreuvait d'une soif tranquille à cette source

Dont la fraîcheur dans l'âme coule comme l'eau.

Tu n'attendais plus rien des choses de la terre;

Ton regard s'enfuyait de nous comme d'un sort

Qui t'aurait empêché d'atteindre à ce mystère

Que tu voyais en toi briller comme de l'or;

Et tu laissas tomber d'une main tutélaire

Un peu de ce trésor que ton Amour du Roi

Sut garder sans regret ni plainte pour nous plaire,

Quand notre âme - au milieu de l'ombre - meurt de froid !

 

 

A RENÉ HÉNER

 

En ce moment où l'âme se consume

De ne pouvoir lutter comme il faudrait

Contre ce coeur qu'un mal profond résume

Au battement d'un coup qui le romprait;

A travers l'ombre où le destin s'abreuve

De trop de sang reflué nuit et jour

Jusqu'à ce que la forme la plus neuve

De ce grand corps se lève sans retour ;

A la limite extrême de la houle

Où l'être entier désormais se revêt

De ce bruit fou, cette rumeur de foule

Dont à l'insu de soi-même il rêvait;

Quand tout s'efface et que plus rien ne dure

De ce qui fut l'espoir des lendemains

En cet étrange flot de démesure

Du seul instant qui reste dans les mains ;

Lorsque la mer immense mais promise

Se dresse toute, en des secrets tourments,

Pour ébranler, dans leur mortelle assise,

L'âme et le corps, plus que jamais amants ;

Et qu'à la fin, lasse de lutte atroce,

L'âme soudain se retire du corps,

Pour n'aimer plus, après si longue noce,

Mais libre d'eux, qu'abîme et membres morts ;

Dans le silence aveugle de la terre

Où le néant frappe de grands coups sourds,

Une autre force alors que rien n'altère

Envahira les formes sans contours,

Délivrera ce monde d'un mystère

A nos regards fermé comme une tour,

Et soulevant encore la poussière

De tant d'ivresses mortes à leur tour,

Comme d'un feu de vérité plénière,

Exaltera, dans sa splendeur dernière,

La créature offerte à la lumière

De l'insondable espace de l'Amour !

 

 

A DOM SORTAIS

En son Ermitage de haute Soif d'Ame de "Bellefontaine"!

 

Alors que l'ombre immense et folle et ressemblant

A de la mort vivante en la forêt obscure

De notre âme perdue au fond d'une aventure

Où nous n'avancions plus, ensemble, qu'en tremblant,

Nous déchirait le coeur d'inexprimable épure,

Vous passâtes, ainsi que la vision pure,

- D'une superbe, haute et fulgurante allure,

Avec ce mouvement extrême d'une bure

Qui vous drapait le corps comme dans une armure, -

D'un Ange enveloppé dans un grand manteau blanc !

 

 

 

A JACOPO

 

A Michel Poissenot, -

pour son drame,

du même nom.

 

Dans un ricanement d'enfer

Et qui déchire de douleur

Inexprimable sous le fer

Ton âme vive de pâleur,

Vois, Jacopo, dans ce désert

De meurtre ultime, de malheur

Où tu détruis, d'un geste amer,

La course folle de ton coeur,

Surgir, en la clameur de l'air,

Cette semence du meilleur

De ton silence, quand ta chair

Encore pleinr de fureur

S'effondre, en un désastre clair,

Au plus profond de la rumeur

De cet immense gouffre offert

A toute force d'ombre, - et meurt !

 

 

A MICHEL MANOLL

 

Un peu d'ombre sur tes mains blanches ;

La couleur du jour se défait ;

Il n'est plus de feuilles aux branches,

Ni de ciel bleu sur les pervenches ;

Mais lorsque vers le coeur tu penches

Cette clarté dont il rêvait,

Par ces mots purs en avalanches

Du tendre éloge le plus vrai, -

Malgré la fin des beaux Dimanches

Et du soleil dans la forêt,

C'est toi, l'Ami des larmes franches,

Qui, dans un songe, m'apparaît !

 

 

 

AU PEINTRE JOSEPH MARTINEAU

 

Les présents du jardin, l'ombre du four, la porte,

Les objets familiers entrent dans mes yeux froids ;

Me livre son secret le songe que tu portes :

"Apprends à regarder les choses que tu vois !"

-

Martineau, tes tableaux sont exempts d'amertume :

Tes verts, tes gris se rient des angoisses du sort,

Cependant dans tes ors quelle tristesse allume

L'Art, non moins que la Vie, et l'Amour, et la Mort !

 

 

 

A MARTHE-CLAIRE FLEURY

 

Marthe-Claire, devant vos yeux

Qui brûlaient d'impuissantes larmes,

Mon coeur, de douleur furieux

De voir vos tragiques alarmes,

Ne pouvait rien faire de mieux,

A l'heure ultime des adieux,

Que de vous présenter les armes !

 

 

 

A RENE ALBERT CHARRIER

 

Foudroyé par un coeur sans cesse haletant

De ne pouvoir jamais secrètement survivre

A tous ces battements d'un éternel instant

Dont il ne sut tirer le souffle qui délivre; -

D'un brusque éclair striant du ciel les ombres ; ivre

Du sourd gémissement des songes ; éclatant

Dans cet art que ton âme au pur silence livre ;

Tu passas sur nos fronts fugaces et distants

Comme un sillage clair d'Ange qu'on ne peut suivre :

Lucide, immense et seul, et déjà hors du temps !

 

 

 

(RENE-ALBERT CHARRIER)

 

René-Albert Charrier : un poète et un artiste au coeur de feu ; que l'oubli ne recouvrira pas ; qui restera dans la pensée de quelques-uns comme l'auteur d'une oeuvre brève mais vive, d'un sombre éclat - le créateur de quelque chose de profond comme la mémoire.

René-Albert Charrier : mon ainé dans ce paysage des Mauges, où les collines douces aux profondeurs spirituelles insondables, avec des frondaisons d'un vert enveloppant comme la nuit, ont, dans le frissonnement de la lumière, des ondulations de mer éternisée...

René-Albert Charrier : qui m'a précédé sur les chemins de l'écriture, dont on ne sait ni d'où elle vient ni où elle va, mais dont on se doute bien quelle porte en elle pourtant le pressentiment d'une durée sans limite en laquelle elle s'inscrit de toute la frémissante et douloureuse musicalité de son chant.

René-Albert Charrier : dont l'art plastique s'insère en cette expression de l'âme humaine qui se réfère d'autant plus à la figure qu'elle en vient, et pour laquelle dramatiquement aussi, jsuqu'à l'épuisement du cri de la blessure, il n'est rien qui vaille au-delà de l'ultime révélation du Visage entre les visages, qui se cache au sein de tous les visages, et qui pourrait bien être celui-là même de Dieu.

(Poème et texte parus dans les oeuvres complètes de René-Albert Charrier et intitulées : " Une Voix Un Cri".

 

 

 

A VICTOR MAHEU

 

Rien ne me reste du visage

Où je surpris ta vérité,

Plus doux pour moi qu'un paysage

Calme et serein d'un jour d'été.

Car au-delà du clair langage

Où meurt l'outrage déserté,

Tu m'appelles pour un voyage

Si formidablement jeté

D'un bord à l'autre de notre âge

Qu'il est pour moi comme le gage

Après son lumineux présage

Que ta présence est toujours sage

Et forte et grave à mon côté.

 

 

 

A EDMOND HUMEAU

 

Edmond de la Loire et des Mauges,

De la clarté d'un ciel vivant

Et de ces rives en fuyant

Où vont les rêves que tu jauges

Se perdre en le Soleil levant!...

Songe!... Le Songe qui t'abreuve

De la beauté des mots surpris

Par le flot de Jouvence neuve

Que leur confèrent tes écrits,

Fait se lever, comme d'un Fleuve,

Loin des soifs folles et des cris,

Ton Chant, pourvu qu'il nous émeuve

Et qu'il fascine les esprits !

 

 

 

 A PATRICE DE LA TOUR DU PIN

 

En l'honneur de son silencieux départ pour le grand Pays Secret

 

Quand les grands Enfants de Septembre,

La mort vivante entre leurs bras

Et le silence dans leurs membres,

Seront indiciblement las

De voyager en quelque chambre

De brouillard moite et de frimas,

Sans que l'on puisse les comprendre,

D'un seul coup d'aile, juste au ras

D'un ciel déjà couleur de cendre

Et dont le soir les couvrira,

Plongeront tous, loin des méandres

Des innombrables eaux d'en bas,

Plus forts que l'ombre pour défendre

Leur pauvre coeur qui ne meurt pas,

En ce pays des gestes tendres

Dont nul jamais ne reviendra.

 

 

 

PATRICE, -

 

Il semble, en l'or, que rien ne change

Dans le silence où tu parais,

Quand passe, ainsi qu'une aile d'ange,

Un vol d'oiseau sur les marais...

 

 

 

A L'AME

DES VENDÉENNES MARTYRES

POUR LEUR FOI!

 

Comme l'on jette au feu de l'Ombre l'herbe folle,

Ainsi firent-ils donc des femmes de chez nous,

Sans savoir que du fond des Songes les plus fous

Peut s'élever d'un coup le cri d'une Parole

A faire naître, au coeur de ce qui tout console,

Et sans qu'il soit ici besoin de parabole,

Des Ames que les Cieux implorent à genoux!

 

 

 

A MON PERE

 

Je serre sur mon coeur ta vérité profonde.

 

Père, père visible et que la mer emporte

Sans qu'il me soit permis, que mort, de te revoir,

Regarde mon visage et vois s'il n'est plus forte

Semence que la tienne en moi qui s'en vînt choir!

 

Je n'aurai plus revu que pour ne le plus voir

Ton visage marqué du sceau du sacrifice

Qui le purifia d'un coup du maléfice

Qui le tînt si longtemps sur terre en son pouvoir!

 

Si le sort t'a fixé dans la durée ardente

Où nul soleil de mort se puisse concevoir,

Mon âme à la merci du feu qui la tourmente,

Te retrouve en mes traits, comme dans un miroir.

 

 

 

A JEAN RIVIÈRE

 

Comme un songe surgi des rives de l'Hiver,

Te voilà projeté dans la Lumière pure

De cette Vérité sans faille et sans mesure

Qui rayonnait déjà sans fin sur ta figure

De chercheur immortel, - en sa démarche sûre

De trouver, par-delà toute ténèbre obscure,

L'Univers infini d'un Ete vaste et clair!

 

 

SUR JEAN RIVIÈRE

(Texte du Père Gélineau...à la demande de Maurice Courant)

 

Le mot qui me vient, quand j'évoque la mémoire de jean Rivière, c'est: profondeur. Profondeur de pensée, profondeur d'amitié, profondeur de foi. Telle était sa parole, lente, sous forme de sentences; son écriture dense, sans bavardages; sa méditation, lorsqu'il en rompait le silence.

Celui qui avait tenu la charrue savait qu'elle ne devait pas quitter le sillon, mais qu'elle doit retourner une terre où pourra germer le grain, nourriture de vie.

Reste avec nous, notre ami, dans ces profondeurs qui, plus que jamais, nous unissent.

Joseph Gélineau

 

 

 

Au

Poète

André BERRY,

en réponse

à son

magistral et quasi testamentaire

PERVIGILIUM MORTIS

 

 

Berry, mourez, sans laisser sur la terre

Votre carcasse à la postérité;

Abandonnez de votre presbytère

Les bois aux vers et les murs à l'été;

Mais ne craignez que quelque mal austère,

Méconnaissant d'un nom la vérité,

Ne jette, un jour, par surcroît de misère,

Ce Berry même aux rives du Léthé;

Quant à ceux-là dont vous avez été

La cible ici, lors même que fêté

Sous d'autres cieux, qu'en avez-vous à faire,

Puisqu'aussi bien nul secret ne peut taire

Cet oeuvre tel, par les astres porté,

Où vous avez si bellement chanté

Ce temps qui fut d'ivresse si légère

Bien que toujours par la mort habité,

Qu'il narguera le souffle délétère

Qui détruit tout des jeux de la cité, -

Tant désormais, du coeur de l'éphémère

Voguant sans fin vers quelque éternité,

Il aura su garder de force-mère

Et de tendresse en soi pour exister.

 

 

 

COMPLAINTE

POUR

UN FRÈRE MORT

 

Les jours ne sont plus ce qu'ils furent

Au coeur meurtri de mon destin:

Quand tu quittas notre aventure,

Un peu de mon jour s'est éteint.

Car nous vécumes des années

A nous côtoyer longuement

Au fil des routes couronnées

D'ombre tragique et de tourment;

Comme si quelque force avait

Entre nos fraternels visages

Interposé des paysages

Pleins de tristesses et d'orages

Que nul rivage ne sauvait. -

Et maintenant tu dors, tranquille,

A la merci du moindre aveu

Qui te rende l'âme fertile,

Loin des misères de la ville,

En le calme éternel de Dieu!

 

*

 

Tu ne sauras que dans la mort

Ce que je nourrissais pour toi

De sentiment fidèle et fort

Dont, par le souffle d'un vent froid

Qui rendit triste notre sort,

Le seul silence fut la loi.

 

*

 

Ah! ce repas, que je revois,

Comme d'un signe prophétique,

Où nous fûmes, comme autrefois,

- Avant que le destin tragique

Ne nous brise même la voix, -

Sur cette terre, tous les trois,

En une solitude unique,

Unis pour la dernière fois!

 

*

 

Purifiés, les mots de ton silence;

Purifiés, tes yeux de paradis;

Purifié, l'éclat de ta présence;

Purifiés, les horizons maudits;

Purifié, du feu de la souffrance,

Le simple aveu du songe que je dis.

 

*

 

Descende la lumière toute

Sur ton visage retrouvé;

Il n'est plus d'ombre sur la route

Des jours où nous avons rêvé.

Nous reviennent à la mémoire

Les claires heures d'autrefois;

Il n'est plus vrai que la nuit noire

Ait meurtri nos coeurs et nos voix;

Il n'est plus vrai que tant de fois

Nous eûmes tant de mal à croire

Que notre personnelle histoire

Soumise aux mêmes tendres lois

S'exaltât de même victoire

Quand notre Mère dans sa gloire

Nous mit au jour comme des rois;

Et, d'un père, comme aux abois

Que nous eûmes mêmes effrois

Quand il nous fit venir ensemble

A son chevet pour y pleurer

De ce frémissement qui tremble

Et dans nos âmes demeuré.

 

*

 

Il n'est pas vrai que la morsure

Du mal en nous puisse durer:

Je ne retiens de la blessure

Que ce qu'il faut pour adorer

Ce qu'il nous reste en nous d'unique,

Au-delà des mortelles chairs

Et de la division tragique

Qui nous jeta dans les déserts.

Depuis que ton vivant visage

A déserté les horizons

Du périssable paysage

De cette terre où nous vivons,

Et que dans le lointain s'éclaire

Ce qui n'aurait pas dû cesser

De respirer dans la lumière

Des claires heures du passé.

Car s'il est vrai que la souffrance

Ait tant de fois nos coeurs meurtris,

Il n'est pas vrai, dans le silence,

Que tu n'entendes pas mes cris;

Il n'est pas vrai que la nuit noire

Emporte l'âme dans ses flots

Et qu'il ne reste en la mémoire

Que l'être même des sanglots.

 

*

 

Je ne veux plus savoir pourquoi

Les tristes jeux de la détresse

On t brisé de leur cercle étroit

De nos coeurs toute la tendresse,

Puisqu'à l'abri du moindre froid,

De nouveau sous la même loi,

Sans craindre rien de toute chose,

Désormais plus ne s'interpose

Aucune irrémédiable cause

Entre ta "survivance" et moi!

 

 

 

LES PETITS ENFANTS DU SOMMEIL...

 

A

Jean-François Decelle.

In memoriam.

 

 

Les petits enfants du sommeil,

Qui dormez dans vos beaux lits blancs

Et dans vos draps si longs, si blancs,

Qui vous tombent jusqu'aux orteils, -

 

O petits êtres non sanglants!

 

Les petits enfants de la Mort,

Qui vous en allez, les pieds nus

Et les mains, comme vous êtes venus, -

O petits anges de la Mort,

 

Qui regardez par-dessus bord!

 

Les petits enfants du Bon Dieu,

Plus près de Lui que nous ne sommes,

Qui délaissez les pauvres hommes

Pour le miracle du Bon Dieu, -

 

Comme si vous faisiez un somme!

 

Nos petits enfants de la terre;

La semence de nos matins;

La survivance de nos mains;

Nos petits enfants de la terre,

Qui partagiez notre misère,

Ne partez, - tant le coeur nous serre!

 

 

TOMBEAU D'UNE MERE

 

O ma Mère, est-ce encore moi

Ce visage d'ombre, et celui

Qui te causa si fol émoi

Quand je surgis enfin de toi,

Du fond d'une insondable nuit?

 

Mère, ce choc brutal à la fenêtre obscure

Qui me fit l'être et l'âme entière sursauter,

Et cette nuit pour moi d'angoisse la plus dure

Qui tendit le ressort de l'ombre en la clarté,

 

Je l'ai reçu, comme un dernier appel de ta présence

A mon côté marchant dans le désert du soir.

Et comme un pur témoin de l'ultime souffrance

Qui m'empêche aujourd'hui sans cesse de te voir.

 

O ma Mère, en allée à l'ombre du printemps!

Ton amour ouvre en moi le lumineux visage

D'un monde qui survit à notre propre image

Et nous change la mort en matins éclatants.

 

Voici que tu t'en vas hors de ces vastes rives

Où le sang des humains roule son flot dompté,

Et qu'il ne reste plus que larmes les plus vives

Sur ce corps, de mon coeur, par ta mort dévasté.

 

O Mère, irremplaçable au-delà de la mort,

Toi qui me donnas vie et pure connaissance,

Présence de mon corps avant toute présence

De mon être perdu dans le temps de son sort!

 

Que t'aura-t-il fallu de veilles et d'efforts

Pour mettre au jour celui qui fut avant de naître

Et qui ne se nourrit, avant de te connaître,

Que de ton précieux, inépuisable corps.

 

Victime de l'espace où tu fus prisonnière

Et de ce temps maudit qui brisa ton essor,

Tu gîs entre mes bras, fragile et sans ressort,

Et vide enfin du poids des êtres sur la terre.

 

Voici que tu descends vers ces couches profondes

Où l'univers béant t'engouffre sans te voir,

Et qui mêle les corps, et qui mêles les mondes,

Et qui s'ouvre, pareil à un océan noir...

 

Mais non, il n'est pas vrai que le néant t'emporte,

Que de ton être enfin par la mort emporté

Il ne restera plus au vent que cendre morte, -

Comme un songe, du ciel des astres, déserté!

 

Car, par-delà déjà l'espace qui te brise

Et détruit de ton coeur l'incomparable essor,

Par cela qui sans cesse en l'âme s'éternise, -

Ton masque triomphal a dépassé la mort!

 

 

A

PIERRE ADELINE

 

Tu n'es plus que ce corps dans le désert de marbre

Où va toujours finir sur terre le vivant.-

Mais de ton oeuvre un jour, par ce regard puissant

Qui ne voulut rien voir, sans cesse traversant

L'apparence, en les corps qu'un astre renaissant,

Peut-être surgira d'un coup, comme un grand arbre,

Une immense clarté dans le soleil levant!

 

 

POUR LE REVEIL D'UN POETE

 

A mon Ami, le Poète Roger-Jean Charpentier

 

Je n'ai pas soulevé la pierre où tu dormais,

Bel Ange, sans surprendre une autre solitude

Ni de mes doigts pliés aux longues habitudes

Sans susciter le rêve aux rives que j'aimais...

 

Quel songe, au plus secret de ton âme égarée

Par la sérénité trompeuse de son or,

Te retient de survivre en la chaleur dorée

D'un jour qui t'illumine à travers l'ombre encor?

 

Incroyable dormeur où règnent des merveilles!...

Ah! saurai-je éveiller, dans son antre sacrée,

La déesse, ma soeur la Muse, quand j'irai

D'une insolente main lui tirer les oreilles

 

Pour lui dire qu'elle bourdonne en plein été

Dans ta cervelle ainsi qu'une abeille en délire

Et t'apporte - au milieu de ton calme enchanté

Sur ta pierre de proue en l'eau de mer - la lyre,

 

Les arbres, les fruits mûrs, les parfums, le ciel doux,

Le miel et la colombe et la grappe vermeille,

Et plus près de ton coeur, - adorable à genoux ! -

Une larme d'azur ivre parmi les treilles!

(Juin 1950)

 

 

VOUS...

 

Vous qui ne fûtes que tendresse

A la merci du moindre coeur

Prêt à sombrer dans la détresse

Inexprimable du malheur,

Une nuit d'étoile filante

Et fulgurante de splendeur,

Votre âme follement d'amante

Est allée toute, l'émouvante,

En sa docilité fervente,

Se perdre en l'Ame du Seigneur!

(note)

 


 

A Monsieur l'abbé

Jean Catherine

curé

d'Aucun

 

Depuis ce jour où ne résonne plus

Votre voix haute, en vos montagnes vives,

Et que le temps emporte entre ses rives

Votre ombre chère et vos regards perdus,

Sans que plus rien sur terre ne s'en suive,

Un tel silence en nous s'est répandu

Jusqu'au secret de ce pays rendu

A sa tendresse d'âme primitive,

Que dans nos coeurs alors à la dérive,

A travers l'air dont le désert s'active,

Tous les oiseaux dont le soleil se prive,

Et les torrents eux-mêmes, se sont tus!