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UN RUISSEAU DE SEL DOUX...
Cette amande est l'amande-amère,
La plus secrète et la plus tendre,
D'un coeur qui ne peut se défendre,
Malgré le cri de la Lumière,
De toujours te nourrir, - ô cendre !
Le vent fait tourner les ailes
Du secret moulin d'où
Du grain écrasé ruisselle
Un ruisseau de sel doux...
... Le frisson d'orage court
Dans la maison, il pénètre
Jusqu'au fond de l'âme pour
Aussitôt réapparaître
En pièces d'or sur la cour !
Pauvre coeur, triste ni serein,
Déchiré d'être, s'évertue,
Entre le rire et le chagrin,
A tuer le temps qui le tue.
Nature, te voilà prise à ton propre piège,
D'un voile désormais le temps va t'obscurcir,
Et le vent qui durcit ton visage de neige,
Aux chambres de la nuit t'emporte pour mourir...
Les grands cils recourbés de l'enfance endormie
Sur ma nef en voyage errent et vagabondent,
Et me bercent encore, - ô Lumière féconde ! -
Des songes que créa pour moi mon accalmie.
Quand dans un propre, clair et rêvé paysage,
L'âme pleine d'azur et d'ombre tour à tour,
Je me grisais du plus énamouré feuillage
Qui se laisse percer des caresses du jour ;
Je voyais, toujours plus au-dedans de moi-même,
Fondre, sous le soleil qui me le révélait,
Le rivage imploré de connaissance extrême,
Dont la voix douce et creuse au lointain m'appelait...
De la musique aventureuse
A la première chanson d'ange,
Va !... Tu te blottiras, Peureuse,
Aux fins du jour, quand le ciel change,
Pour écouter les Bienheureuses !...
Elles te rediront la loi
Des longues chutes en soi-même,
Au pays où le ciel est roi,
Ivre la terre, du suprême
Enlisement d'amour en soi !
Sans que l'oreille en toi retienne,
O mon petit oiseau trembleur,
Note d'âme musicienne,
Le dernier rythme ensorceleur
De cette heure - qui n'est plus tienne !...
Tu t'évanouiras peut-être !...
Se connaître sans défaillir !...
Saisir la chance de ce Maître :
L'Ineffable, dans un désir !...
Et survivre de se connaître !...
Rien ne tient que de l'apparence !
Vienne l'extrême mélodie
L'enténébrant, ta conscience
Surgira, toute anéantie,
dans les espaces du silence !...
Les jardins, la nuit, sentent l'odeur douce
Des grands buis taillés dans l'ombre, la mousse
Qui recouvre encor l'espalier désert
Où dort, écaillé, le long lézard vert... -
mais au loin la ville à tous vents balance
De ses noirs parfums la noire ambulance,
Ses obscurs poisons d'âme et de la chair ;
Qui me donnera la dernière chance,
Parmi tous les fruits de cet univers,
Mais porté plus haut qu'aucun d'eux dans l'air,
De cueillir enfin ce fruit : le Silence !
Si par la force d'une épure
Se révélait ton moi secret
Jusqu'à livrer de ta nature
A ton regard le moindre trait,
Comme soudain d'une figure
La part obscure sans apprêt,
Ta négative architecture
A la lumière apparaîtrait.
Quel monstre ténébreux, étranger en moi-même,
Habite, impénétrable, à l'ombre de mes nuits ;
Au fleuve le plus vil de mon être m'enchaîne ;
M'excite quand je pars, me retient quand je fuis ;
Quand rien ne m'y contraint dans sa course m'entraîne ;
Inexorablement de flammes me poursuit ;
Dévore dans mes traits le visage que j'aime,
Et livre à mon regard cet autre que je suis ?
O déchet de moi-même, heure d'ombre empesée
Où nulle âme lucide
Ne vient, du pur azur, me visiter, rosée
De grâces, mais acide,
Acide fruit de mort, inexorable bruit
De mouches qui bourdonnent,
Inaccessible paix, inapaisable fruit,
Lorsque le tocsin sonne,
De l'Ennemi rongeur, salade entre les dents,
De bave, qui m'inonde
Et dévore, - limace heureuse, - par dedans,
L'étrange coeur du monde !
Que d'un bond tout s'efface
Et qu'il ne reste plus
De ton corps nulle trace
Au milieu des élus ;
Quand les fleuves de boue
Tes os emporteront
Aux lieux où plus ne jouent
Les fols à "Gagnerons!"
Afin que ta souillure
Ne profane la Croix
Inutilement Pure,
Psyché, si tu ne crois ;
Aille à pas de géant,
Au-delà de la vie,
Paître dans le néant
Ta forme inassouvie !
Que clamiez-Vous, ô cher Visage,
O cher Visage, calme et fou,
Sur le Calvaire ?...
Il a suffi que l'on partage
Vos habits, en de dés deux coups,
Pour boire un verre,
- Tant (la chaleur était torride)
L'âme titubait là-dedans
De soif impure, -
Pour qu'il s'échappât de Vos rides,
Des trous, ruisseau le plus ardent -
Si !... qu'ils y burent !
MERE, C'EST VOTRE FAUTE À VOUS...
Mère, c'est Votre faute à Vous
Si ce petit matin est doux,
Si l'enfant nu dans son lit se déborde,
Et si mon coeur n'est plus cette branche de houx,
Peignée au ciel des inhumaines hordes !
J'ai tant rêvé toute la nuit,
Tant brassé d'ombres et d'ennuis,
Qu'il m'apparut comme une délivrance,
Ce grand soleil étincelant qui luit,
Dardant le ciel de toutes ses lances !
Je me retrouve tout pareil
A l'enfant nu à son réveil,
Qui ne se souvient plus des affres passées,
Des visages en pleurs et des cadeaux vermeils,
Et que son âme en fut, quelque jour offensée.
Tout se pare d'un chant nouveau !
N'est-ce pas que le monde est beau,
Dis, mon Ami,Toi qui les arbres ensoleilles ?
La chambre où l'enfant dort, pensif, et le tableau
De ma femme à genoux, tout près, qui s'émerveille !
Il fait si bon, si clair matin,
Si frais, si pur, si blanc soudain,
Si lumineux, ô mon doux Maître que j'accueille,
Que mon âme s'étire et luit dans le jardin
Sous vos pieds, comme un triple trèfle à quatre feuilles !
Les soleils blancs ; étés de feu ;
O terre aride ! -
Retour aux nuits fraîches de Dieu,
Sans une ride...
O ces baisers durs que ne mord
Aucune Source,
Ancrés au flux sans fin ni bords
De la Grande Ourse !
O Soif ! O Faim ! Désirs amers
De l'ocre route !
Roulez, roulis, sur l'âpremer,
Ma barque toute !...
J''ai, préservé de vos écueils,
Au bout du monde,
Dans une eau verte sur le seuil,
Jeté ma sonde.
C'est là que, sur l'arbre porté
Comme une pomme,
S'incarne, en son splendide été,
Mon rêve d'homme !
Sur la haute branche de l'air,
Qu'azur balance,
J'ai choisi de voir, sombre chair,
Fleurir ma chance,
Afin qu'au bruit des pas vermeils
De l'heure Sainte
Monte, à l'écart des grands soleils,
Et d'ombre ceinte,
Ma Joie, aux sublimes accords,
Vers Toi, Lumière,
Formant dans l'or, par maint effort,
Son choeur de pierre !