Sur le songe
Dieu n'est pas un Songe.
Mais le Songe de Dieu est le Songe des songes.
Je ne me vois pas appliquer à Dieu le mot de Rêverie.
La Rêverie de Dieu au lieu du Songe.
L'homme rêve, mais Dieu Songe.
Parce que le Songe est action.
Le songe n'est pas de même nature charnelle et spirituelle que la rêverie.
Le songe de l'homme participe du Songe de Dieu.
La rêverie participe de l'illusion du temps.
La connaissance qu'apporte la rêverie est de l'ordre - limité - de la clarté.
La connaissance qu'apporte le songe est de l'ordre de la secrète conscience de l'inconscience, de l'"embrassement" de l'illimité, du pressentiment (cette sorte de connaissance, avec l'extase et la foi, la plus ultime de l'ultime) de l'insaisissable.
Le songe va au-delà de la pensée claire, dans les eaux de laquelle nage la rêverie.
Le songe participe donc, par le pressentiment qui l'habite, de ce mode de connaissance suprême par laquelle l'âme adhère au mouvement du Songe de Dieu même en nous.
Je ne parle d'ailleurs jamais de rêverie dans mes poèmes (ou accidentellement).
Le rêve est déjà plus que la rêverie; mais le rêve participe aussi de l'illusion.
La connaissance du songe et par le songe n'est pas de l'ordre de la précision; mais, à partir de choses précises, de l'adhésion de tout l'être, chair et esprit, à une réalité (dans les deux sens possibles: du moins ou du plus) qu'elle ne peut saisir absolument, mais qui, en sa part la plus haute, et infiniment, s'appelle Dieu.
Et c'est parce qu'il participe de tout l'être, et pas seulement d'une certaine pointe claire de l'être, que le songe vient de si loin en nous, et qu'il peut aussi se troubler jusqu'à se dévoyer, et participer de ce qu'il peut y avoir de plus secrètement confus et douloureux dans l'homme : c'est la part ténébreuse et déchirante (parce que déchirée) du songe, celle que vous avez très justement soulignée, mais ce n'est pas tout le songe, ni donc le tout du songe; c'est ce que j'appellerais le songe d'en-bas, par rapport au songe d'en-haut, de même source mais "libéré" de la nuit dont il vient, celui vers lequel il ne faut cesser de tendre et qui mène l'âme vers cette zône de Lumière contre laquelle la Mort ne peut rien.
Il s'agit du même songe, mais le songe d'en-bas est la part palpitante du songe par rapport à sa part la plus haute, qui est sa part de lumière!
Le songe d'en-bas peut ne pas être ou être le point de départ du songe d'en-haut.
Comme le papillon peut ou non sortir de la chrysalide qui tient ses rayons enfermés.
TRES IMPORTANT :
Si je remplaçais, dans les poèmes que vous avez cités de moi, le mot songe par le mot rêverie, j'y aboutirais à une déperdition d'être vertigineuse!
Le songe est au point de départ de la quasi-totalité de mes poèmes: la quasi-totalité de mes poèmes est faite de songe - élucidé!
Toute création d'art surgie du songe procède par saisissement du sujet par l'objet et réciproquement et simultanément.
Le songe dont il est question dans mes vers, et dont je parle très souvent, n'a absolument rien à voir avec le songe-sommeil et avec l'assoupissement, au contraire, c'est d'abord une participation active à quelque chose de tout à fait autre que la pensée claire et que la rêverie, - au mouvement primordial et permanent des forces les plus génératrices - et parfois destructrices -, physiques et spirituelles, de l'Univers, jusqu'à, si possible, Dieu!
Mais le songe, qui n'est pas, au départ, de la pensée claire, mène immanquablement s'il est fondamental et vrai, par les mots, à la clarté de la pensée.
Rien ne crée des pensées - originales et fortes - comme le songe dont je parle.
La pensée - fulgurante, désespérante, insondable, irrécusable et vraie - est le seul et véritable aboutissement de ce songe-là.
Le songe dont je parle est un état de réceptivité active et supérieure et d'attente de ce qui doit surgir de plus haut de l'apparente source d'ombre dont il vient.
Ce songe-là part secrètement du Songe pour retourner à ce même Songe qui est sa Source et sa Fin!
Sorti de l'ombre et de la complexité mélangée mais infiniment riche d'avenir de l'être, il n'aspire qu'à la Transparence de la Lumière!
Il est une gestation de ce qui remue et se cherche encore dans l'ombre, pour un surgissement hors du temps dans ce temps même vers une Clarté englobante qui n'en finira pas de ne pas mourir!
REMARQUE :
Les songes - avec les citations de moi - dont vous me parlez dans votre étude, chère Nathalie, sont ceux-là - fréquents dans mes poèmes - qui n'ont pas eu la force de sortir complètement encore de leurs "limbes" et qui se "traînent", profondément troublés, blessés et douloureux, dans la frémissante souffrance de ce qu'alors ils sont, mais aussi dans la nostalgique soif de ce qu'ils pourraitent être et dans l'attente de cette lumière dont ils ont le pressentiment et qui les appellent hors d'eux-mêmes; - des songes donc auxquels il ne manque en vérité que ce brusque et seul coup d'aile qui les ferait - ou les fera, quelque jour - se perdre en ce bienheureux et transparent abîme d'une Cime qui ne demande, elle, qu'à les recevoir!