SOLEIL DE MA MÉMOIRE
GM
A
Celle
dont l'âme, par la grâce d'une Etoile,
à travers et fût-ce malgré les apparences,
n'a cessé de m'apporter comme un reflet
de l'éternité dans le temps.
Je t'aime comme l'eau
Qui court dans le feuillage,
Du ciel et du rameau
Le plus clair bavardage
Dont s'éjouisse l'écho ;
Mieux que le frais murmure
Encore du printemps ;
Plus que l'hymne éclatant
Du vent dans la verdure ;
O ma Soeur, en tout lieu,
De mon âme, après Dieu,
D'être la source pure !
Quand je poursuis entre mes doigts,
Dans ton eau pure, son image,
Elle s'échappe en mille endroits
De taches d'or et de feuillage,
Furtive, au fond des calmes froids ;
Je la serre encore une fois,
Tant que, captive, la volage,
Dans mes mains, faites coquillage,
Pour mieux la prendre, je te bois !
Si de l'ombre dans la lumière
Tu te projettes, par moment
Ton corps paraît un diamant
Qui sortirait d'une rivière
Dans un brusque ruissellement...
O feu d'inexorable joie,
Quand ton être à mes yeux déploie
Subitement toutes ses armes ! -
Tristes pourtant d'un pur sanglot,
Me transpercent le coeur tes charmes
Mieux que le fer d'un javelot,
Car, en secret, ce sont tes larmes
Qui t'ont fait cette robe d'eau !
ou
Petite suite ronsardienne
L'An neuf et le Gui neuf me font une guipure,
- Et l'Ane dans le pré règne parmi le Boeuf, -
Mais le givre nouveau qui pleure sur l'An veuf,
Ginette, sur ton front dispense sa parure.
Las ! tant passe le Gui, Chère, du temps passé !
L'Année est écoulée au fil de ma paresse :
Ainsi s'en va l'amour ; ainsi, sous la caresse,
Pareil à l'eau qui court, le corps tant caressé...
Dieu, qui te fit de lèvres pourpres si mignonnes
Et de corps si parfait que pour m'en arracher
C'est mordre qu'il faudrait, lorsqu'au coeur du rucher
Les sens bourdonnent tant que le sang m'en bourdonne,
Pourrait-Il sans regrets tes charmes condamner ? -
Plus triste que ce Gui d'An veuf qui te festonne,
Comme à l'An révolu son chef découronné,
Faudra-t-il que ta fleur se découronne ?
Apporte-moi l'eau vive et la source qui change,
Et la fraîcheur de l'ombre au ciel des noisetiers ;
Verse encore en mon âme un peu du philtre étrange
Qui nous rend ivres, l'un et l'autre, tout entiers.
Que le vent qui s'engouffre en la haute verdure
Ne trouble pas nos jeux tout près de nous lier
Et de nous pénétrer de si douce aventure
Que nous ne pourrons plus - ensemble - l'oublier.
L'avenir peut toujours avec son bruit d'orage
Du fond de l'horizon déjà nous menacer,
Le temps que nous vivons aujourd'hui n'a point d'âge,
Car c'est survivre enfin que de vivre enlacés.
L'éclair qui nous traverse un instant préfigure
Au-delà des splendeurs mortelles de l'été
L'inépuisable feu d'un soleil qui perdure,
Quand nous ne cesserons plus jamais d'exister.
Par ta lèvre entrouverte et ta nuque légère
Laisse-moi jusqu'à l'âme encore t'embrasser ;
Que nulle force en toi ne me reste étrangère
Et ne me vienne jamais dire : "C'est assez!"
Forme légère
Où se complait
La grâce altière
Du corps parfait ;
Brûle trop tendre
Et me séduit
L'ultime cendre
Où me conduit
La certitude
Au fond de moi
Que rien n'élude
Ce cher pourquoi
Ton âme ardente
Si fort me prend
Et me contente
Qu'il n'est tourment
Rêvé d'amante
A me ravir
Comme l'attente
Impatiente
O douce et lente
Et violente,
En toi dolente,
Du seul désir !
Quand nos deux corps vibraient comme des lyres !
Te souvient-il, cette lune de Juin,
La plus belle lune qu'on ait pu dire
Sur les champs du rêve - du plus beau foin ?
Et nous y roulions nos âmes ensemble,
Heureuses de pouvoir se regarder
Et de s'aimer d'amour parmi les trembles,
Sans rien qui presse ou fasse retarder.
Seuls, et dans une si blanche lumière
Que nous n'éprouvions plus ni soif ni faim,
- Nous ne sentions plus nos pieds à la terre, -
Et que nous étions libres à la fin !
La hâte d'aimer est si prompte à prendre
Que nous ne pouvions plus la contenir ;
Elle débordait nos coeurs, nos corps tendres, -
Et nous projetait vers notre avenir !
Les mots étaient doux et nos lèvres bonnes ;
Nos corps étaient calmes et diaprés ;
Nous n'entendions pas le vent qui résonne
Haut, sur la haute luzerne des prés.
Nous étions blottis dans l'herbe surprise
De trouver des corps à s'aimer si fous ! -
Et des âmes si pareilles que brises
Qu'elles s'emmêlaient en longs cheveux flous...
Nous nous caressions comme se caressent
Les corps enlacés des autres amants ;
Nous ne savions quelle obscure détresse
D'Amour ruisselait toute en notre sang.
La fièvre de l'air était plus qu'exquise ;
Nous ne connaissions l'heure ni le temps ;
Quand dans une étreinte, ivre, je t'ai prise,
Comme un corps la mer, si soudainement,
Et dans mes deux bras, en disant : "Je t'aime !"
Si profondément, je t'ai refermée,
- Caresse trop tendre ! ô tendresse extrême ! -
Que je te crus morte, ma Bien-Aimée !...
Main miraculeuse
Alentour du corps -
Jusques aux trésors
D'eau mystérieuse
Qui jaillisse encor
De la chair heureuse
Et toute amoureuse
De son propre essor !
Ombre vive, que je touche
De mille éclairs précieux,
Par ces mains, par cette bouche,
Et cette âme aussi - farouche ! -
Dont la flamme dans ses jeux
Brûle en moi jusqu'à la souche
Et fait choir en cette couche
Une étoile de ses feux !
Mes baisers dans le creux de la lumière dure
Se fraient par la forêt des ombres sur le mur
Un long sillon des mers au calme des jointures ; -
Jusqu'à ce que le vent de la colère sème
Dans ton coeur ébranlé comme un grand peuplier
L'insondable regret de n'être plus soi-même !
"Cependant que l'Automne autour de nous dispers
Le torrent de ses pleurs, Amour, qui fait frémir,
Viens dans mes bras, tout contre moi, viens-t-en dormir ! (n)
Oublier des saisons et des feuilles l'averse !
" Si le temps, malgré nous, déjà fait tout blêmir :
Plaisirs et le chagrin qui tant le coeur nous herse,
O mon Amour, pour que le gel ne nous transperce,
Viens contre moi, viens dans mes bras encor dormir !
"Dormir !... - Vois, les derniers rayons du jour : s'effeuille
Ce qui leur reste encor de force pour mourir !...
Oh ! de peur que le froid ma chair vive n'endeuille,
"Que le sang dans mon coeur ne cesse de courir,
Au bord du grand désert d'Automne qui m'acceuille,
Viens, ma Chaleur ! viens, pour toujours en moi, dormir !"
L'espace inconsolable où se meurt ta présence
Au fil des jours meurtris par le vent de la mer,
Soulevée à l'appel d'un mal de conscience
Egarée en les rêts d'une insondable chair,
Se pare des beautés que ton absence cerne
- A mesure que l'ombre envahit les contours
D'un monde où le silence inexorable alterne
Avec le roulement des vagues sous les tours -
D'un halo vainement dont l'or se substitue
A l'éclat transparent d'une réalité
Qui traverse les corps de ténèbres et tue
l'apparence promise au feu du bel été...
Quand le pas du chasseur dans le sombre bois sonne,
Où gît le Souvenir comme un masque brisé,
Le cri de nottre Amour n'atteindra plus personne :
Flèche perdue au ciel d'un coeur inapaisé !
Un jour, j'ai vu ton âme au clair de la fontaine ;
Un soleil, par moments, dans l'eau se reflétait ;
Une ombre se glissa, légère, - mais à peine
- Une ombre ! - si j'ai pu savoir ce que c'était, -
Au clair de la fontaine : hélas ! c'était ta peine...
Des cheveux abondants flottaient sur ton visage,
L'enserrant d'une lueur fauve ; un reflet blanc
Alentour emplissait le morne paysage,
Quelque chose de pâle ensemble et de tremblant ;
Je me penchai pour voir, - et c'était mon image...
Un jour, j'ai vu ton coeur au coeur de la forêt,
Dressé nu, solitaire, en des halliers sauvages ;
Derrière, une lumière intense pénétrait
La verdure profonde et le sombre ermitage :
D'un seul coup j'ai compris que mon coeur s'y perdrait.
Fier comme un beau manoir et vif comme la tour,
Ton coeur, entre les blancs halliers, mais solitaire,
Et le plus diamant des diamants du jour ;
Je connus, à travers tous les sels de la terre,
Sauvage et dénudé, ce qu'était ton amour.
Un jour, j'ai vu ton corps : il planait sur la mer
A la manière d'un oiseau sorti des choses ; -
Un vent frais m'apportait de ta métamorphose
Le parfum de ce corps et le bruit de ta chair :
Je ne savait lequel était le plus amer.
Enfin ton corps, ton coeur et ton âme au milieu
Resplendirent un jour à travers ma fenêtre,
- Et ton âme était comme une langue de feu !
Mon coeur a tressailli, mon corps, puis tout mon être,
Si fort qu'en cet instant j'ai senti passer Dieu !
Laisse l'or de tes mains courir dans mes cheveux,
Mes yeux renaître à la lumière primitive
Que m'apporte l'éclat de celle de tes yeux,
Se calmer de mon sang la fièvre maladive
Qui l'entraîne à se perdre en de terrestres jeux,
Se délivrer du temps ce coeur à la dérive
De ne pouvoir enfin satisfaire ses voeux,
Et se lier mon âme à ton âme captive
Pour mieux te retrouver ici-bas comme aux cieux.
Si se transfigurait
Ton être, en pleine course,
De mon ciel la grande Ourse
Et le Signe secret,
Quand tout resplendirait
Dans l'air et sur ma route,
Quand mon âme crierait
Victoire sur le doute,
Séparé désormais
De tout ce que j'aimais,
Vers l'ombre, sans retour,
Mon coeur fuirait le jour
Comme l'onde sa source...
Ginette, le temps d'un songe,
Passeront vie et amour,
Comme à peine se prolonge,
Juste avant la nuit, le jour...
Finiront haltes et quêtes,
Et ces tourments mal éteints
Qui nous tournent dans la tête
Par les soirs et les matins.
Plus ne s'ouvriront nos lèvres
Pour dire un mot jamais dit,
Ni ne brûleront nos fièvres
De ces feux que l'on perdit.
S'en iront à la dérive
Et la force et la couleur
De ce fleuve d'onde vive
Qui fait battre notre coeur.
Et les jours que nous vécûmes
Trembleront dans notre main
Comme tremble un peu d'écume
Sur un océan sans fin.
Mais notre âme fugitive
A travers la mort du corps
Touchera cette autre rive
Où s'effacent les décors
- Au-delà d'une apparence
Qui ne se souviendra plus
De la claire conscience
De tous nos moments perdus -
Et soudain dans la lumière
Qui nous enveloppera
D'une gloire sans frontière,
A jamais reconnaîtra
Cette Vérité plénière
Qui sur nous se lèvera.
L'éclat du jour qui meurt entre par la verrière
Où ton regard se perd à contempler le temps
Qui s'en va d'une course étrange et familière
Rouler d'un même flot les morts et les vivants
Vers une fin sans bords qui sera la dernière...
O mon Amour, ardente et secrètement fière
Des sourires confus et du chagrin latent
Que révèle en ton coeur cette heure singulière,
S'exalte en toi le dieu lucide qui s'éprend
De cette flamme vive en tes mains prisonnière
Et l'ultime reflet de ton jour triomphant,
Mais sans cesse fidèle à soi-même pourtant,
A mesure déjà que décroît la lumière,
A jamais immortelle et plus triste qu'avant.
Solitaires, parmi les astres de la nuit,
Qu'allons-nous respirer, à la faveur d'un charme,
A travers l'ombre immense et le temps qui s'enfuit,
Sinon l'éternité d'un ciel qui nous désarme
Et nous laisse dans l'âme où sa promesse luit
Un peu de ce regret des choses qu'une larme
Suffit encore à rendre douces comme un fruit ?
Ton Amour est en moi comme je suis en lui ;
Nous ne sommes plus qu'un dans l'Amour de nous-même ;
Le temps qui nous tuait, notre Amour le détruit, -
Car le temps à l'Amour est un parfait blasphème,
Et l'Amour est vainqueur où son feu nous conduit ;
Nous ne respirons plus que pour dire : je T'aime,
En notre âme, en nos coeurs, le jour comme la nuit,
Tant notre seul Amour est le centre et le thème,
L'inépuisable force et l'ineffable fruit,
La soif de se connaître et le lien suprême
De cet éternel JE qui se forme aujourd'hui !
PLUS JE CONTEMPLE TON VISAGE...
Plus je contemple ton visage
A la faveur d'un ciel dété
Dont la présence nous ombrage,
Et plus je songe, en vérité,
Qu'il n'est pas, en ton héritage,
De douceur ni d'adversité
Qui dénature la beauté
De l'immuable paysage
Où vient sans fin se refléter
La grâce immobile et sans âge
De ta spiritualité.
O Femme de silence et d'ombre revêtue,
Réserve de puissance et tendresse de flamme,
Appel vif de l'Eden en mon âme éperdue,
Fleuve du seul Amour, ma soif qui te réclame
S'épanche par ton corps jusqu'à ton âme bue !
Prisonnière des mots qui parleront de toi
En quelque devenir plein d'orages et d'ombres
Et marqué seulement de tristesse et de froid,
Peut-être ta présence, inscrite dans les nombres
Et vivante au secret d'une parfaite loi,
Fera-t-elle surgir en l'âme la plus tendre
Et qui n'eût pas su même en silence l'attendre,
Un sursaut de chaleur instinctive et de foi.
Secrètement pareille au mouvement des astres
Qui reviennent sans cesse avec docilité
- Comme sourds à l'appel ultime des désastres -
S'éclairer d'un soleil ardent de vérité,
Ta course, ô mon Amour, que nul sommeil ne glace
Et ne retient de croire à la chaleur encor
De ce feu qui te brûle au centre de l'espace
Et t'entraîne du seul irréversible sort
Dont s'éternise en toi la précieuse trace,
Jusqu'à ce haut refuge inaltérable et fort
D'une sérénité que la lumière place
Au-delà du désir de vivre - et de la mort.
Amour de mon Amour, - au bord de la Mémoire
Où s'engouffre le temps irrémédiable et pur
De tout ce que recèle encore d'illusoire
Ce regard dévoré d'un fascinant azur,
Quelle force attentive et douce à n'y pas croire
Et si proche du rien qu'un rien la troublerait,
D'un souffle cependant d'irrésistible gloire
- Comme un vent brusquement ranime la forêt -,
Balayant d'un seul coup l'obstacle dérisoire
D'un Mal qui pour toujours de nuit la comblerait,
Se lèvera du fond de ta native histoire
Pour te rendre à jamais ton âme et ton secret,
Amour de mon Amour, au coeur de la Mémoire ?...
Le corps perdu mais l'âme avide
Et libre enfin de ses déserts,
Quand passera l'été torride
Qui brûlera tous nos hivers,
Et se dessèchera la moelle
De notre plus intime chair
Pour ne laisser de notre étoile
Qu'un peu de cendre sous l'éther ;
Lorsque le sel de cette poudre,
Comme de l'être consumé
Par quelque intérieure foudre,
Commencera de se dissoudre
En l'univers inanimé -
Pour devenir plante mortelle,
Oiseau rapide dans l'azur,
Sang tourmenté de soif nouvelle,
Songe funeste ou rêve pur ;
Insensible aux métamorphoses
Qui mêleront en cette chair
Anéantie au coeur des choses
Les conséquences à leurs causes
Pour d'autres fins dans l'univers ;
En cet espace sans figure
Où conscience ni hasard
Non plus que nulle force obscure
N'aboliront en ce qui dure
La souveraine démesure
D'une inaliénable part ;
Du seul Soleil qui réconforte
La prisonnière désormais,
Resurgira notre Amour morte,
Plus vigilante que jamais.
Ainsi que l'éclair
Perce la nuée,
Notre âme, de chair
Tout exténuée,
Mais libre pourtant
De son origine ;
Au-delà du temps
Que l'oeil imagine -
Où règne le froid
Du monde et d'un moi
Que la mort domine ;
Par ce fol espoir,
Jusque dans le noir,
Dont tout s'illumine ;
D'un retour soudain
Plongera sans fin
Dans le clair matin
De l'Ame divine !
Non pas jointe, mais dans l'éternel scellée !
Notre-Dame de Béhuard, 16 Août 1936 - L'éternité.