FLORILEGE
(Recueil de poèmes de René Hener publié en 1985)
On voudra bien considérer cet ouvrage moins comme une ANTHOLOGIE proprement dite qu'à la manière d'un MEMORIAL destiné à rendre en quelque sorte et de nouveau sensible à ceux qui furent et demeurent ses Amis la présence d'un être qu'une particulière rigueur morale et une extrême pudeur des sentiments ont conduit pendant de longues années à servir inlassablement et avec une incroyable abnégation les oeuvres d'autrui au détriment de la sienne propre.
C'est pour cela qu'il convenait que soient un jour réunis en un seul volume quelques-uns des moments les plus significatifs d'une démarche tout entière à l'image même de son auteur: avec son inquiétude fondamentale; son tourment de la forme; sa fidélité envers lui-même et envers autrui; son refus des compromissions; sa soif d'une pensée lumineuse, dense et vraie, - insécable; sa sensibilité si vive et pourtant si cachée qu'on pouvait le croire de marbre; et cette infiniment secrète et frémissente tendresse d'âme qui le faisait se tourner dans les derniers temps de sa vie comme irrésistiblement vers Dieu.
Car tel fut René Hener, en cette irréductible part de l'être dont il disait qu'elle était, pour lui-même comme pour tout homme au monde, son véritable "jardin secret",- celui-là même qui relie définitivement entre eux - et jusqu'à ce qu'ils ne fassent enfin plus jamais qu'UN - le PARADIS PERDU et le PARADIS RETROUVE.
René HENER
"Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change...".
René Hener nous a quittés, - apparemment quittés. Car la mémoire en nous de ce qui meurt est aussi le gage en nous de ce qui dure. Dès notre première rencontre, René Héner et moi nous sommes sentis unis par des liens plus forts que la mort. Il m'écrivait alors, avec cette pudeur qui le caractérisait: "Je sais que nous nous comprendrons, parce que vous avez le sens des nuances." Sa rectitude d'âme était exemplaire. Sa sensibilité profonde aussi. Une sensisibilité ouverte sur la blessure, et souvent, par cela même, secrètement et profondément blessée. Le mensonge et la laideur, l'infidélité et la lâcheté par-dessus tout le blessaient. On pouvait n'être pas d'accord avec lui; on ne pouvait le mépriser; car il luttait toujours à visage découvert. Rien de ce qui élevait ne le laissait indifférent et tout ce qui était bas lui était étranger. René Hener n'avait pas seulement le culte de l'amitié, il était l'amitié même. On pouvait s'éloigner de lui, ce n'était jamais lui qui le premier, en ce domaine, faillissait. Ses amitiés, nées souvent de la littérature, dépassaient très vite cette dernière pour ne se situer plus d'abord alors qu'au niveau de l'être même. Ce qui ne semble pas avoir été toujours exactement compris. Beaucoup lui doivent plus qu'ils ne le disent. Pour moi, ce que je lui dois n'a pas de prix: sans lui, je ne serais pas devenu tout à fait ce que je suis. René Hener a mené pendant plus de quarante années son oeuvre - essentiellement formée, à côté de romans et de poèmes forts et beaux, par cette Revue Points et Contrepoints qui lui tenait si fièrement et si justement à coeur et dont l'avenir ne pourra manquer de souligner l'importance en ces temps de chaos spirituel et de nuit - avec une rigueur de fond et de forme qui forçait le respect. Car il ne se payait pas plus de mots qu'il ne supportait l'ambiguité. Sa Revue et lui ne faisaient qu'un - au point que l'on peut dire que du jour où il avait décidé d'en arrêter cette année même la publication, il avait du même coup signé lui-même aussi sa propre perte. C'est en ce sens que sa mort même fut exemplaire. Parce que c'était la seule possible. Il est mort comme il avait vécu: faisant face, et debout. Il chérissait les siens, pour lesquels il nourissait une tendresse inquiète et passionnée. Son départ les a plongés dans une douleur extrême. René Hener était profondément épris de la beauté. Une Beauté d'ordre et de clarté: de lumière. Il pensait, comme Simons Weil, qu'il faut toujours croire ici-bas que le plus beau est aussi le plus vrai. Sa soif d'absolu était inextinguible. Et son tourment d'être était à la mesure même de cette soif. La dernière vision que j'eus de lui fut celle - en ce 17 février 1979, après une nouvelle halte fraternelle à la Rue Gérande et comme je regagnais moi-même le Centre Hopspitalier de Lagny - d'un homme enveloppé dans un grand manteau beige et adossé au montant intérieur droit de la portière du métro qui l'emportait de la "Gare de l'Est" à "Montparnasse-Bienvenue" et aussi, pour moi, mais je ne le savais pas encore, vers son plus haut destin. Il cherchait Dieu: il l'a trouvé. Ce Dieu d'Amour dont il me parlait si souvent, qui le hantait et en lequel, au nom de tous ceux qui n'ont cessé et ne cesseront jamais de l'aimer véritablement sur terre, mon âme embrasse une fois encore ce soir la sienne - éternellement.
(le 24-03-79)