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QUAND L'HEURE SONNE Ô DÉRAISON!...

 

 

CET OEIL ARDENT

 

 

NUAGE

 

O nuage, cet oeil ardent,

Par ta fente, qui nous regarde,

Est-ce la lune ? ou, d'or, la dent

D'un Saturne nu, qui nous darde ?

 

 

VITRE

 

Le ciel s'écrase sur la vitre ;

Le soleil est d'azur mitré ;

Les deux flèches du vieux Chapitre

A travers l'horizon vitré,

Pointent au ciel - comme une mitre !

 

 

MITES

 

Le temps perdu

Ne revient vite :

S'en va mordu

De mille mites...

 

 

MÉTAMORPHOSE

 

Un remorqueur tranche l'eau verte,

Puis grise et noire par endroits ;

Sur l'horizon, des filets droits ;

Un beau destin touche à sa perte :

Environné des gouffres froids,

Squelette avec un air de fête,

Un bateau mangé de mouettes !

 

 

HIVER

 

Le vent, plus qu'une bête fauve

Prise entre des barreaux de fer,

Hurle à travers la place chauve ; -

 

Sur l'asphalte du quai désert

Les grands lampadaires ont l'air

De femmes folles qui se sauvent !...

 

 

CORRIDA

 

Au bout du sang qu'il a perdu,

Le taureau, désormais rendu,

Tourne vers l'Homme périssable

Sa tête lourde sur le sable,

Et dans les yeux du matador

Plonge le glaive de sa Mort !

 

 

LES CHATS DE LA MER

 

Les chats de la mer sont toujours vivants

Qu'ils courent l'embrun ou l'algue marine,

Le nez dans le sel ou bien dans la bruine,

Et quand on les tue, ils naissent au vent !

 

Les chats de la la mer rongent les amrres,

La nuit, quand le vent chasse de partout ;

On les voit rôder tout le long des trous, -

Et le corps luisant comme l'eau des mares.

 

Il scherchent leur proie où les profondeurs

S'ntourent de criques ou d'herbes folles ;

Ils poussent des cris comme des paroles, -

Si doux que l'on croit qu'ils viennent d'ailleurs...

 

D'un sillage comme des ailes d'anges,

Ils plongent, malgré les brisants déserts,

A travers les fonds d'ombre recouverts, -

Le corps parcouru de lueurs étranges.

 

Les insaisissables chats de la mer ;

Ces rôdeurs sacrés qu'on n'ose pas prendre ;

Dont on parle à peine, avec des airs tendres, -

Tant leurs yeux d'amour pénètrent les chairs.

 

C'est pourquoi les hommes des équipages,

Les filles farouches des alentours,

Plus secrets entre eux, pour parler d'amour,

Quand tombe la nuit, quittent les rivages.

 

Pourtant un des hommes (le plus hardi

De tous les pêcheurs titrés de la côte)

En prit un, rayé noir, à larges cpotes, -

Son regard encore en est ébloui.

 

Il saisit la bête énorme aux entrailles,

Palpitante, et, seul devant une cour

De femmes, d'enfants à crier autour,

La précipité contre la muraille.

 

Le corps a jailli haut sur le ciel clair !

Je l'ai vu sauter trois fois dans l'air tendre ;

L'homme, désarmé, pouvait s'y méprendre :

Je n'ai pas revu le chat de la mer...

 

 

RIDEAU !

 

J'en ai marre : la mer a crevé la lagune

De mes désirs et lessivé de mes rancoeurs

Cette chemise de misère sans valeur,

Et vidé de ses eaux mon coeur - pour une thune !

 

Pour une thune de pouboire à l'oiseleur

Ils ont lâché les perroquets sur la mer brune,

Les papegais truffés, voilà bien le malheur,

De la démangeaison des puces sur la lune, -

 

Ce coeur du songe

 

 

SOLITUDE

 

Tu ne connais le mal qui dure

Au plus profond de ma blessure,

Ni de quel deuil j'ai tant souffert :

Printemps, été, automne, hiver...

 

 

PUDEUR

 

Tu ris lorsque je pleure :

Faut-il donc à cette heure

Encore que je meure

Pour vaincre la pudeur

Etrange de ton coeur ?

 

 

DERAISON

 

Vent qui frissonne

A l'horizon ; -

Qui vient ?

Personne...

O déraison,

Quand l'heure sonne

D'une façon

Qui vous poinçonne

Le coeur, garçon !

 

 

SONGE

 

Un écho d'un songe

Au coeur de ma nuit

D'une mer surgit

Que la roche ronge -

D'où brusquement plonge

Un feu qui détruit

Tout désir de songe

Au coeur de ma nuit !

 

 

TOMBENT LA FEUILLE, LA POMME...

 

Tombent la feuille, la pomme

Avec un bruit mat et sourd,

En ce coeur qui fait un somme, -

Comme en son profond labour

La semence millénaire

De laquelle surgira

Quelque jour dans la lumière

Cette force singulière

Que ton coeur reconnaîtra.

 

 

ELEMENTAIRE FLAMME

 

Elémentaire flamme ! automnale semence !

O Mort par qui l'été devient feu recouvert !

Le cycle par toi seule à jamais recommence,

Qui fait mûrir la cendre au coeur du vieil hiver !

 

 

DECOUVERTE

 

Sur la plage désert

Que mon lointain regard

parcourt en pure perte,

Quel merveilleux hasard

D'un jeu qui déconcerte,

Fera, d'un verbe inerte,

Jaillir la découverte

A tous les vents offerte

D'un songe quelque part ?

 

 

DELIVRANCE

 

Vide-toi, mon esprit,

De ces fureurs glacées

Que tout le jour t'offrit,

Afin que, travfersée

De songes, sans un bruit,

Survienne enfin la nuit

Vivante des pensées !

 

 

POUR TE DIRE...

Inventerai-je, pour Te dire,

Les mots qui frappent, Vérité,

Au-delà du mortel empire

De notre humaine cécité,

Ce coeur du Songe où l'Ordre règne

Et reste pur d'avoir été

Celui que la Lumière baigne

D'une immuable Eternité ?