POÈMES DE JEUNESSE

 

 

Lilas (1935-1936)

Genitrix (1937-1938)

 

 

LILAS! (1935-1936)

 

Lilas ! En s'étouffant une brise agonise,

Dernier souffle malsain d'un jour lent à mourir,

Elle apporte en présent aux coeurs las de souffrir

La valse de lointains sanglots qui s'éternise...!

 

Lilas ! Des vérandas un parfum de Venise

S'échappe et lourdement s'étend comme un soupir,

Le parc entier frissonne et l'on entend courir

Un vibrement de luth que le soir divinise...!

 

Près des marbres veinés, penchants sur les bassins

Leurs grappes, les lilas, ivres, gonflés de brise,

Laissent d'âpres vapeurs s'exhaler de leurs seins.

 

- Et mon coeur, certains soirs, lamentablement las,

Fatigué de poursuivre un rêve qui le brise,

Pleure dans ma poitrine ainsi que des Lilas!

 

 


 

SOIR (1936)

 

La rose, dans le parc, s'assoupit sur sa tige.

Le lys au blanc calice exhale dans le soir

L'enivrante senteur de sa coupe où voltige

Le Phalène du Songe, au manteau peint de noir.

 

Sur le lac vaporeux, légèrement moiré,

Meurent de lourds parfums qui descendent des vignes;

Entre deux clapotis, comme un berceau nacré,

Par les roseaux dormants, se balance un grand cygne...

 

Le lys au blanc calice expire dans le soir;

Sur les roseaux s'étend l'odeur âcre des vignes;

Et par mon âme, où flotte une vague d'espoir,

Se berce un rêve calme et pur - comme un grand cygne!...

 


 

GENITRIX

((poème écrit en 1937-1938)

 

D'où vient cette immense harmonie

Dont le rythme religieux

Et l'éclatante mélodie

Enchantent la terre et les cieux ?

 

D'où vient cette brise lointaine

Qui passe et soulève les coeurs

Et qui porte dans son haleine

La chanson des nids dans les fleurs ?

 

Une essence inaccoutumée

Surgit de l'écorce des bois

D'où vient cette sève embaumée

Qui murmure comme des voix ?

 

Un parfum des mousses nouvelles

Pénètre les jeunes rameaux,

Et les oiseaux essaient leurs ailes

Au bord de leurs frêles berceaux.

 

Sur chaque branche une corolle

Jette son éclat triomphant ;

Par milliers, dans l'air pur s'envolent

Des bouquets de baisers d'enfant !

 

Les jardins d'aurore s'éveillent !

Viennent bientôt les fruits dorés !

Déjà les bruissantes abeilles

En essaims blonds et affairés

 

Distillent dans les ruches pleines

L'eau de la mer, le bleu du ciel,

Le suc des fleurs, l'eau des fontaines,

Changés en rayon de miel !

 

D'ineffables exhalaisons

Sortent des nids, montent des fleurs ;

Voici courir sur le gazon

Toute une folle floraison

De sons, de parfums, de couleurs !

 

Et par les campagnes fleuries,

A travers bois, par les prairies,

Sur les villes et les hameaux,

Comme un fleuve qui sort de terre

Monte et grandit dans le mystère

Un Cantique des temps nouveaux !

 

"Résurrection dans le brin d'herbe,

Dans le moucheron transparent,

Dans le fleuve aux ondes superbes

Et dans l'eau vive du torrent;

 

"Dans la plaine égale et fertile

Où roule l'or des nations ;

Dans le poisson, dans le reptile;

Dans le granit et dans l'argile,

Et dans l'homme : résurrection !

 

"Résurrection dans le nuage ;

Dans la pensée et dans le vent ;

Dans le roc qui fend les orages ;

Dans le sable ondoyant des plages ;

Dans l'éternel et le mouvant ;

 

"Dans l'oiseau qui vole et qui crie

Et fait son nid dans les éclairs ;

Dans l'âme qui pleure et qui prie,

Dans les souffrances de la chair

Et l'eau profonde de la mer ;

 

"Dans les caresses, dans les plaintes ;

Dans l'obscure germination

D'astres morts, de lunes éteintes,

De chairs d'enfants, d'âmes de saintes ;

Dans toute la création :

Résurrection ! Résurrection !"

 

Et par les campagnes voilées

D'une impalpable brume bleue,

Toutes les cloches des vallées,

Eclatantes, échevelées,

Dans le ciel se sont envolées

Comme des comètes à queue,

Tandis qu'absentes à mes yeux,

Les étoiles, prêtes d'éclore,

Commencent dans le noir des cieux

Un bruissement confus d'aurore !

 

Ce soir, comme la mer extatique étalait

Au couchant rouge et feu, sur la plage odorante,

Le dos gris perle et vert de sa vague mourante

En larges nappes d'eau, blanches comme du lait,

...............................un souffle de tempête

S'est levé tout-à-coup sur l'écume des eaux,

Faisant trembler les monts des pieds jusqu'à la tête

Et faisant dans les bois s'envoler les oiseaux.

La source s'agita plus vite dans la plaine

En courant sur les fleurs de berceaux en berceaux,

Et la lune, étalée au ciel comme une reine,

D'un plus parfait éclat inonda les côteaux.

Des rires, des parfums inconnus à la terre

Sortirent des sillons et des prés à la fois,

Chaque coeur pour aimer retrouvait son mystère,

Chaque âme pour prier retrouvait une voix ;

Et la lune, émergeant de l'ombre grandissante,

Apparut dans le ciel toute resplendissante,

Nous apportant dans l'or de ses rayons bénis

Le printemps des amours et la saison des nids !

..................................

Je vais aimer ! Je vais aimer ! Oh tous mes rêves

Dans mon coeur de vingt ans sur le point de fleurir,

Etoiles du printemps et vous, parfums et sèves,

Se peut-il qu'autrefois vous me faisiez souffrir?

Tout m'enchante, ce soir, la nature m'enivre,

Regarde, il n'y a plus aucun nuage aux cieux ;

Il me semble aujourd'hui que je commence à vivre

Tant j'ai de force au coeur et d'espoir dans les yeux !

Fallait-il si longtemps n'aimer que la souffrance,

O mon âme, et la bercer comme un enfant,

.....................................

Aimer ! Je vais aimer ! Oh que la nuit soit douce !

Que tout chante, tout prie et tout aime avec nous !

Que l'Ange de l'Amour en passant sur la mousse

Devant notre bonheur s'arrête à deux genoux !

Chantre des monts obscurs et des nobles vallées,

Ames de nos forêts, unissez vos concerts,

Dans les pâles parfums des roses envolées

Que vos chants d'allégresse emplissent l'univers !

Rossignol, lance-nous ton aubade à la lune,

Et toi, lyre d'amour, viens aussi nous charmer,

Fais tomber dans la nuit tes notes une à une,

Ma Belle va venir et nous allons aimer !

................................

Je vais aimer ! Je vais aimer ! Chante, ô mon Ame,

Chante sans te lasser jusqu'au lever du jour,

Mêle ta voix divine à ces concerts de flamme

Qui remplissent ces nuits d'Espérance et d'Amour !

Monde, réveille-toi ! Sors de ce froid silence

Où tont jeté la haine et l'incrédulité ;

Ecoute respirer cette nuit qui commence,

C'est une nuit d'amour et de félicité.

C'est la nuit où renaît dans un sursaut de sève,

A l'heure où le bourgeon se chrysalide en fleur,

Les désirs fous d'aimer et de vivre son rêve,

Trop longtemps contenus en germe dans les coeurs !

................................

 

Mais silence! De la vallée

Une musique lentement

S'est envolée

Elle se berce, douce, ailée,

Glisse, murmure exquisement,

Dans la nuit rose balancée

Comme un parfum de fiancée

Sous un rayon de firmament !

 

Et voici que la Nuit tout à coup s'illumine ;

Une lueur de joie a brillé dans les cieux,

Et l'écho qui s'en va de colline en colline

Répète aux vents calmés un nom mélodieux !

Une voix a chanté au creux de la fontaine

Où l'eau sourd en riant des lianes en fleurs,

Où la biche pesante, à la mamelle pleine,

Vient boire avec ses faons sur les mousses en pleurs.

.............................

 

Mais voici que je me sens tout un vent d'Atlantique

Pleins d'aromes salins, d'un élan magnifique,

Naître dans ma poitrine et tendre chaque chair

Comme une voile palpitante sur la mer !

Une folle vigueur me pénètre et me grise,

L'enivrement des sens et des divins plaisirs,

Impossible à dompter, met en moi son emprise,

Et j'écoute monter dans mon âme insoumise

Le flot tumultueux de mes anciens désirs !

Je reconnais la vie au frisson qui m'emporte:

A moi la force vive et la neuve clarté !

A moi l'extase ardente au sein de la beauté !

A moi l'espace vierge ! A moi la liberté !

Je ne subirai plus de freins d'aucune sorte !

Et l'esprit bondissant, je jette au vent joyeux

Tout ce qui n'est plus moi : mes rêves anxieux,

Cette fièvre sans fin qui me brûlait les yeux,

Mes regrets, mes chagrins, mes rires et mes jeux,

Et mon enfance, et mon enfance à jamais morte !

 

Voici le temps d'aimer ! Sous ta douce caresse,

Astre des Nuits de Mai, pâle et silencieux,

Mon Baiser vient ravir à la lèvre qu'il presse,

Comme un souffle d'Amour, un murmure des cieux !

Dans le bois qu'alanguit ta lumière laiteuse,

Où l'églantier fleuri chantera mon bonheur,

Je veux ravir au temps l'heure délicieuse

Où j'aurai pour moi seul une Enfant sur mon coeur !

Je veux, comme autrefois sur le sein de ma mère,

Enfant toujours souffrant et qui ne comprend pas,

Poser mon front rêveur contre une tête chère,

Et presser une Enfant fugitive en mes bras.

A la fièvre d'aimer du printemps qui soulève

Son voile de satin tout embaumé de fleurs,

Au parfum de jasmin qui s'abandonne au rêve,

Aux divines chansons des oiseaux querelleurs,

A tous ces grands désirs de bonheur et d'ivresse

Qui gonflent dans les coeurs au renouveau des bois,

Je veux répondre aussi par un cri de tendresse,

De mon immense Amour faire entendre la Voix !

Il est temps ! Il est temps ! Nature mets-toi belle,

Pare ton front serein de radieuse beauté,

Le Bonheur me sourit et mon rêve a des ailes,

Je vais aimer ce soir et pour l'Eternité !

 

"Oh! Je voudrais mourir dans le soir qui descend,

A l'heure où le soleil teint les bois de son sang,

Où dans l'ombre, tout bas, le coeur lassé soupire,

Où tout se berce, où tout s'endort, où tout expire !

Mourir en contemplant les pourpres des couchants,

Mourir en se laissant porter avec ivresse

Par les aveux d'amour, les plaintes et les chants,

Et les sanglots plus doux de mon âme en détresse !

Mourir le coeur gonflé d'azur et de parfums,

Un baiser caressant sur mes paupières closes,

Comme, les soirs d'Avril aux souvenirs défunts,

Pleines de doux désirs, doivent mourir les roses !

Vois l'Automne déjà qui pâlit dans mes yeux,

On ne distingue plus les plaintes des caresses ;

Ai-je donc de la terre épuisé les tendresses ?

Et des lambeaux de Nuit flottent dans mes cheveux !

Oh! mon Amant, dis-moi, toi que mon coeur adore,

Tandis que tu me tiens vivante dans mes bras,

Dis-moi s'il est des nuits qui n'ont jamais d'aurore

Et s'il est des printemps qui ne reviendront pas ?"

 

" Oh! Je voudrais mourir dans le soir qui descend,

A l'heure où le soleil teint les bois de son sang,

Où dans l'ombre, tout bas, le coeur lassé soupire,

Où tout se berce, où tout s'endort, où tout expire !

Mourir en contemplant les pourpres des couchants,

Mourir en se laissant porter avec ivresse

Par les aveux d'amour, les plaintes et les chants,

Et les sanglots plus doux de mon âme en détresse !

Mourir le coeur gonflé d'azur et de parfums,

Un baiser caressant sur mes paupières closes,

Comme, les soirs d'Avril aux souvenirs défunts,

Pleines de doux désirs, doivent mourir les roses !

Vois, l'Automne déjà qui pâlit dans mes yeux,

On ne distingue plus les plaintes des caresses ;

Ai-je donc de la terre épuisé les tendresses ?

Et des lambeaux de Nuit flottent dans mes cheveux !

Oh! mon Amant, dis-moi, toi que mon coeur adore,

Tandis que tu me tiens vivante dans mes bras,

Dis-moi s'il est des nuits qui n'ont jamais d'aurore

Et s'il est des regards qui ne reviendront pas ?"

 

 

PORTRAIT (1938)

 

Passant, arrête-là;

Ce portrait-là, c'est moi:

La démarche, l'allure

Sont exacte peinture;

On reconnait mon ombre

A des détails sans nombre

Sur le fin papier blanc; -

En somme, grosse bête,

Tout serait ressemblant,

Si ce n'était la tête!

(Mongazon, 1938)

 


POÈME DE LA RECOUVRANCE D'AMOUR

(1945)

(fragments)

 

N'écoute pas, et marche... - Si Mon Amour n'est rien,

que sera ton amour?

 

VEUILLEZ CONSIDÉRER, MAITRESSE DES MARÉES

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A Genitrix

 

 

Veuillez considérer, Maîtresse des marées,

O Mère des remous et des retournements,

Par tant de patience et de renoncements,

Sur haute mer enfin nos barques démarrées...

 

*

**

 

Car les temps ont changé et les chevaux du Nord,

Qui nous barraient la route, à présent nous protègent;

Leurs crinières au loin fuyantes, nous allègent;

Et nous considérons en paix les noirs tribords.

 

Avons-nous attendu cette Etoile Polaire

- Dieu sait! sur les ressacs où le sort nous conduit -

Qui devait nous montrer le chemin dans la nuit,

A travers la clarté des océans stellaires!

 

Car la mer remuante à présent nous proscrit;

On ne peut s'embarquer sans savoir dans la brume;

L'ouragan fait jaillir des montagnes d'écume

A travers quoi le ciel n'est plus qu'un vaste cri.

 

J'ai connu de ces eaux magnifiques et telles

Qu'on eut voulu les mettre un jour en un écrin;

Furieuses cependant sous le pied du marin,

Et qui se hérissaient lorsqu'on s'approchait d'elles.

 

Vingt fois j'ai pourchassé le Scorpion mauvais

De l'un à l'autre bord d'insondables abîmes;

Je me suis égaré sur d'effrayantes cimes;

- Et je sais aujourd'hui ce que d'autres savaient!

 

Et c'étaient chaque fois des aubes fantastiques,

O marins infortunés! sur les brisants épars,

Lorsqu'au travers des cieux crevants de toutes parts,

Le soleil s'étirait comme des élastiques.

 

C'était le jour rapide après la lente nuit,

L'Espoir hissé soudain jusqu'au mât de misaine,

La meute des oiseaux, criarde, par dizaine,

Et les hommes du bord, pour tromper leur ennui,

 

Plongeant dans l'eau de marbre, avec des gestes d'anges,

Et vifs comme des dieux, au fond des fiords amers,

Poursuivaient sans répit, jusqu'aux soirs longs et clairs,

Les dauphins au bas bleus, en des courses étranges!...

 

Et quand ils reposaient leurs membres étendus

D'avoir tant bataillé sur l'Océan mystique,

Du dernier moussaillon au loup de mer antique,

Chacun, confusément, en songes éperdus,

 

Sentait en lui monter, en gerbes d'étincelles,

Du fond de l'océan des âges incertains,

Comme un rappel des temps et réglant leurs destins

Le rajeunissement d'une force nouvelle.

 

J'ai connu ces plaisirs et ces vains ornements

D'une liquidité qui veut se faire belle,

Et ce rire insolent du vent dans les cervelles,

Et ces calmes soudains, pleins de gémissements...

 

A suivre...