Pages essentielles

 

Ces quelques pages n'ont pas pour but de donner de l'importance à ce que je pense ou à ce que je crois, mais seulement d'aider éventuellement à la compréhension de certains de mes poèmes surgis peut-être plus profondément que d'autres de ma nuit.

 

La transparence est peu-être la plus pure image de Dieu sur terre, en ce qu'elle est la seule réalité qui, comme Dieu, absorbe en elle pour les résorber dans l'unité de sa substance même, ces deux autres réalités contradictoires que sont ici-bas pour nous la lumière et la nuit.

 

Dieu est à l'intérieur de ma poésie comme la graine dans le fruit. Si vous ne l'y trouvez, c'est que le fruit n'est pas à la mesure de la graine qu'il enferme et qui est paradoxalement aussi la même que celle qui lui a permis d'exister.

 

A la vérité:

Toute ma poésie tend, explicitement ou implicitement, vers Dieu. Et tout ce que j'écris présuppose Dieu, comme Dieu sustente, secrètement ou solennelement, tout ce que j'écris.

 

 

 

D'origine paysanne vendéenne par ma mère et artisanale choletaise par mon père,

Je ne suis pas du tout un intellectuel, mais essentoiellement un manuel. A ce titre, je me sens beaucoup plus près des peintres que de la plupart des poètes qui m'entourent.

D'autant plus que, étant jeune, je voulais être sculpteur.

Et d'autant plus encore que, comme Cézanne, Monet, Van Gogh, etc. je pars toujours du concret et travaille toujours, comme eux, "sur le motif".

Ce qui m'a été donné "sur le motif", je le reprends ensuite chez moi, par touches difficiles et prudentes, et parfois osées, comme eux-mêmes le font.

Et cela, jusqu'à parvenir à une transposition d'âme, comme Cézanne.

Je suis donc un écrivain manuel qui se sert aussi de son âme pour écrire.

Bien insister sur le mot manuel.

Je suis un artisan: j'écris comme travaille un artisan.

J'écris, comme mon grand-père boulanger faisait autrefois son pain: je tourne mes poèmes. Mais non plus pour nourrir seulement le corps, mais l'âme.

La route des Crêtes, entre le Chêne Rond et les Rinfillières (Claire ferchaud), avec d'un côté la Crête des gardes et de l'autre la Crête de St-Michel-Mont-Mercure, et la grande Plage de Saint-Brévin-l'Océan, où je marche avec des papiers dans une poche et un stylo-bille dans l'autre, sont mes deux ateliers de création.

Mon Bureau de l'Impasse des Vignes n'est que mon atelier de finition.

Ainsi la table sur laquelle, chez moi, j'écris, n'est-elle pas à proprement parler un bureau, mais bel et bien mon établi.

 

 

- La très fréquente insistante répétition, chez moi, des mêmes rimes, dans un même poème, et qui est l'une des caractéristiques les plus visibles de ma manière - spontanément et comme inconsciemment peut-être même - d'écrire, vient sans doute de mon incoercible besoin d'accentuer au maximum la singularité particulière de chaque poème, son identité propre, et, par une cohésion toujours plus grande et infrangible de sa forme, de tenter d'aller - en l'"épuisant" - jusqu'au bout de la pensée qui l'habite, d'exprimer ainsi le plus possible de sa signification fondamentale, et donc, pour finir aussi, de son âme même!

Et de toute façon, je ne puis faire autrement.

 

- Je crois que la plupart de mes poèmes tirent une grande partie de leur force, s'ils en ont une, d'une certaine rapidité et imprévisibilité de leur débit, qui peuvent donner au lecteur une certaine impression de hasard et de nécessité intimement mêlés, comme dans la vie et la mort, et donc d'une certaine manière aussi: d'absolu.

 

- Ce sont les mots d'abord qui m'aiment, me cherchent, viennent à moi et me trouvent, et je ne les trouve moi-même, ne les reconnais et ne les aiment qu'après qu'ils m'aient eux-mêmes d'abord aimé, cherché et trouvé.

 

- Il n'est pas d'écriture qui vaille sans l'existence préalable de certains liens privilégiés et d'apparence irraisonnée (venus d'une quête réciproque secrète, ainsi que d'une attirance, d'une rencontre, d'une reconnaissance et d'un amour mutuels) entre certains mots - toujours fondamentalement les mêmes - et soi.

 

Dire mes vers lentement, très lentement, en articulant parfaitement toutes les syllabes des mots, sans oublier surtout les chères muettes qu'il convient de prolonger légèrement, avec un certain rythme "enroulé" qui m'est peut-être propre, et en liant infiniment les mots entre eux, de manière à ne faire de mes poèmes qu'une seule ) - spirituellement verticalisante - "coulée".

 

 

Hermétisme et clarté

 

Je ne crois pas plus, en art et ailleurs, à une clarté sans profondeur qu'à une profondeur sans clarté.

 

Je ne crois, au travers comme au-delà même de l'opacité des mots, qu'à cette transparence d'un mystère à la fois voilé et dévoilé, de laquelle Gustave Thibon a pu magnifiquement dire qu'elle seule était impénétrable.

 

Profondeur d'une lumière qui n'est elle-même que lumière de la profondeur - infrangiblement!

 

 

- Plus encore qu'aux rapports de rythmes, de sons et de nombres entre eux, je crois, dans un poème, à la prééminence absolue des rapports, - profondément secrets, insaisissables et troublants, bien que fulgurants et vrais, qui doivent alors exister entre la pensée et ces mêmes rythmes, sons et nombres-là qui lui permettent, en étant ce qu'ils sont, de devenir elle-même ce qu'elle est.

 

- fréquentes différences d'ordre, chez moi, dans l'utilisation de certains mots, ce qui n'exprime donc pas une contradiction dans les termes, mais relève de l'expression succssives de deux faces "contraires" ou "complémentaires" d'une même réalité.

 

Exemples:

Ici : nuit = apaisement.

Là : nuit = mal, malheur, désespoir.

 

Ici : soleil = ardeur faste.

Là : soleil = ardeur néfaste.

Etc...

 

Il n'y a donc pas ici contradiction fondamentale, mais, à partir de l'utilisation que l'on fait de certains mots, et en regard du Tout, balancement de complémentarités dans l'expression de la totalité d'une réalité donnée.

 

- L'utilisation fréquente dans mes poèmes de mots - dont je ne puis viscéralement longtemps me passer - comme : à jamais; jamais; déjà; toujours; désormais; encore; sans cesse; enfin...;

vient de ce qu'ils m'apparaissent, par la part d'irréversibilité même qu'ils portent en eux, comme des expressions privilégiées de l'irruption de l'abolu même dans le temps.

 

Ce qui me les rend du même coup indispensables à la genèse et à l'accomplissement desdits poèmes, au point que leur utilisation même prend l'allure alors pour moi, à l'intérieur déjà même de moi, d'une nécessité irrépressible.

 

- Les adverbes, fréquents dans mes poèmes, participent pour moi, dans mes vers, de l'expression de ma part d'ombre.

Ils font partie intégrante de cette "densité ailée" dont parle Gustave Thibon à propos de mes poèmes, en laquelle ils figurent le contrepoids à la fois instinctif et délibéré de ma pensée et de mon chant.

 

L'adverbe assure, à l'ensemble de mes poèmes, son équilibre et sa densité.

 

L'adverbe joue, dans cet ensemble, le rôle du plomb à la quille du bateau, sans laquelle il serait capable de naviguer.

 

Il donne non seulement une assise, mais une sorte de régularité à cette assise même; à la musique de l'ensemble même de mes poèmes, il ajoute aussi de la gravité.

 

La transparence même de mes poèmes et leur côté "feux de diamant" ne seraient jamais, par contraste intérieur, ce qu'ils sont, sans eux.

 

C'est ainsi du moins que je les vois. Ils sont, en tout cas, en moi, et je ne puis me passer d'eux.

 

- L'utilisation fréquente dans mes poèmes de mots - dont je ne puis viscéralement longtemps me passer - comme : à jamais; déjà ; toujours ; désormais ; encore ; sans cesse ; enfin...; vient de ce qu'ils m'apparaissent, par la part d'irréversibilité même qu'ils portent en eux, comme des expressions privilégiées de l'irruption de l'absolu même dans le temps.

 

Ils sauvent, d'une certaine manière et par là même alors, dans ce temps-même, toute la part de spirituellement relatif que mes poèemes eux-mêmes ne peuvent manquer de tenir immanquablement eux-mêmes de ce même temps.

 

Ce qui mes les rend du même coup indispensables à la genèse et à l'accomplissement desdits poèmes, au point que leur utilisation même prend l'allure alors pour moi, à l'intérieur déjà même de moi, d'une nécessité irrépressible.

 

- Les adverbes, fréquents dans mes poèmes, participent pour moi, dans mes vers, de l'expression de ma part d'ombre.

 

Ils font partie intégrante de cette "densité ailée" dont parle Gustave Thibon à propos de mes poèmes, en laquelle ils figurent le contrepoids à la fois instinctif et délibéré à tout risque d'une dilution musicale trop éthérée de ma pensée et de mon chant.

 

L'adverbe assure, à l'ensemble de mes poèmes, son équilibre et sa densité.

 

L'adverbe joue, dans cet ensemble, le rôle du plomb à la quille du bateau, sans laquelle il serait incapable de naviguer.

 

Il donne non seulement une assise, mais une sorte de régularité à cette assise même; à la musique de l'ensemble même de mes poèmes, il ajoute aussi de la gravité.

 

La transparence même de mes poèmes et leur côté "feux de diamant" ne seraient jamais, par contraste intérieur, ce qu'ils sont, sans eux.

 

C'est ainsi du moins que je les vois. Ils sont, en tout cas, en moi, et je ne puis me passer d'eux.

 

- Oui, il est temps de se débarrasser de Mallarmé.

Non pas de notre admiration très grande pour l'auteur de tant de chefs-d'oeuvre ni de son influence en ce qu'elle a pu réintroduire de rigueur diamantaire en notre poésie, mais du Mallarmé de ce chemin "d'inanité sonore" (on ne peut mieux dire) qu'il a si dangeureusement ouvert sous nos pas, en lequel tant de poètes d'aujourd'hui se sont engouffrés et qui ne pouvait conduire et ne conduit qu'à la résurrection de Babel et à la mort.

 

Sa célèbre formule sur la supériorité absolue, en poésie, du mot sur l'"idée" a conduit Mallarmé à une sorte de délirant et déchirante aphasie et certains de ses épigones à la ténébreuse incommunicabilité de l'abscons.

 

Car le mot, qui vient du fond des temps, séparé de sa substance spirituelle vitale même (sentiment ou idée) n'est plus qu'une coquille vide d'un sens qui est sa fondamentale raison d'être, et propre seulement alors à se laisser traverser par tous les souffles qu'il rencontre et qui ne viennent pas forcément tous de l'esprit.

 

Se servir d'autant plus parfaitement ailleurs de Mallarmé que l'on s'échappe ici plus souverainement de lui.

 

Les mots "donnés" ne respectent que ceux qui d'abord respectent les mots par eux secrètement attendus.

 

Sous prétexte que le poète écrit avec des mots, il n'est pas bon pour lui de donner tout pouvoir aux mots; et n'importe qui ne peut écrire n'importe comment sur n'importe quoi, sans risquer de n'écrire finalement que rien sur rien, et d'y perdre à la fois son langage et, à défaut peut-être de son âme, sa raison.

 

Il faut aérer de nouveau formellement et spirituellement le poème, lui rendre son souffle, son coeur et son âme avec son chant, sans sacrifier rien jamais de l'infrangible et pure rigueur qui ne doit cesser de le sustenter.

 

- "Tout peut naître ici-bas d'une attente infinie." Paul Valéry

En poésie, ne cherchant d'abord jamais rien, j'attends tout.

Et n'attendant jamais rien de précis, je reçois toujours ce que, sans le savoir, j'attendais.

Ce qui, chaque fois, je l'avoue, me surprenant comme quelque chose ne venant pas de moi, m'émerveille.

Et m'émerveille d'autant plus que j'ai chaque fois l'impression que j'aurais été absolument incapable d'écrire seul ce que j'ai alors écrit.

D'où cette autre impression toujours d'inéluctable et d'absolu que je ressens à chaque moment de la "miraculeuse" rencontre de l'attente et du don, lorsque, par exemple, me viennent, imprévisiblement et brusquement, des vers comme:

"Visage que le vent de haute mer ravage..."

ou

O mer,, me voici nu devant toi, sans visage..."

 

- En art, le "truc" ou l'"astuce", sans génie, n'est rien.

Car le génie est seul capable d'utiliser des trucs et des astuces comme personne d'autre ne le peut faire.

Mieux, il se crée généralement, lui-même et pour lui-même, par la force intérieure qui l'habite, contre laquelle il ne peut le plus souvent rien, ses propres "trucs" et ses propres "astuces" qu'il secrète du fond de ses propres abîmes d'âme, et qui ne sont finalement, pour lui, que du moi révélé.

Par quoi, on le reconnaît toujours irrécusablement.

Le "trux" et l'"astuce" participent alors de la "sincérité" de l'homme même, à laquelle, sous peine de risquer de se trahir ou de se détruire lui-même, il ne peut jamais véritablement tout à fait échapper.

 

- "Chacun de tes poèmes est construit comme un drame." Jean-Claude Renard

Oui

En ce sens que mes poèmes sont presque toujours construits autour d'un noeud central-charnière, duquel ils basculent, comme un drame, d'un mouvement qui les fait inéluctablement aller.

- du concret vers l'abstrait;

- du moins vers le plus;

- du physique vers le métaphysique;

- du visible vers l'invisible;

- du relatif vers l'absolu;

- du néant vers Dieu.

"Passage" ici d'un ordre vers un autre ordre, par instinctive plongée du fini dans l'infini - irrépressiblement.

Je ne puis faire autrement. c'est en moi, plus fort que moi.

A noter, après le mouvement de "rupture" central, la précipitation générale des rimes uniques et des rythmes vers une fin qui se trouve incluse déjà en eux-mêmes et qui devient alors inéluctable.

L'imprévisible du départ devient alors, sinon, au sens strict du terme, prévu, du moins implicitement et secrètement, comme tel, attendu, et donc nécessaire a posteriori, dans ce qui est déjà.

La difficulté est qu'il faut que la "chute" comble alors l'attente creusée dans l'âme par ce qui la précède et ne la décoive donc pas par rapport à ce que, sans le savoir clairement pourtant, elle en attendait.

Je ne suis plus maître alors de ma fin; comme je ne l'ai d'ailleurs jamais été véritablement non plus de mon poème dans son entier.

 

- Ce qui m'attire par-dessus tout, c'est la simplicité savante et lumineuse d'un Racine.

 

- Tout ce qui est important sur terre est "PASSAGE."

Un "PASSAGE" dont l'effet ne passe pas.

 

- Aller jusqu'au bout de l'idée:

De l'idée par les mots, et des mots par l'idée.

Tel est le sens de l'allongement éperdu de la fin de certains de mes poèmes.

Car le plus difficile pour que les mots -"données" dans les deux sens du terme - expriment toute la pensée, c'est paradoxalement de faire entrer la pensée dans ces mêmes mots qui la suscitent pour une grande part et sans lesquels non plus elle ne serait pas.

Car encore, on ne sort pas de mots "donnés", dans une forme "donnée", comme on veut; il est même presque toujours, pour ne pas dire toujours, une fois le mouvement verbal et de la pensée conjointement en marche, d'en sortir.

Ce qui donne chaque fois une d'autant plus grande impression de nécessité, donc d'absolu, au poème en question.

 

- Quand je dis moi-même mes vers, je procède, dans mes poèmes d'une seule longue coulée de peu de rimes, à de brêves coupures respiratoires - fugitives mais suffisantes - qui en assurent le sens en l'éclairant et servent en même temps d'une sorte de tremplin qui nous projette si nécessaire vers une nouvelle semblable brève halte d'air et d'âme, - jusqu'à finalement et de toute façon cette chute que tout ce qui la précède doit rendre à la fois désirable et désirée.

 

- Le "remuement d'âme" des mots!

 

- Spiritualiser le concret pour lui donner une dimension qu'implicitement il a, mais que la plupart du temps au premier regard il n'a pas.

 

-"Attendre, quand on écrit, que le mot juste vienne de lui-même se placer sous la plume, en repoussant les mots insuffisants." Simone Weil.

Ainsi ne cessai-je de faire avec mes poèmes non terminés, attendant pendant des jours, des mois et, pour certains, des années, que vienne, ici ou là, ce qui doit irrécusablement venir et qui n'est pas encore venu.

Attente active et participante, sans toujours parfaitement le savoir bien que le pressentant pourtant secrètement, de la venue de ce qui doit venir.

Car on ne reçoit bien que ce que l'on attend profondément, et l'on attend vraiment bien que ce que l'on est vraiment digne de recevoir.

Ce qui veut dire aussi qu'il n'est pas de surcroît possible d'existence à rien qui ne procède d'une existence virtuelle et préalable à ce qui n'est pas encore mais, à un moment donné, sera.

 

- La fébrilité, soeur de l'avidité, tue toute sérénité, et toute manifestation véritable d'éternité dans le temps.

 

- Oeuvres majeures: solidité=sérénité=éternité.

Au-delà même des manifestations tumultueuses ou tourmentées de leurs formes;

Sérénité=liberté supérieure.

Et liberté supérieure, par l'effacement du relatif=sérénité: Dieu n'est pas loin.

 

-Pressentiment: moyen ultime de connaissance ultime.

 

-"La création est de l'ordre de l'être spirituel et même la preuve de l'existence de cet être spirituel."

Andreï Tarkovski.

 

- L'art, dans la mesure où il touche le coeur, l'esprit ou l'âme de l'homme, ne peut être considéré comme neutre.

La création artisitique est, qu'on le veuille ou non et de par son existence même, un acte moral.

C'est dans ce sens d'ailleurs que Picasso disait: "Je ne construis pas, je détruis."

Ce qui implique une direction de la volonté qui nie la liberté absolue et comme absolument abstraite de la création.

Car, depuis le commencement du monde, rien ne vient plus de rien.

La liberté de l'artiste se trouve donc limitée par la liberté même de celui qui juge de sa création, à commencer par lui-même.

La vérité, c'est que toute création artistique digne de ce nom n'est jamais que l'irrécusable reflet de l'âme de son auteur, - sans lequel elle serait tout autre que ce qu'elle est, - à un moment donné et en des lieux donnés de son existence.

 

- Pour moi, je tente, par l'écriture, d'exorciser sans cesse les ténèbres de mes gouffres et mon volcan intérieur par des musiques le plus possiblement lumineuses et calmes.

Ce qui sauve mes poèmes en me sauvant!

Ce qui veut dire encore que la création artistique ne devient - mais inéluctablement - un acte moral qu'après coup.

La création artistique ne fait que prolonger dans le temps de l'existant momentané sur lequel elle s'est greffée.

Comme moi, mes poèmes portent en quelque manière, en eux: la vie et la mort; les ténèbres et la lumière; le rien et le Tout.

 

- La nature est un vivier de réalités spirituelles aussi prodigieux qu'inépuisable.

L'invisible l'habite inexprimablement.

Cet invisible que la poésie a pour mission essentielles, à mes yeux, de révéler.

La nature nous met en contact avec l'Origine: ce Commencement du Monde que nous sommes en train de vivre nous-mêmes en ce moment: d'un Monde qui ne finira jamais, jusqu'à sa fin, par des recommencements sans fin, de commencer.

Sans la nature, qui est au point de départ extérieur de la quasi-totalité de mes poèmes, ma poésie n'existerait pas.

Tous mes poèmes ne sont que le fruit de la rencontre d'un moment de mon âme avec un moment du temps.

De la sorte, ils ne sont tous, en dehors de moi, qu'une émanation du concret.

Je suis incapable d'écrire rien sans voir, entendre, sentir concrètement ce grâce à quoi le poème imprévisiblement et brusquement se déclenche en moi.

Une seconde avant que ne me viennent, par exemple, devant la mer, une suite de vers commençant par:

"Visage que le vent de haute mer ravage..."

ou

"O mer, me voici nu devant toi, sans visage...",

je ne savais pas que quelque chose viendrait, ni quoi, et si même quelque chose viendrait, que, alors, je ne cherche pas!

Je ne suis rien sans la rencontre de ce qui est moi avec ce qui n'est pas encore moi mais qui va bientôt, d'une certaine profonde manière, devenir moi, en restant lui.

D'une certaine manière: dans l'invisible, par et pour le visible.

- "La distance est l'âme du beau" Simone Weil.

C'est le "Noli me tangere", "Ne me touche pas" du Christ à Marie-Madeleine après sa Résurrection.

Rendre l'art mentalement intouchable.

Si beau qu'il enlève tout désir même de le toucher, par crainte du risque de le détruire.

Ne pas rendre l'art proche, mais lointain; le rendre d'autant plus spirituellement proche qu'il apparaît physiquement plus lointain, c'est-à-dire physiquement plus intouchable.

Aimer ce qu'on serait incapable, par Amour, de détruire.

Toujours le prodigieux, vertigineux, insondable "Noli me tangere" du Christ.

LA BEAUTE ABSOLUE REQUIERT LA DISTANCE ABSOLUE.

La distance étant naturellement ici d'ordre spirituel, ce qui lui donne une dimension quasi-religieuse et le rend irréductible à rien.

 

-Les plus miraculeux moments de Racine ne sont peut-être pas ceux qui semble le plus spectaculairement l'être.

 

L'air des cimes seul, en art, vaut d'être indéfiniment et infiniment repiré.

 

- Pour écrire quelque chose qui vaille, il y faut une attention dévoratrice de tout ce dont l'oeuvre, naturellement, se nourrit.

 

- Tout ce qui n'est pas formellement clos sur une intériorité sans limite est inachevé.

 

-Avoir perpétuellement horreur de l'à-peu-près, qui n'est que l'inachevé, et qui participe donc fondamentelement de l'avorté.

 

- L'art enseigne sans le dire - et se tue en le disant.

 

- Je n'écris jamais, puisque - au moins dans ma tête - j'écris tout le temps.

 

- Je ne suis jamais seul quand je suis seul avec moi, puisque tout l'univers, et Dieu même, si je le veux, habitent, d'une certaine manière autant que d'une manière certaine, en moi.

 

- La quasi-totalité de mes poèmes se terminent par un point d'exclamation!

?

Carzou à qui je demandais pourquoi il couvrait la plupart de ses tableaux de petits traits et de poiutillés, m'a répondu: "Parce que je ne peux pas faire autrement."

Moi non plus.

 

Chacun de mes poèmes forme un tout et doit être considéré comme tel, en son entier

 

Cependant, chacun de mes recueils est formé de poèmes qui s'aiment, s'appellent et se correspondent entre eux et forment à leur tour un tout à l'intérieur d'un ensemble qui va toujours du plus au moins, des ténèbres à la lumière, et dont l'unité tient à cette cohérente dynamique même d'un verbe qui, sous la diversité des apparences, fondamentelement pourtant toujours, avec lui-même, ne fait qu'un.

 

- Chacun de mes vers, chacun de mes poèmes, chacun de mes recueils sont considérés par moi comme des êtres vivants.

Des êtres, formellement clos, vivant, en dehors de moi, à partir de moi, leur propre vie d'incarnés.

 

L'avenir ne prolonge que de l'existant sur lequel l'instant se greffe: ainsi de l'oeuvre d'art.

 

Si le simple - au sens fort du terme - est le plus difficile en art, c'est qu'il ne supporte aucun truquage de la forme comme de la pensée.

 

- Si on aime ce que j'écris: on me lit; si on ne l'aime pas: on le laisse. C'est aussi simple que cela.

Je ne changerai rien de moi pour plaire jamais à quiconque, en ce domaine.

 

- "Tout peut naître ici-bas d'une attente infinie." Paul Valéry.

Cette attente ardente est peut-être le moment le plus important de la création; celui qui rend encore possible tous les possibles, et dont un seul pourtant sera l'élu.

La présence spirituellement et chanellement frémissante et douloureuse - comme d'un accouchement - en soi de ce vide intérieur d'une attente qui crée comme un appel d'air pour tout ce qui n'est pas encore, et donc pas encore elle, et qui s'apprête bientôt pourtant à la remplir.

C'est ce "moule" virtuel encore donc informe et dans l'attente de ce qui paradoxalement l'informera en s'informant lui-même aussi par lui.

 

- "Le théâtre immobile est le seul vraiment beau." Simone Weil.

Comme tout grand art, dans sa plus irréductible part; - qui est sa part spirituelle, mais dont l'irréductibilité se trouve confortée lorsque la forme, elle-même infrangible, contribue grandement d'emblée à l'oeuvre comme un reflet d'éternité.

 

- Quoi que l'on dise ou fasse, la poésie majeure, de par sa particulière incantation même, n'est pas exactement du même ordre que la prose majeure. Et si l'on ne peut exiger d'un prosateur majeur qu'il n'écrive, s'il s'y livre, de la poésie majeure; on ne peut pas ne pas attendre d'un poète majeur qu'il n'écrive, dans le prolongement de sa poésie même, de la prose majeure: car on ne pardonne pas au plus de ne pouvoir le moins.

 

-La véritable oeuvre d'art n'a pas pour mission fondamentale d'assouvir mais de creuser toujours davantage au contraire la soif d'âme de qui la contemple ou la crée, jusqu'à faire toujours davantage mais toujours plus lointainement aussi pressentir ici-bas à cette même âme l'inaccessible autant qu'infinie réalité même de sa Source.

 

- Mon vocabulaire poétique risque de paraître moins important qu'il n'est:

1°/ Parce que je n'utilise volontairement que des mots simples, et le plus souvent même que des mots usuels, et que les mots simples et usuels sont toujours, par leur nature même, les plus effacés.

2°/ Parce que je m'efforce toujours - si je n'y réussis pas absolument - de les employer simplement, c'est-à-dire d'une manière qui ne soit pas particulièrement alambiquée.

3°/ Parce que mon utilisation assez fréquente , ou même très fréquente, d'un certain nombre de mots clés: ombre, âme, mer, fol, astre; déjà, jamais, encore...; contribue à banaliser davantage encore l'ensemble des mots - même moins communs - qui les entourent.

4°/ Parce que j'écarte presque automatiquement et systématiquement les mots trop compliqués, savants, difficiles à saisir ou prétentieux dont j'ai tout naturellement et comme viscéralement horreur, auxquels je reproche, en (entre?) autre chose, de briser généralement dans le poème le tissu le plus simple et le plus douloureusement palpitant des choses.

Très rares sont les mots que j'utilise et que les personnes simples puissent ne pas comprendre.

La diversité réelle des mots - toujours simples - de mon vocabulaire poétique m'est presque toujours donné par la diversité même des "thèmes" que la nature elle-même instinctivement et spontanément me fournit.

 

- Chacun de mes poèmes est à prendre tel qu'il est et dans son entier.

La répétition éventuelle de mêmes formules - dans la mesure où elles sont de moi - en des poèmes différents ne me gêne pas, puisque le contexte en est chaque fois différent, ce qui en change chaque fois la portée.

 

- Il faut bien qu'il y ait de la laideur quelque part, puisque l'homme ne peut s'empêcher de parler par ailleurs de beauté.

A moins que la laideur ne se trouve alors finalement cachée que dans le fond des âmes de ceux qui disent qu'elle n'existe pas.

 

- Il est primordial de retrouver, en poésie, le chant, un certain chant; non seulement parce que l'âme en est la source et que le sens des mots n'est jamais exactement le même sans lui, mais encore parce que le chant se trouve, dans tous les sens du terme, à la source même de l'âme.

 

- Oui, je crois profondément et j'allais dire absolument au classicisme, c'est-à-dire à cette manière d'être d'un art qui, né du temps et donc fils du temps, enferme irrécusablement en lui une part aussi d'éternité. Cet appel vers un au-delà de la limite qui est aussi la suprême justification même de toute limite; par soif d'une Lumière en dehors de toute périssable lumière et de toute nuit, et qui ne s'éteint pas. Car l'art classique n'est pas d'hier, mais de toujours. Ce qui l'habite, c'est la durée, parce que la forme qui le sustente, aussi longtemps qu'il en reste quelque chose de suffisant comme signe, participe de l'éternelle aventure de l'immortel esprit.

Art classique: celui qui crée des attentes qu'il assouvit.

Incarner le mystère, - jusqu'à rendre mystérieuse l'incarnation.

Il n'est de seul et définitif salut de ce qui meurt que du côté de l'invisible.

 

- Prendre ses distances et de la distance vis-à-vis de soi-même, de quoi que ce soit d'autre et donc de son oeuvre même, c'est en prendre aussi la mesure: on ne juge bien de rien que d'une distance juste: juste par rapport à ce rien, ce qu'il faut de distance pour qu'elle aiguise le regard sans le voiler.

 

- Si une traduction de poèmes est une entreprise difficile et pour ne pas dire à la limite insurmontable, c'est parce que la charge émotionnelle proprement impondérable de toute poésie véritable se trouve paradoxalement liée - au-delà même de tout sens - à tout un ensemble de combinaisons de rythmes et de sons physiquement bien définis et tout à fait intransposable en toute autre langue, et sans lesquels pourtant rien ici de ce qui existe ne serait exactement ce qu'il est.

 

- "Coeur toujours trop précipité!"

A souhaiter que notre pauvre coeur puisse s'arrêter un jour ne fût-ce qu'un instant de battre, - sans en mourir!

 

- Je crois, en art, à la vertu absolue de la transparence.

La transparence est, en art, ce qui nous fait voir, avec les yeux de l'âme, ce que, dans les êtres et les choses, avec les yeux du corps, on ne voit pas.

La transparence met infiniment l'âme du monde - en quelque sorte et pour le plus profond secret et ravissement de notre âme même - à portée de nos yeux.

Et il ne faut pas seulement parler de l'insondable profondeur, mais encore, formellement et spirituellement, de l'"élégance", de la musicale et suprême "élégance" (sans laquelle, comme telle, elle ne serait pas) de la transparence.

 

- Je crois, jusqu'à l'angoisse, que tout ce qui est ultime - et qui, finalement seul compte - en l'être, est simple: fondamentalement, irréductiblement simple.

Je dis: jusqu'à l'angoisse, parce que le simple dont je parle, qui est le contraire même du "facile", ne peut jamais être le fruit que d'une conquête - douloureusement déchirante, ardente et "sacrifiante" - mais, dans son ordre, absolue, sur le relatif qui se propage en dehors de nous et en nous, et par là-même d'une certaine manière en définitive aussi, sur la mort.

 

- "Entre deux mots, il faut choisir le moindre." Paul Valéry.

L'effacement de la surface au profit du surgissement, de la "révélation" de la profondeur.

 

- "Un rien imperceptible, et tout est déplacé." Henri de Montherlant.

Dans la vie comme en art, c'est presque toujours à partir de petits coups répétés d'apparent "néant" que l'on meurt ou que l'on s'éternise.

 

- Le style, en définitive: autant un prétexte qu'un instrument; en même temps que l'instrument d'un prétexte.

 

- Possible et possiblement tragique (selon comment elle est considérée) alternative:

"Plénitude et Destruction": le Tout à la merci du rien; le rien comme condition du Tout!

 

- Toute réalité d'ici-bas porte en soi, à des degrés différents, soi et son contraire.

Sa part de lumière et sa part de nuit.

Et les deux sont - simultanément ou à des moments différents - aussi vraies l'une que l'autre en cela qui ne forme qu'un.

Cet un qui est parfois plus nuit que lumière, et d'autre fois plus lumière que nuit, mais qui n'est jamais totalement que lumière ou que nuit, sous peine, terrestrement, de n'exister plus.

 

- Je crois que tout, dans le visible comme dans l'invisible, est dans tout.

Et donc que la lumière et les ténèbres ici-bas ne font qu'un, mais que, d'essence divine, la lumière, au sein de leur coexistence même, finit toujours par l'emporter sur les ténèbres.

Tout est dans tout; et tout, selon les circonstances ou les éclairages, sans forcément équivaloir chaque fois à son contraire, peut remplacer tout; et tout mène - fut-ce, en apparence, contradictoirement - au TOUT.

 

- Non pas, dans un poème, une ambivalence du sens des mots, avec tout ce que cette ambivalence peut comporter d'équivoque, de trouble et même éventuellement de faux, donc de mort, mais, par la nature même et une particulière mise en situation de certains mots dans une phrase donnée, une multiplicité secrète de "sens" de ces mêmes mots par la diversité quasiment infinie même du prolongement de ce même "sens" dans l'âme qui le reçoit, et qui en élargit indéfiniment alors dans cette même âme la portée.

 

- J'évoque plutôt que je ne décris. Et si je décris, je ne décris jamais pour seulement décrire, mais pour faire spontanément surgir, à partir de la rencontre, à un moment donné, de ce que je suis avec ce que je vois, quelque chose de ce que misérablement je sens, pressens et "sais".

L'accident extérieur n'agissant ici que comme révélateur formel de ce qui se passe en moi, comme mon miroir, ou mon reflet, ou mon double, et finalement comme mon explication et ma justification objective, hors de moi.