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O TOI, que le vent glace!...
A la pluie,
au vent ;
à l'angoisse,
au doute ;
à la souffrance,
à la mort ; -
à Dieu !
A ma mère et à mon père -
et à tous ceux des miens qui m'ont précédé
dans le temps et dans l'éternité.
Plus profond que le silence,
Plus aiguisé que la mer,
Plus secret que la souffrance :
Ainsi mon propre désert.
Faut-il donc que la mer à boire
Soit moins vaste que mon coeur fou,
Pour que je puisse d'un seul coup
L'engloutir toute en ma mémoire ?
Au fil du temps court la mémoire ; -
Court la mémoire au fil du temps...
Est-il sur terre dérisoire
Soleil d'impérissable gloire ?
Où vont les fleuves, les autans,
Et de mon âme où va l'histoire ?
Ah ! donne-moi la mer à boire !
Il n'est de songe qu'illusoire :
Comme l'amour au fil du temps,
Au fil du temps court la mémoire...
Tu dors, d'un sommeil triste et doux,
Comme une chatte qui ronronne
Au coin du feu tranquille où dorment
Les abeilles du soleil d'Août...
Dans un soleil qu'éperonne
Pourtant du foyer clair où bout
L'âme des flammes multiformes,
Le ronflement du poële roux.
La nature se cherche en cet hiver qui tarde ;
Nul gel ne vient encor sur les rameaux pliés
Donner au givre aigu l'aspect des hallebardes ;
Mais sur un fond tremblant de lumière, regarde ;
La brume s'effiloche aux mains des peupliers.
Si donc, belle Rageuse,
Dextre ne vient t'extraire
De l'irritant mystère
De la caverne creuse
Où tu mènes ta guerre,
Par haute soif solaire
D'une amour furieuse,
Sans nullement t'en faire
D'un mal qui désespère,
Tu fiches tout par terre
D'une minute heureuse !
Au tendre aiguail d'Avril sur la prairie,
Maître siffleur, enhardi par l'aurore
Et le coeur plein de haute moquerie,
D'une sonore et claire pierrerie,
Perce l'oreille, en son effronterie,
Jusqu'où le songe en secret s'élabore...
OH ! LA TENDRESSE DE SURVIVRE...
Oh ! la tendresse de survivre
En ce printemps d'orage là,
Quand le vent pur qui nous délivre
De l'âme en cette peur qu'elle a,
Se désaltère d'un ciel ivre
De l'âpre neige des lilas !
Soleil cerné de tout côté
Par les murmures de l'été !
Dans un bruissement d'abeilles,
Coeur de silence, tu t'éveilles
Aux jeunes rires éperdus
Jaillis, des arbres suspendus
Aux lèvres pures de l'éther
Jusqu'à ce tremblement de l'air
Où se libèrent, cadencées
Selon le rythme de ma chair,
Telles enfin qu'un oiseau clair,
D'un vol lucide, mes pensées !
Soleil ! Soleil quand tu bascules
D'une chute splendide à voir
En cet espace qui recule
Jusqu'au suprême horizon noir,
Se désagrège le silence
D'une incroyable pureté
D'un azur dont la transparence
Me traversait comme une lance
Le coeur pourtant de connivence
Avec le coeur du bel été !
Bouche difforme
Qui n'aboya
En l'ombre énorme,
Qu'un nom : Goya !
Friable reste de l'été!...
Le vent désemparé soulève
Du sein du roc d'ombre irrité
Tout le fantôme démâté
D'un bateau brusquement jeté
Comme fêtu de paille ou rêve
Contre le ciel épouvanté !
La mer qui soulevait ses vagues déchirantes
Au-dessus de l'abîme où plongent les îlots,
Me semblait rêver d'être avec ses vastes flots
Et ma douceur de croire aux eau désaltérantes,
Cet appel de fraîcheur aux profondeurs mourantes
Où s'en viendraient dormir le coeur des matelots...
Ivre, sur l'invible faune
Que le vent roule dans son pli,
L'irréel vol, inaccompli,
D'un papillon dont l'aile jaune
Dans la lumière resplendit !
- Ah ! dévorer ainsi l'espace
Illimité que nous prédit
Le haut mirage de midi,
Quand le soleil, de place en place,
Allume au ciel son feu maudit ! -
Dans un vertige, il danse, il tangue
Vers le grand large épanoui,
Au ras des vagues, réjoui, -
Lorsque la mer, d'un coup de langue,
En son abîme l'engloutit.
Beau papillon, flamme légère,
Voleur des sites interdits,
Tout comme moi, - je te bénis
D'oser aller, à ta manière,
Perdre ton âme coutumière
Aux jeux des songes infinis !
Un vent désespérant souffle les feuilles vertes.
Quel après-midi lourd après celui d'hier !
Le feu, par les taillis, mène l'ombre à sa perte ;
Et brûle, l'arbre seul, inébranlable et fier !
La ronde des oiseaux dans l'air pullule et crie
Sur l'évident néant des nids au mal offerts ; -
Et rien ne reste plus, en ce béant désert,
De vivant que ce bleu par où toute âme prie,
S'engouffre presque morte et, folle, monte vers
L'inexorable nudité de l'Univers !
Qui suis-je ? Où vais-je ?
Printemps ou neige ?
O vérité !
Le vent m'assiège -
Qui désagrège
De sa clarté
Le privilège
Qu'un souffle allège,
De mon été !
Arbre, nuage !...
O ma raison,
Lorsqu'au frisson
De la saison
L'or déménage !...
A l'horizon
De ma prison
Qu'Amour surnage !...
Entre mon âge
Et le nuage
Filez, mirage,
A l'horizon !...
Et vous, toison
De mon visage !...
Volé, volage :
De ma saison
Qu'un souffle ombrage, Ne reste en cage
Que plume, en gage
De ma raison !...
Toutes choses s'en vont d'un rythme essentiel
Depuis qu'abeille aux prés n'amasse plus le miel :
Le soleil de nouveau tourne au bord de l'espace ;
La grive dans l'air vif coupe un morceau de ciel ;
La chèvre broute à peine un reste d'herbe, lasse ;
Le poisson se sent pris d'un gel torrentiel ;
Plus lentement, sur son chemin, chaque être passe ; -
Et l'homme considère, en cet instant, sa trace...
Ton visage pour moi
S'efface dans le temps ;
Derrière le printemps
Qui nous ouvre l'orage,
O mon Ami, parti
Pour quel lointain voyage,
N'entends-tu pas en toi
Mon âme qui t'attend
T'appeler au plus creux
Du noir et du naufrage
Pour te soustraire au sort
Affreux qui te surprend ?
N'entends-tu pas mon cri
Qui te traverse, quand,
Au milieu de la nuit
Luttant avec courage,
Malgré mon souvenir
Qui t'aime et te défend,
Derrière le printemps
Qui nous ouvre l'orage,
Ton visage pour moi
S'efface dans le temps ?
Océan soulevé d'écume
Et malmené par le vent fort,
Semblable au mal qui me consume,
Délivre-moi, quand je te hume,
Des folles vagues de la mort !
La mort des mots - ô mort des mondes ! -
Qui meurent tous à tous propos
De folles lèvres infécondes
D'hommes sans fin qui les confondent, -
Quand il n'est pas une seconde
De révélation profonde
De rien sur quoi l'âme se fonde,
Au-delà de la mort des mots !
Jaune fumée ; arbre transi ;
Petit vent sec et, sur ma tête,
Le coton d'un nuage aussi ;
Un ciel morose qui s'embête
A dorer cette vitre-ci
Et mon lit même, comme si
Tout allait se changer en fête ! -
Mais, ô mon âme, quelle quête
Te comblerait d'ivresse ainsi,
Lorsqu'en toi-même, sans merci
Donc à toutes les ruses prête,
S'installe encore la conquête
D'un mortel et secret souci ?
Du tréfonds de moi-même, ô vague lancinante
Qui t'agites dans l'âme en sinueux ressacs,
Eternellement belle et bellement démente,
Toi que n'habite pas le calme pur des lacs,
Tu surgis à la face innocemment glacée
D'un univers placide et lisse comme un ciel,
Lorsque plus rien ne vient en sa course tracée
Troubler le mouvement de l'astre essentiel. -
O vague ensorcelante et cependant pareille
A tous les tourbillons des heures d'autrefois,
Déjà n'étais-tu pas au creux de mon oreille
Cette voix pleine d'ombre et qui couvrait ma voix ?
Au point-rupture
Le mal est fait,
Qui d'aventure
Se tenait prêt
A fendre l'âme
De son stylet
De fer, de flamme !...
O brusque drame
Que recelait
Ce masque d'ange -
Au fond duquel
Un flot de fange
De forme étrange
Noyait le ciel !
Matin frémissant
De lueurs secrètes...
Les courses du sang
Seront-elles prêtes
En ce coeur rêvant
De plus folles fêtes,
A couvrir le champ
De ce jour levant
Sur nos frêles têtes ?
Glissent de la vie à la mort
Le moi secret et la figure
Dont le revêt ce pauvre corps ; -
Mais cette mémorable usure
Qui nous entraîne sans effort
Au terme clair de l'aventure,
Donne parfois à ce qui dure
L'impression contre nature
Que néanmoins la créature
Va découvrir un nouveau port.
Soir fuyant de mélancolie :
Comme d'une liqueur la lie ;
Comme la feuille au vent se plie ;
Comme une étoile qu'on oublie ;
Comme la gloire inaccomplie
De quelque amour qui se délie ;
Comme la vitre dépolie
Ne laisse voir de l'embolie
D'un sombre soir, - que la folie !
Ciels livides qui pourchassez
Mon âme vive sur la lande,
Par les taillis, dans les fossés,
Jusqu'en l'abîme où vont par bandes
Mourir les songes effacés,
N'en avez-vous jamais assez
De me traîner au long des haies
Sans que plus rien ne me défende
Et de jeter comme une offrande
Au Mal obscur qui le demande
La bouche ouverte de mes plaies ?
Nocturne feu qui me prend et dévore
L'âme et le corps intérieurement,
De telle sorte enfin qu'il n'est encore
Et ne sera pour moi d'apaisement
Aussi longtemps que la douleur me dure
De vivre ainsi que celui-là dément
De ne savoir s'il est d'essence pure
Ou de soleil sombre éternellement,
Jusqu'à ce que s'élève obscurément
Du fond de moi peut-être quelque aurore
Qui me délivrera de mon tourment.
Ombre fugace
Derrière moi...
Passe l'espace
Des vains "pourquoi?" ;
Aucune trace
De nul émoi
Au vent de glace
Et d'âpre effroi ;
Du ciel rapace
Ultime froid
Qui tout efface :
En cette place,
Par volte-face,
La mort du roi !
Désastre d'ombre ! Solitude
A la mesure d'un néant
Dont la mortelle plénitude
Ouvre dans l'âme un trou béant -
A faire sourdre l'anathème
Au centre ultime de ce coeur
D'où se répand la sève blême
Et frémissante du malheur,
Quand il n'est plus de songe riche
Que du seul cri de la douleur
Et qu'il ne reste en l'être en friche
Qu'un avalanche de pâleur
Et que détresse amère et folle
A ne respirer plus jamais
Dans l'air ténu comme une obole
Que cette absence désormais
De force immense et de parole
D'un dieu vorace qui me vole
Au plus profond de mes secrets
Ce peu d'espace que j'aimais
D'amour encor qui me console
Du pur silence de ses traits !
Des chevaux pâliront sur la lande obscurcie,
De lointains ouragans ravageront le soir,
Du ciel vain tombera comme une morne suie,
Des hommes passeront près de moi sans me voir ;
Des soleils glisseront sur toute sépulture
Comme si le désert à leurs rayons s'offrait,
Et la chair frémissante et l'âme qui souffrait
Sembleront à jamais perdus dans l'aventure ;
Flottera du néant l'apparente peinture
Sur ce monde qu'enfin ta flamme désirait,
Et la mal qui toujours ton être dévorait
Paraîtra d'un grand calme apaiser ta nature ;
Rien des flots ni du vent perdu dans la forêt,
- Non plus que du mensonge encore la souillure, -
Ni même de la haine ainsi que du regret,
Ne viendra tourmenter ma navrante blessure ;
L'univers sera tel alors que le serait
Un ciel privé d'étoile et de la créature ;
Et, comme d'un joyau dans l'ombre brillerait
Le solitaire éclat de son absence pure,
De mon coeur enfermé dans un écrin secret
Nulle clé n'ouvrira la porte sans serrure.
Ferme la porte à qui viendra
Te reparler de l'aventure ;
Plus de toi-même rien ne dure :
Perdus la tête et les deux bras !
Et l'esprit même avec le reste !
La gangrène a semé jusqu'où
Palpite l'être - d'un seul coup -
Son oeil ardent comme la peste.
Arrière de moi, toi,Toison !
Furie aux mains de servitude!
Un relent de décrépitude
Court au travers de la maison.
Et l'âme! l'âme! l'âme! l'âme!
Que fait-elle dans tout cela ?
Et de quel mal meurt-elle, hélas ?
Quand les chiens de l'abîme clament !
Ecrasez-moi cette méduse
Dont le front cerné de sueurs
Imprime des sursauts vbainqueurs
A ce coeur fou que je récuse ! -
Ah ! retrouver dans le matin
Au bord d'une fontaine verte
Cette eau dont on croyait la perte
Irrémédiable, - au jour éteint !
ELEMENTAIRE FLAMME!...
Elémentaire flamme ! automnale semence !
O Mort par qui l'été devient feu recouvert !
Le cycle par toi seule à jamais recommence,
Qui fait mûrir la cendre au coeur du vieil hiver !
Plus que détoiles
Au fond d'un coeur,
Cette chaleur
Dedans nos moelles,
D'un feu vainqueur ! -
Gonflez, mes voiles,
D'un vent meilleur !...
Libre, la cîme des pins calmes
Où s'abrite mon océan; -
Loin du passage au ciel béant
Avec un mouvement de palmes
D'oiseaux voguant vers le néant,
D'un impassible vol géant...
Qu'importe l'ombre et l'aventure
Où ton silence s'engouffrait,
Si l'unité de ta nature
- Dans les limites d'une épure,
Par le seul jeu d'une écriture -
A ton regard enfin s'offrait !
Les jours et les nuits
Hors de la mémoire ;
Aux temps engloutis
De l'humaine gloire,
Forme dérisoire
Ne dira : "Je suis !" -
Mais s'il faut y croire,
A nouvelle gloire
Se verra promis
L'être dérisoire,
Quand de son histoire
Seront investis
Hors de la mémoire
Les jours et les nuits !
D'un éclair brusquement cerné
Sur l'implacable pellicule,
Etre de l'être fasciné
Par l'art que l'art te dissimule,
Ton ombre offerte à la clarté
Du papier blanc qui la jugule,
A jamais cependant recule,
Au-delà de ce temps crédule,
Vers ta parfaite éternité !
Ainsi passent les mots -
Comme glissent les songes ;
Et divaguent les flots
Où le soleil se plonge ;
Ainsi se perd la source
Aux sables du désert ;
Ainsi font dans leur course
Les ailes dans les airs ;
Toujours le bruit des armes
La nuit le couvrira ;
Où donc s'en vont les larmes
Que nul ne sèchera ?
Frémit ta solitude
A l'ombre du chemin,
Quand toute certitude
S'échappe entre tes mains ;
O toi, que le vent glace
D'un si mortel désir
Qu'il n'est fidèle espace
Qui sache retenir
Avant que tout s'efface
De ta légère trace
Enfin le souvenir,
Ne t'en vas-tu, chère Ame,
Chère Ame à mots couverts
Te prendre dans la trame
D'un songe toujours vert, -
Comme l'oiseau des îles
Se prend dans les filets
De l'oiseleur tranquille
Dont le bras immobile
D'un mouvement hgostile
Sur la bête fragile
A fondre se tient prêt ?
Promesse d'algue folle à mes pieds découverts :
Décroît la solitude immense qui recouvre
Mon être encore au plus profond de ses abers,
Quand se meurent les flots d'ivresse sur les mers
Sans rivage parmi les songes qui s'entrouvrent
Au révélé secret d'irrévélables chairs...
VISAGE QUE LE VENT DE HAUTE MER RAVAGE...
Visage que le vent de haute mer ravage
Et dresse à l'horizon des songes suspendus
Par ce grand souffle issu des pentes d'un autre âge
Au mouvement profond des souvenirs perdus,
Voici que malgré l'ombre et la douleur sauvage
Qui martèle ton sang vivace dans la nuit,
S'illumine le front du trouble paysage
Où toute chair d'en bas s'abîme et se détruit,
Pour s'immobiliser dans la lumière dure
D'un univers sensible au glaive d'un esprit
Capable de briser l'incomparable armure
Du seul dieu qui se laisse abattre sans un cri -
Mais tire du néant la force élémentaire
De ressurgir vivant des gloires d'un été
Dont il ne resterait nulle splendeur sur terre
Sans le rayonnement secret de sa beauté, -
Semblable au sombre éclat des astres millénaires
Dont viennent brusquement les feux de vérité
Rompre le cours ultime et fol dans les artères
D'un Mal qui tient encore en ses nocturnes serres
Du clair soleil des morts l'étrange pureté.
Temps morcelé par les chiffres avares
Sur le cadran vierge du seul futur !
Se meurt en moi tout ce qui me sépare
Du geste vif de boire au jeune azur.
Parfaite soif offerte à l'aventure,
Tendre lien des ces mondes divers :
L'un qui se perd au fond de ma nature,
L'autre promis à tous les univers.
Quelque jour la vérité
Descendra sur ton visage,
- Voyageur du seul voyage, -
Lorsqu'au bout de tout mirage
Ton destin n'aura plus d'âge
Et sera d'avoir été.
D'un paysage agrémenté
De l'on ne sait quel charme austère,
Toi que nulle eau ne désaltère
Et jusqu'à l'âme tourmenté,
Tu te libères de la terre, -
Comme par tout l'azur hanté !
Du seul silence où ton Visage
Empêche l'ombre de ternir
La vérité du paysage
Dont nul rivage, nul désir,
Et nulle flamme, de nul âge,
N'a quelque chance de vieillir,
Dans un éclair de brusque orage
Vienne Ta force découvrir
A mes yeux pâles d'un voyage
A faire l'âme défaillir
D'une lumière sans partage
Au-delà même du naufrage, -
Et comme l'or d'un héritage
Cet acte pur qui porte en gage
Tous les secrets de l'avenir !