Notes sur l'écriture
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DÉSIR DE MON DÉSERT(Notes inédites)
Ecrit à Abeillouzes, Ardèche, il y a plus d'une trentaine d'années, dans un paysage sec, par un été torride.
1° Strophe :
- Double sens, selon que c'est le désert ou moi qui désire.
- Insondable clarté du désert, en laquelle le songe de l'âme se perd lui-même insondablement.
2° Strophe :
- Tout, même ce qui brûle incommensurablement, est préférable au vide, au rien, au néant.
- D'autant plus que le feu, en me sauvant de la pâleur du vide et de l'effroi que j'en ai, devient, ipso facto, ma citadelle et, par là même aussi, mon ami.
Sa loi, que m'impose un univers extérieur à moi, me devient intérieure à moi-même par la force du désir que j'en ai, et sa constance m'apparaît comme le contrepoids nécessaire à l'effroi du rien qui est en moi.
La loi de l'univers devient ici, par soif et nécessité intérieure, ma propre loi.
3° Strophe :
- Je ne puis me détacher de mes soleils, comme mes soleils ne peuvent se détacher de moi.
Nous ne faisons indissolublement qu'un, eux et moi.
J'aurai toujours irrépressiblement soif de l'eau d'une Source ui ne m'atteindra - ou plutôt que je n'atteindrai - et donc qui ne m'apaisera totalement jamais !
4° Strophe : - On ne peut changer l'insécable autant qu'irrécusable noeud du plus profond de soi en soi.
Le Noyau du noyau !
Ici, le fond de tout être est la souffrance : une permanente souffrance :
Une souffrance qui n'est que la "résonnace" et la conséquence en moi de la perpétuelle et douloureuse et déchirante palpitation de l'Infini dans la durée, de Dieu dans le temps.
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- La très fréquente inisistante répétition, chez moi, des mêmes rimes, dans un même poème, et qui est l'une des caractéristiques les plus visibles de ma manière - spontanément et comme inconsciemment peut-être même - d'écrire, vient sans doute de mon incoercible besoin d'accentuer au maximum la singularité particulière de chaque poème, son identité propre, et par une cohésion toujours plus grande et infrangible de sa forme, de tenter d'aller - en l'"épuisant" - jusqu'au bout de la pensée qui l'habite, d'exprimer ainsi le plus possible de sa signification fondamentale, et donc, pour finir aussi, de son âme même !
Et, de toute façon, je ne puis faire autrement.
- Je crois que la plupart de mes poèmes tirent une grande partie de leur force, s'ils en ont une, d'une certaine rapidité et imprévisibilité de leur débit, qui peuvent donner au lecteur une certaine impression de hasard et de nécessité intimement mêlés, comme dans la vie et la mort, et donc d'une certaine manière aussi : d'absolu.
- Ce sont les mots d'abord qui m'aiment, me cherchent, viennent à moi et me trouvent, et je ne les trouve moi-même, ne les reconnais et ne les aime qu'après qu'ils m'aient eux-mêmes d'abord aimé et trouvé.
- Il n'est pas d'écriture qui vaille sans l'existence préalable de certains liens privilégiés et d'apparence d'abord irraisonnée (venus d'une quête réciproque secrète, ainsi que d'un attirance, d'une rencontre, d'une reconnaissance et d'un amour mutuels) entre certains mots - toujours fondamentalement les mêmes - et soi.
- Dire mes vers lentement, très lentement, en articulant parfaitement toutes les syllabes des mots, sans oublier surtout les chères muettes qu'il convient de prolonger légèrement, avec un certain rythme "enroulé" qui m'est peut-être propre, et en liant infiniment les mots entre eux, de manière à ne faire de mes poèmes qu'une seule - spirituellement verticalisante - "coulée".
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- Je souhaite que mes vers puissent par moments donner un sentiment de nécessité absolue.
- Chef-d'oeuvre : ce qui berce l'âme éternellement.
- A partir de toute chose mortelle, voir toute chose "sub specie aeternitatis".
- Une poésie sans une "interne logique musicale", n'existe pas".
- Des rimes de mon poème "NOCTURNE FEU", je dirais qu'elles se trouvent rigoureusement prises dans la rigoureuse "logique" d'un musical "désordre", qui provient du jaillissement spontané et spontanément entremêlé de la pensée par les mots et des mots par la pensée.
- La blessure des mots que ton Silence abreuve !...
- L'Art : ce rempart contre la Mort !
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- Commenter un poème c'est, en tant que poème, le détruire.
- Car, en séparant en lui le sens du chant, on prive ipso facto le poème de cet "ultra-sens" qui lui vient uniquement de ce chant même et duquel seulement aussi il tire cet extraordinaire pouvoir qu'il a de se prolonger parfois dans certaines âmes infiniment.
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POÉSIE
- MUSIQUE ET LUMIÈRE.
- MUSIQUE DE LA LUMIÈRE.
- MUSIQUE D'ÂME.
- LA MUSIQUE ELLE-MÊME DEVIENT SENS.
- SUPRÊME SENS.
- DONNE TOUT SON SENS AU CHANT.
- EN DEVENANT LUMIÈRE DU SENS, ET SENS DE LA LUMIÈRE.
- LA MUSIQUE ET LA LUMIÈRE, EN POÉSIE, SONT LA PARURE ET L'ÉCLAT DE CE QUI MEURT.
- L'ÉTERNITÉ DU SENS = LE SENS DE L'ÉTERNITÉ.
- INEFFABLE = INSONDABLE.
- LA POÉSIE NOUS FAIT PLONGER DANS L'INFINIMENT PUR.
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Le Fini et l'Infini mêlés, - l'Infini l'emportant finalement toujours infiniment sur le Fini qu'il éternise en le sauvant, - sont au coeur même - et le coeur même - de toute ma Poésie.
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DIEU EST À L'INTÉRIEUR DE MA POÉSIE COMME LA GRAINE DANS LE FRUIT. SI VOUS NE L'Y TROUVEZ, C'EST QUE LE FRUIT N'EST PAS À LA MESURE DE LA GRAINE QU'IL ENFERME ET QUI EST PARADOXALEMENT AUSSI LA MÊME QUE CELLE QUI LUI A PERMIS D'EXISTER.
A LA VÉRITÉ :
TOUTE MA POÉSIE TEND, EXPLICITEMENT OU IMPLICITEMENT, VERS DIEU. ET TOUT CE QUE J'ÉCRIS PRÉSUPPOSE DIEU, COMME DIEU SUSTENTE, SECRÈTEMENT OU SOLENNELLEMENT, TOUT CE QUE J'ÉCRIS.
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- La nature est un vivier de réalités spirituelles aussi prodigieux qu'inépuisable.
- L'invisible l'habite inexprimablement.
- cet invisible que la poésie a pour mission essentielle, à mes yeux, de révéler.
- La nature nous met en contact avec l'Origine : ce Commencement du Monde que nous sommes en train de vivre nous-mêmes en ce moment : d'un Monde qui ne finira jamais, jusqu'à la fin, par des recommencements sans fin, de commencer.
- Sans la nature, qui est au point de départ extérieur de la quasit-totalité de mes poèmes, ma poésie n'existerait pas.
- Tous mes poèmes ne sont que le fruit de la rencontre d'un moment de mon âme avec un moment du temps.
- De la sorte, ils sont tous, en dehors de moi, qu'une émanation du concret.
- Je suis absolument incapable d'écrire rien sans voir, entendre, sentir concrètement ce grâce à quoi le poème imprévisiblement et brusquement se déclenche en moi.
- Une seconde avant que ne me viennent, par exemple, devant la mer, une suite de vers commençant par :
"Visage que le vent de haute mer ravage..."
ou
"O mer, me voici nu devant toi, sans visage..." ,
je ne savais pas que quelque chose viendrait, ni quoi ! Et si même quelque chose viendrait ; - ce quelque chose qu'alors brusquement je "trouve" et que pourtant l'instant auparavant, je ne cherchais pas.
- Je ne suis rien sans la rencontre de ce qui est moi avec ce qui n'est pas encore moi mais qui va bientôt, d'une certaine profonde manière, devenir moi, en restant lui.
- D'une certaine profonde manière : dans l'invisible, par et pour le visible.
L'ART - COMME L'HOMME -
L'art - comme l'homme - est plus que jamais plongé dans l'éternelle lutte des Ténèbres et de la Lumière. Car l'art, venant de l'homme et y retournant, n'est pas neutre.
Nulle esthétique digne de ce nom sans éthique. Et l'éthique et l'esthétique en réalité ne font qu'un. la question est seulement de savoir, jusqu'en l'art même, si l'on accepte de perdre l'homme ou si l'on tente de le sauver. André Malraux, dans "Le Musée Imaginaire", écrit : "De la guerre, démon majeur, aux complexes, démons mineurs, le domaine démoniaque - présent plus ou moins subtilement dans tous les arts barbares - est rentré en scène. Le domaine démoniaque, c'est celui de tout ce qui, en l'homme, aspire à le détruire." Parole d'autant plus terrible, qu'il est infiniment plus facile, en art comme ailleurs, de désintégrer que de coordonner, d'exalter l'horrible que de susciter de l'ineffable, de détruire que de construire, et que nous savons bien que toute Ténèbre ici-bas porte en elle-même aussi quelque chose de fascinant - comme la mort. Parole à faire frémir tous ceux qui se figurent qu'il suffit d'affubler d'un isme révélateur la dénomination de n'importe quelle sorte d'"art" pour humainement, et donc esthétiquement, le justifier. Car véritablement ne vaut jamais, et donc jusqu'en l'art même d'une époque si férue par ailleurs de dignité humaine, que de sauver le plus haut de l'homme en l'homme, c'est-à-dire son âme, c'est-à-dire cela qui, né du temps, s'inscrit déjà, dans une éternelle Mémoire, hors du temps. Tout le reste, quand il n'est pas attentatoire, par l'âme de l'homme, à l'âme même du monde, n'est rien.
Maurice Courant