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MORS ET VITA
OU
ÉLÉVATION DE LA MER
Jean Thomas : le lys des mers (détail)
A
toutes
les
très chères âmes
que
nous aimâmes
infiniment
tout
au
long de notre vie
et
qui demeurent proches
de
notre coeur, -
à
jamais !
Gine et Maurice COURANT
L'éternité déferle avec ta vague, ô Mer ! -
L'éternité pareille aux flots de l'Océan !...
ON NE SAIT PAS QUEL SONGE TRISTE...
On ne sait pas quel songe triste
Emplit le coeur de l'Océan, -
Ni quelle impénétrable piste
Nous mène à l'âme du Néant !...
Pourquoi survivre à ce qui meurt,
Quand tout déserte le rivage, -
Et qu'il n'est plus que sombre orage
Dans les parages de ton coeur ?
Le grand vent de la mer qui brame,
Au fond de ton coeur souffle fort ; -
De ton coeur si fol, ma pauvre Âme,
Qu'il souffle fort comme la mort !
Coule rapide vers la mer
Le flot léger que le vent ride ;-
Tout comme l'âme, aussi rapide
Que dans le ciel profond l'éclair,
Par les méandres de la chair,
Se précipite vers le vide
Inexprimable où l'or se perd !
Suis-je celui qui te regarde,
Lorsque tu plonges dans le noir
Où l'âme même se hasarde ; -
Les yeux pleins de lueur hagarde,
Sans que j'y puisse prendre garde :
Où si c'est toi qui me viens voir ?
Un peu d'ombre sur du désir ;
La mer lointaine en ma mémoire ;
Un coeur qui ne veut pas finir ;
Le ciel troublant de mon histoire ;
Et l'amertume dure à boire
Au fond du gouffre dérisoire
Où le soleil s'en vient mourir !
L'étrange nudité de l'âme en ses transports !...
Dévoré par le songe et par la meurtrissure
De tout ce qui détruit nos rêves les plus forts,
Tu bsacules, Soleil, en la tristesse obscure
D'un mortel Océan que ma détresse endure, -
Quand tu baignes de sang l'outrage de mon corps !
Vos cris, en la lumière ardente de l'Automne,
En mon âme infinie infiniment résonnent
Et me disent qu'il n'est rien d'autre si profond
Que le bruit que vos cris dans l'air vivace font !
Le silence profond des ailes qui s'envolent
Et les porte à former dans l'air un geste pur,
Est plus clair que ne l'est en moi toute parole
Ivre à travers l'éclair de quelque lèvre folle
D'aller se perdre au fond d'un incroyable azur !
D'un vol rapide, au bord d'un flot qui se délave :
L'Oiseau, comme d'un feu, que son ivresse aggrave !...
Un vent plus violent que la mer en déroute ;
Un vent de violence et de détresse toute
S'empare de la plage où ton âme vient choir, -
Comme un éclair de mort au coeur d'un astre noir !
Regarde mon visage et vois s'il n'y a pas
Quelque chose qui tremble à l'ombre de mes pas ;
Un ciel pétrifié d'espace inaccessible ;
Un soleil par la mort brusquement pris pour cible ; -
Un regard plus profond que l'eau d'un Océan
Qui se fortifierait des larmes du Néant !
O Rumeur de la Mer ! Inaltérable Coeur !
Tu malmènes mon âme en ses remous funestes
Et brasses dans l'air pur, en d'innombrables gestes,
De l'origine errante en l'Univers les restes :
O Bruit profond de l'Eau profonde en moi, - qui meurt !
Quand ton orbe n'aurait
Eu, sur fond de rumeur
De mer, par la vigueur
Du lait que répandait
Ta mortelle pâleur,
Qu'un regard de forêt
Pour nous glacer le coeur !...
Rivage blanc, terre déserte,
Insupportable horizon gris ;
Flot désarmé de gloire inerte ; -
En quel filet d'espace est pris
Pour une irrémédiable perte
Ce clair soleil de saison verte
Dont, à travers l'Automne offerte
Ne me parviennent plus les cris ?
Pris au filet du souffle froid
Qui me traverse l'os et l'âme,
Je te vomis, fureur infâme
Qui glaces l'être de mon roi
D'un tel - irrémédiable - drame
Que je n'ai plus même le droit
De folle gorge en gouffre étroit
De boire l'air à grande lame,
Quand tu m'enfonces de ta lame
L'ivresse blanche au coeur, - Noroît !
Le jour s'enfuit dans la douleur :
Quel était ce malheur, mon coeur,
Qui te rendait la force exsangue ?
Du sel des vagues sur ma lame
Ne reste rien de la saveur ;
Et, solitaire de splendeur,
Voici que toute la chaleur
De quelque songe immense tangue
Dans un abîme de pâleur ...
Balises dans le soir tombant
A l'infini du paysage
Et l'Ile au loin que le passage
Relie au sombre continent
Par le flot vaste qui s'engouffre
Dans le goulet étroit et fort
De contenir entre ses bords
Si folle eau vive, - comme alors
S'engouffre encor l'âme qui souffre
Entre les rives de la mort !
Océan noir d'algues éteintes ;
Gluante mer à mes pieds nus ;
Murmures sourds d'eau morte, plaintes ;
Soleils on ne sait d'où venus
Qui percez de ténèbre l'ombre ; -
Voici que ne respire plus,
Parmi l'universel décombre,
Le ciel dont le désastre sombre,
- Avant que ne vous soient rendues
Les claires soifs d'un jour sans nombre, -
En vos éternités perdues !
Plongez, mouettes, dans l'eau froide !
Rassasiez-vous de jeune chair ! -
Il n'est plus de silence clair
Ni de mouvement d'astre en l'air,
Tant l'âme, d'ombre, est toute roide,
Dont se gorge à présent la mer !
Berce-moi, forme, berce-moi !...
Pris en les rêts de la marée
Du plus terrible songe froid
Qui te laisse désemparée,
Vois ma pauvre âme en désarroi
Se perdre toute l'égarée
Par l'insondable gouffre étroit
De ta gloire d'ombre parée, -
Sur un lit d'algue morte, en toi !
Sur les plages du temps, que de coquilles vides ;
Que d'algues par la mer sans cesse rejetées ;
Que de visages d'ombre aux éternelles rides ;
Que d'ivresses au fond des heures avortées ;
Que de songes, dans l'âme, infiniment livides :
De soleils balayant les rives désertées !...
A jamais insensible et que la mer apporte
A mes pieds sur la plage immense des vivants,
Toi dont l'espace calme en ses mouvements lents
S'inscrivait dans le jeu de l'onde la plus forte,
De ton être il ne reste, après la saison morte,
Qu'un peu d'algue et de sable humide entre tes dents !
La meute des oiseaux criarde de l'été
Dévore le mollusque au bord de la mer tendre -
Tendre comme la chair d'un coquillage à prendre
D'un bec vif, acéré d'âpre insatiété,
Dont il ne reste alors sous le ciel nu que cendre ; -
Quand le soleil me fait infiniment comprendre
Qu'il n'est pas de silence au coeur de la cité
Sur lequel on ne puisse en l'âme se méprendre,
Et que c'est être fou que de vouloir se prendre
Pour plus qu'on ne le fut jamais, - d'avoir été !
Tu les vois, tout au long du flanc de la mer pâle,
Plongeant dans l'océan d'un brusque geste clair
Pour tirer dans les airs d'une aile triomphale
La manne savoureuse à leur sensible chair, -
Ou, comme d'un repas la part la plus frugale,
De mille coups de bec farouches, secs et forts,
Martelant sur la plage immensément étale
D'un mollusque égaré le vulnérable corps,
Déchirer de leurs cris ton âme verticale,
Des grands oiseaux sevrés de coquillages morts !
La dune s'effrite au vent qui taraude
Le vivace espace où le ciel se tord ;
Nul soleil déjà hors du sel qui mord
Cette mer blafarde où l'orage rôde ; -
Il n'est de repos loin des calmes ports
Qui bercent du sort l'heure la plus chaude ; -
Et l'âme jamais ne rêve, en ces bords
D'un soir où le mal torturant maraude,
Que de vivre un jour au-delà des morts !
La grande mer, donneuse de frissons,
Se change verte en mauve avec le soir ;
Multitude de vie étrange avec des sons
De sombre voix qu'avive le vent noir. -
Sa gorge immense et qu'enfle un fol vouloir,
En l'âme insaisissable et pâle répercute,
Au-delà du déroulement de sa volute
Et du déferlement ultime de sa chute,
L'immobilité sourde et creuse où l'or vient choir !
La murmurante mer en moi répand son charme :
Verse à l'horizon pur le sel de quelque larme,
O Beauté qui m'absorbe en son désir vivant !
L'ombre flotte alentour des algues et le vent
Souffle sur mon visage un peu de ses alarmes,
Quand l'orage, à travers les songes dérivant,
Plonge en mon coeur l'éclair de ses tragiques armes -
Et qui vont, de mon rêve d'astre, me privant !
Le soir sera, ce soir, incroyablement beau :
La plage s'alanguit au bord de l'onde vague ;
La lueur du soleil s'éteint comme un flambeau ;
Et le ciel, que le vent de tout nuage élague,
Tremble si longuement dans le miroir de l'eau
Que ton être, enivré par le flot pur, divague
Et rêve de mêler son âme avec la vague
Qui, tel que dans un drame antique sans défaut,
Se referme sur elle alors, - comme un flambeau !
Forte houle ! Sinistre vent ! Belle amertume !
Ailes folles ! Vivant tombeau ! Rivage clair !
Sable fuyant ! Faux soleil d'or ! La vague fume !
Devant ton coeur glacé, - qu'elle pourfend, - la Mer !
L'engouffrement du vent dans les ailes ouvertes ;
Le tourbillon des songes vagues sur les eaux ;
Les rumeurs de la mort par le soleil couvertes ; -
La folle sarabande, en l'âme, des oiseaux !...
Tu n'es qu'un songe fou qui tremble sur la mer ;
Qu'une illusion vague en les vagues du temps ;
Qu'une fuite éperdue au fond d'un gouffre amer ; -
Qu'un orage de plus que brisent les autans !
Le sable sur le sable, en son ultime errance,
Le sable sur le sable a recouvert tes pas, -
Son nuage léger dans la lumière danse ;
Comme la mer qui va, qui vient et recommence,
Te recouvre sans cesse et ne te connaît pas.
SUR LA PLAGE, EN PLEIN VENT...
Sur la plage, en plein vent, j'ai déchiré les pages
D'un poème surgi de mon silence amer ;
Et j'ai vu s'envoler, vers de brillants naufrages,
Sur des flots soulevés de grands amours sauvages,
Mes beaux cris, emportés par de fuyants orages,
Comme des papillons tragiques sur la mer !
Des oiseaux s'enfuyaient, barrant l'horizon rouge :
Quel destin se dressait entre la mort et moi ?
La tendresse de l'air était pleine d'effroi ;
Alentour y flottait des âmes à l'étroit ; -
O tristesse en la mer d'un corps dont rien ne bouge
Et qui dérive au fil des flots dont il est roi !...
Tu plonges dans la Mer immense de la Mort :
Toi, - qui ne connaîtras la Vérité qu'au Port !
Je ne sais rien du feu qui brille sur la mer ;
Je ne sais rien de l'eau qui sourd dans le désert ;
Je ne sais rien du flot tumultueux de l'air :
Et que sais-je de moi, - qui tremble dans ma chair ?
L'ombre s'allonge à la mesure de mes pas ;
L'oiseau, dans le vent vif, glisse vers le ciel bas
Et le rivage où meurt son innombrable proie ; -
Tandis que le soleil qui ne me connaît pas
Vient détruire on ne sait dans quel ciel pur, - ma joie !
Le flot recouvre tout de son ivresse errante ;
Rien ne résiste au flux profond de son désir ; -
Et l'âme, en cet instant, tragiquement présente,
Ne sait plus s'il vaut mieux, dans l'ombre déchirante,
Survivre à ce qui meurt ou vivre d'en mourir !
L'instable jour ; la mer étrangement mouvante ;
Les oiseaux disparus dans le ciel calme et nu ;
Le désir qui se fait de l'âme son amante ;
Le regard qui se perd au fond d'un jour perdu...
Si la mer délirante en ce soir blanc d'automne
Roule son flot profond que la gloire abandonne
Vers le désert de sable où se meurent les eaux,
Sans que rien ne demeure en nous qui nous étonne, -
C'est que vient s'y briser le rêve des oiseaux !...
Je n'étais rien qu'un souffle fou sur la mer folle, -
Et le vent qui passait comme une parabole
Emporta jusqu'au fond des songes ma parole !...
Il allait, titubant parmi les herbes folles ;
Il allait, dans le temps qui mange les paroles,
Attiré par ces feux de gloire à l'horizon
Qui vous tournent la tête et troublent la raison ;
Il allait, comme un fou qui sent sa délivrance,
Comme un vol de mouettes folles en partance
Vers on ne sait quel fond de ciel vivant et seul, -
Qui les ensevelit comme un linceul !
Tu coules devant moi, ruisseau de la mémoire !
Au fond de quelle mer vas-tu t'ensevelir ?
Tu passes comme passe en l'âme toute gloire,
Toute gloire qui formes en elle cette histoire
De l'on ne sait en soi quel songe dérisoire
Au coeur mortel du temps qui vienne l'abolir ;
Si toute mer n'est rien que de la mer à boire,
Alors, c'est dans la nuit fatale du désir
Que tu plonges ta mort, au bord de la victoire,
Avant qu'il ne soit plus possible encor de croire
Que tout renaisse un jour de ce qui va finir !
Ciel sans oiseaux :
La mer est nue.
Que font les mots,
La nuit venue ?
Parfait désir
Au coeur tremblant ;
Faut-il mourir
Ou non, vraiment ?
mangeuse d'ombre,
Nudité d'or !
Mon coeur dénombre
Plus d'ombre encor
A désarmer
Au plus intense
Songe formé
De ma démence
Cette présence
Du mal d'aimer
La survivance
D'un Coeur fermé
Jusqu'à l'absence,
- O dur réveil
De mon errance ! -
Quand le soleil
Terrible tue
Le grand silence
De la nue !
ou
ÉLÉVATION DE LA MER
Laitance immense ! O rire des marées !...
Source profonde et pâle du sommeil,
Lorsqu'au secret des vagues égarées
Ne remuent plus la tête ni l'orteil !
O mouvement de cette grande eau verte !
Soleil de moi retiré pour jamais
vers la nuit noire où - toute soif offerte
Au mal de mort - se meurt ce que j'aimais !
Silencieuse éternité ! ... Sourire !...
Du seul désir parfait achèvement !...
Le vol de l'aigle exacte vient inscrire
Le signe au ciel déjà de mon tourment !
Trouble profond ! Vigilance mortelle !
La vie expire où commence la vie !
La vague monte en toi, ma Citadelle,
Pour t'envahir de mort, comme une Amie !
L'être s'accroît d'espérance fatale -
Et de silence en toi l'obscure faime ;
Le gouffre immense emplit la mer étale :
Toute semence est riche de sa fin.
O Solitude, enfin que tu ravives
Le seul trésor aujourd'hui reconnu,
De ne renaître, l'être, entre tes rives,
Que pour sombrer dans un silence nu ;
Donne à revivre à cette pure absence
Par quoi devient synonyme d'éther
Tout ce qui meut de flamme et de présence
La conscience ultime de la chair,
Et rajeunis d'une immortelle essence,
Par la mort même absente de la mort,
Cet âpre feu que toute connaissance
Livre en pâture au Songe le plus fort,
Pour que sans cesse - Ö Mère maternelle ! -
De toi renaisse, en ton vivant désert,
Cette Semence - unique soeur jumelle
De la perpétuelle Mort, - O Mer !
ou
DE L'ANGE DES TÉNÈBRES À L'ANGE DE LUMIÈRE
Il apparut, creusant toute la soif du monde,
Comme orage roulant sa gloire sur les eaux ;
Terrible, sans souci dde l'éternelle ronde
Des âmes, des soleils perdus et des oiseaux !...
Retire ton désir des rêves dont tu sondes
En toi-même déjà les troubles profondeurs,
Et solitaire, au bord des rives infécondes,
Pâle, - sans craindre plus des inhumaines peurs
Ce qu'il en resterait d'ivresse sur les ondes,
Ni les appels secrets de fascinants réseaux, -
Va te perdre, Présence, en des aurores blondes
Où ne respire plus qu'un peuple de roseaux !
O MER, ME VOICI NU DEVANT TOI, SANS VISAGE...
O mer, me voici nu devant toi, sans visage,
Battu comme doit l'être l'île d'Ouessant,
Quand le vent qui t'emporte, au fort de son passage,
Fait sourdre une clameur d'orages et de sang !
Me voici nu plus que tout autre à pareille heure,
Tandis que le soleil à l'horizon descend
Qui marquait à mes yeux le seuil de ma demeure
Où va mourir d'un coeur le souvenir puissant.
Que reste-t-il du masque à forme de figure,
Toujours mort en moi-même et toujours renaissant,
Dont me désespérait la fascinante épure
A travers l'épaisseur des songes me glaçant ?
Dis-moi, ne vas-tu pas finir par m'apparaître,
Vérité de douleur profonde envahissant
Les replis ténébreux de l'âme de mon être,
A travers la beauté d'un soir rejaillissant ?
Ne vas-tu pas, laissant la trace de mon ombre
Se perdre en la clarté d'un dernier jour blessant,
Me jeter à la face, en un grand geste sombre,
Au milieu d'astres morts et de désirs sans nombre,
Le tumulte attendu d'un ciel éblouissant ?
ou
LA DOUVE ET LA MER
Quel feu me retiendra comme la Douve unie ? -
L'eau dormante m'attire à la faveur d'une ombre
Où respire tout bas la chaleur et le nombre
D'un soleil fécondant une flore infinie...
Ah ! que renaisse en moi le souvenir vivant
Jusqu'en l'océan plein de pureté profonde,
De ce jaillissement de source par le monde, -
Quand ne l'agite pas encor le moindre vent !
*
**
Tendre apparence au fond d'une mer abyssale
Que le vent du matin saura faire frémir
Du plus léger des jeux du vivre et du mourir
Qui parfument tes nuits de veuve végétale !
Révèle-moi l'éclat de cette sombre ardeur
Qui ravage les flancs de ta nocturne gloire -
Où l'homme et les oiseaux ensemble viennent boire
Quelque chose des feux lointains de ta spendeur !
Mère ! Mère des mers et des océans troubles
Dont s'afflige l'éclat de ton mouvant secret,
Quelle force inhumaine en toi me retiendrtait
De connaître et chérir toujours mes regards doubles ?
Te revoilà présente où s'en revient dormir,
Comme un soleil sans fond, la force des marées ; -
Que s'apaisent en moi les soifs démesurées
Qui suscitent toujours la mort de mon désir !
*
**
A l'affût d'un trésor que même ne remue
Nul souffle passager du vent dans la futaie,
O ma Douve, amoureuse encore d'une baie
Qui glisse et tombe au fond de ta volupté nue...
Non sans que dans ma nuit un éclair déchirant
L'épaisseur moite et pénétrante de ma Douve,
D'une voix sans orgueil ni fard je me retrouve :
Nu, comme l'oeil lucide et diaphane d'un mourant...
Déferlement de l'eau vivace dans ton âme !
Se mêle à mon destin ton mouvement de feu,
Flamme liquide, espace inaltérable, ô Lame,
Dont me preturbe l'orbe immense dans son jeu ! -
Ne laisse pas mourir en moi ta survivance :
Afin que je ne sois figé comme la mort,
Au jour prédestiné de pure connaissance,
Pénètre-moi d'âme divine, ô toi Semence
D'immortelle tendresse et d'éternelle essence,
Par cette force même en toi qui recommence
A me bouleverser le coeur par sa puissance, -
Et me délivre enfin de l'immuable Sort !
Je m'en vais vers la mer à pas lents, comme au soir
Les oiseaux fatigués regagnent le rivage ;
Comme tout se disperse en l'ombre qui voyage,
Où dans la brume basse passe et vient s'asseoir
Le rêve qui n'a pu trouver un ermitage
Au soleil d'un midi loin du seul gouffre noir ; -
Je m'en vais vers la mer, après un long voyage
Où je n'ai rien trouvé sur terre que mirage,
Hors l'Amour et la Mort et ce long cri sauvage
Qui traverse le temps comme en pélerinage
Et, désertant les rives sombres de l'orage,
Va se perdre en l'éclat secret d'un Reposoir !
Aux Créateurs de Beauté !
On voit toujours des "fous" qui pleurent sur la mer
Des larmes qui ne sont plus celle de la chair, -
Mais qui brillent au coeur désespéré de l'air
Comme des diamants de feu dans le désert !
O merveilleuse Mer entre les doigts du vent,
Tu fais frémir en moi les cordes de la lyre ;
Viens me prendre en tes bras de folle soif souvent,
Berce-moi dans l'éclat profond de ton délire,
Et, par-delà le jour où toute force expire,
Comme un flot de bonheur qui roule son empire
Jusqu'où se meurt la mort et la détresse pire,
Par tes vagues au loin qui savent me le dire,
O Flot insouciant de moi, - je te désire !
La dune respire au vent frais qui lave
Le petit matin gorgé de brouillard ;
L'herbe folle et vive au soleil se gave
Du sel ivre d'air qui flotte au hasard ;
La mer qui répand sa paisible bave
S'étale au velours calme du regard ; -
Le coeur rajeunit, mais, dans l'ombre grave,
Sans savoir qui vient, ni d'où, quelque part !...
LE BROUILLARD A COUVERT LE RIRE DE LA MER...
Le brouillard a couvert le rire de la mer
De sa réalité profonde et pénétrante ;
L'âme n'est rien qu'un souffle en ce décor amer
Où le ciel se confond avec la vague mourante
De tout ce qui remplit de clame obscur la chair
Qu'il n'est plus fol désir ni soif plus dévorante
De survivre au frisson désespéré de l'air
Que ceux même déjà que dans son âme invente
Pour la soustraire toute au jeu d'amour démente,
l'être promis au feu d'un été sec et clair !
Le sable, en ses milliards d'atomes scintillants,
Te fascine, à l'égla des astres de la mer ; -
Il n'est, dans le regard, semblables feux brillants
Où ne s'en aille l'âme, enclose dans la chair,
Du fond de sa ténèbre étrange, les priant
De la délivrer toute et de ses fols déserts,
Et de ce qui la tient esclave dans ses fers,
Et de ses propres rêves d'ombres, - en riant !
Lorsque le blanc vaisseau des mouettes rieuses
Traversera ton plus haut ciel de part en part,
Rien ne te restera des larmes précieuses,
Ni des mouvements fous, en l'âme, du hasard,
Pourvu qu'à leur égal, en l'air, par le regard,
L'oreille inattentive aux tentations creuses,
Vers un grand large épris de visions heureuses,
L'âme prenne elle-même un merveilleux départ !
Les mouvements de l'eau ressemblent à mon âme :
Le flot qui vient s'en va vers l'eau qui le réclame ;
Et le néant profond que révèlent les cimes
Des vagues, n'a d'égal que l'or de ces abîmes
Où le mal et le bien parfaitement égaux
Forment, dans le silence où se meurent les mots,
Le Peuple inexploré, dans l'Äme des Coraux !
Si l'ombre et la lumière en moi se sont mêlées
Comme la vague aux flots qui bercent l'univers,
C'est que les profondeurs de flammes constellées
Qui dérivent au coeur irradiant des airs,
S'abîment en secret dans les splendeurs voilées -
Où la vie et la mort se mêlent au fond des mers !
Il surgissent, du fond des terres ignorées,
Par vagues, sillonnant les pâles cieux déserts,
Contre le vent, planant comme vaisseaux de l'air,
Jusqu'aux rives enfin des songes dévorées,
Pour y puiser le sel impatient des mers !
O tristesse infinie en marche sur les eaux !...
La vague lente et lasse au fond du crépuscule
Prend notre âme déjà dans ses mouvants réseaux
Et nous berce d'un chant fugace que module
En un ciel transparent qui dans la nuit recule,
Le vol tardif et solitaire des oiseaux !...
L'oiseau céruléen plonge dans l'algue vert ;
Déserte le rivage où se meurent les eaux ;
Monte vers l'altitude à toute gloire offerte ;
Se disperse à travers l'espace où les ciseaux
De son bec tranche l'air d'une manière alerte, -
Avant de disparître en l'âme avec les mots !...
Mille oiseaux envolés vers le ciel clair s'en vont
A grand coup d'aile blanche au-dessus de mon front
Crever l'espace pâle en un seul cri de gloire
Qui déchire mon coeur autant que ma mémoire
Et me retourne l'âme obscure jusqu'au fond !
Tout se mêle en moi-même, inextricablement :
Et le songe qui pleure et le désir qui ment ;
Même l'éternité n'y dure qu'un moment ;
De mon être le feu n'est feu que de sarment ;
L'eau coule vers la mer inexorablement ;
L'étoile galvanise, ô Nuit, ton firmament ; -
Et toi, sans Dieu, dis-moi, que serais-tu vraiment ?
Je ne te verrai plus devant mes yeux, ô mer !
O toi qui si longtemps fut douce à mes regards !
Dont le flot me berça d'un tel silence amer
Qu'il transperça mon âme folle dans ma chair
De tous les tendres feux de mille et un poignards ;
Rien ne m'attire plus en ton désert offert
A tous les mouvements précipités de l'air :
Vers un autre Océan plus pur que toi, - je pars !...
L'eau vivante à mes pieds ruisselle d'amertume ;
Le soleil disparaît dans l'orbe de mes yeux ; -
Et le flot ravageur que sa tristesse allume,
Dans mon âme, insensible aux rires d'ombre, fume
Et va se perdre au fond du calme clair des cieux !
Sur la mer symbolique où nagent les hasrds,
Toute Parole d'or devient hyperbolique,
Car le rire des jours emplit ton coeur tragique
- Au-delà des éclairs d'un Songe prophétique
Et traversé des feux d'un Astre énigmatique -
D'une Sérénité terrible et magnifique,
Sur les flots tourmentés de la Détresse, - épars !
Matins bleutés sur le rivage clos
Par la tendresse folle au coeur de l'air !...
Saurai-je dire où sont les véritables flots ;
Et l'âme même, au sein de toute chair ? -
Saurai-je dire, avec de simples mots,
Quel songe meurt au fond de toute mer ?...
Lueur blafarde ; un ciel sanguinolent ;
Mer calme et plate ; un blanc nuage lent ;
Quelques cris d'âme et de mouette en l'air ;
La lune instable, en son lointain désert :
Pleure le songe... - Et le miracle clair
D'une aube pâle et libre du néant
Déjà s'active au fond de l'Océan !...
Mer vivante, adorable et folle de désir,
Viens me prendre en tes bras de vérité puissante,
Toi dont l'âme me fait si longuement fémir
Par son flot incessant d'ivresse renaissante
Qu'elle empêche mon âme encore de mourir !
A Myriam et Daniel.
J'ai retrouvé ton flot, comme à l'accoutumée ;
Ton flot devant mes yeux sans cesse renaissant ;
A jamais soulevé d'un devenir puissant
Et pour toujours d'un songe en l'âme me berçant ;
Et je t'ai de nouveau profondément aimée, -
Toi qui mêles ta vague au fleuve de mon sang !
Quelle tristesse en moi roule ses flots superbes
Vers un Océan plein d'obscure cécité ; -
Comme un mortel soleil fait luire entre les herbes
Le Fleuve inassouvi d'un fabuleux été ?...
JE M'ÉCOULE À JAMAIS DANS LA NUIT DE LA MER...
Pour Gine.
Je m'écoule à jamais dans la nuit de la mer :
Et la mer est plus forte en moi que le désert ;
Car si dans le désert s'abîme toute chair, -
C'est mon âme toujours qui, dans la mer, se perd !
Transperce de rayons la plus haute marée ; -
Plonge dans l'océan tremblant qui restitue
L'origine, en ce temps des ombres, égarée,
Jusqu'à l'irruption de cette Hyperborée
Spirituelle en nous de la Vérité nue !
Ne déserte le flot des rives de l'hiver,
O Visage, par moi dans l'ombre découvert,
Lorsque de mon destin dans l'or s'immobilise
Cette fureur de vivre en l'air dont s'éternise
La puissance d'un geste impénétrable et clair !
L'une après l'autre sur la grève
En l'inlassable flux du soir,
Les vagues que la mer soulève
Se son impatient miroir ; -
Et tu regardes, calme et brève,
En l'ombre où le soleil vient coir,
La force en toi comme d'un rêve
Crever du ciel le désespoir !
La mer se déverse
En l'éternité,
Et le ciel se berce
Au coeur de l'été, -
Et rien ne persiste
Que la douceur triste
De ce qui existe
D'un bonheur perdu,
Que ce que notre âme
Il en reste - ô drame
Que le ciel proclame ! -
D'indicible trame
Et de folle flamme, -
Jusqu'en l'Inconnu !
Respire l'Altitude active
Et qui délivre des hivers ; -
Comme de l'Océan la rive
Et le soleil au fond des mers !
O plage libre enfin d'un flot qui la dévore
Et va se perdre au sein de l'infini perdu !...
Qu'est-ce de toi, pauvre âme ? et qu'est-ce qui t'implore ? -
Du fond de l'horizon, quelle tendresse encore
D'un Dieu peut-être en toi, dans l'ombre reconnu ?...
Le Gouffre indéfini des Songes de la mer
Ressuscite les Flots du sang de l'Esprit clair !
S'il n'est plus rien sur terre en l'âme de possible, -
Se perdre en l'océan du Coeur de l'Indicible !
Par le scintillement des astres de la mer,
Tu brilles dans notre âme, - inaltérable Ether !
Si follement la mer nous berce en son Miroir
Que son Âme en notre âme infiniment vient choir !
Pour Gine.
La brillance des vagues
Eclaire le Jardin
De tes mortelles bagues
Et de ton pur Destin !
Nous allons vers la mer d'un éternel Retour ! -
Emportés par le flot de la Mémoire ardente
De toute cette force immense, mon Amante,
Qui nous prend dans ses rêts d'éternité démente
Et toute à la merci du feu qui la tourmente, -
Avec les oiseaux fous d'un Rêve sans détour !