retour à la page d'accueilLES QUATRE ÉLÉMENTS
MUSIQUE : ÉRIC HEIDSIECK
LA MER
LE FLOT ME DIT...
LE FLOT ME DIT
Le flot me dit : « Regarde-moi :
Ne suis-je pas, tout comme toi,
Formé d'une mouvance extrême ? &endash;
Ma vague est chaude quand on l'aime
Et que le grand soleil est roi ;
A tous vents l'écume je sème :
Mais le fond de mon âme a froid ! »
COQUILLAGE,
A jamais insensible et que la mer apporte
A mes pieds sur la plage immense des vivants,
Toi dont l'espace calme en ses mouvements lents
S'inscrivait dans le jeu de l'onde la plus forte,
De ton être il ne reste, après la saison morte,
Qu'un peu d'algue et de sable humide entre tes dents !
ÉTRILLE
Sur ma table, à l'affût de mon regard vivant,
Ton regard mort, corail inquiétant et sombre,
Vers ma face mortelle, interrogeant mon ombre,
Pour y scruter des jours de mon destin quel nombre
- Au gré de mêmes flots sans cesse dérivant &endash;
Lui reste encor sur terre à vivre, - le suivant
GOÉLANDS
(MES OISEAUX PRÉFÉRÉS )
Mes oiseaux préférés se rient de l'amertume
Quand la mer à leurs pieds roule son flot profond,
Et leurs cris, dans l'espace environné d'écume,
Plongent dans mon silence intérieur et font
En mon âme surgir, à travers l'âpre brume,
Tout un miracle d'astre et de tendresse au fond !
GOIS
(ÉPAVE SUR LE GOIS)
Balises dans le soir tombant
A l'infini du paysage
Et l'Ile au loin que le passage
Relie au sombre continent
Par le flot vaste qui s'engouffre
Dans le goulet étroit et fort
De contenir entre ses bords
Si folle eau vive,- comme alors
S'engouffre encor l'âme qui souffre
Entre les rives de la mort !
ÉPAVE
Friable reste de l'été !
Le vent désemparé soulève
Du sein d'un roc d'ombre irrité
Tout le fantôme démâté
D'un bateau brusquement jeté
Comme fétu de paille ou rêve
Contre le ciel épouvanté !
LE FLOT QUI ME DÉSOLE
Le flot qui me désole est celui qui m 'enivre ;
De s'en défaire on meurt, autant que de le suivre ; -
On ne sait quel soleil nous mène jusqu'aux cieux
Qui nous font ou bien morts ou bien devenir dieux !
LA TERRE
LA CAMPAGNE M'EMPLIT
LA CAMPAGNE PROFONDE
La campagne profonde endort ma vigilance :
Je me sens rassuré, rien qu'à la voir de près.
Tout repose, en son calme et souverain silence ;
Et les arbres me font, dans l'air qui se balance
Et le soir qui prolonge en moi son existence,
Percevoir qu'il n'est pas de folle accoutumance
Dans l'amour qu'en mon cur sans fin je leur offrais !
Rouge-gorge, plus rien ne bouge
De ton paisible corps roidi :
Le ciel lui-même est refroidi,-
Comme, en la mort qu'avait prédit
Le rude hiver, ta gorge rouge !
Le petit âne a des yeux tristes
Qui me regardent fixement,
Comme pour suivre en moi les pistes
- Le petit âne a les yeux tristes-
Où s'est perdu mon firmament !
A jamais, sur la route en ce pays qui monte
Vers un ciel bleu de lait bordé de vert et d'or,
Pelotonné comme en un geste fou de honte ,
Le petit animal, au soleil tendre, dort !
SCARABÉE
Scarabée ivre au grand il blanc
Et qu'un vent triste découronne,
Tu vas mourir : le ciel qui ment
T'a pris au piège de l'Automne ;
Et dans le soir qui t'abandonne
A ton mystérieux tourment,
Ton ultime regard m'étonne,
Quand tout l'espace d'or frissonne,
De le voir ne plus voir personne
Et s'emplir d'ombre brusquement !
LA CAMPAGNE M'EMPLIT
La campagne m'emplit d'une douceur profonde :
Quelle tendresse règne en son nocturne sein ?
Je respire l'air frais partout qui surabonde ;
L'arbre m'invite à croire au songe qui l'étreint ;
La lumière tremblante effleure le chemin ;
Tout nous porte au désir d'éternité féconde ; -
Et les heures du jour palpitent dans ma main !
L'AIR
AU CUR DE L'ASTRE
Aucun nuage : tout est nu.
Rien ne respire, que le vent.
Quel est, du fond de l'inconnu,
Cet Astre fol, à cur perdu,
Qui va, dans l'âme, se levant ?
( DÉCOUVERTE )
Sur la page déserte
Que mon lointain regard
Parcourt en pure perte,
Quel merveilleux hasard
D'un jeu qui déconcerte,
Fera, d'un verbe inerte,
Jaillir la découverte
A tous les vents offerte
D'un songe quelque part ?
Le cheval boit dans l'onde claire
Le reflet bleu d'un ciel vivant
Dont le soleil se désaltère &endash;
Et que ride, en ton cur, le vent !
Le vent de mer léger qui te lave la face
De toute la splendeur d'un jour rejaillissant,
Dans ton cur laissera cette immuable trace
D'éternité fragile et cependant vivace &endash;
Qui circule à la pointe extrême de ton sang !
VENT D'HIVER
Le vent, plus qu'une bête fauve
Prise entre des barreaux de fer,
Hurle à travers la place chauve ; -
Sur l'asphalte du quai désert
Les grands lampadaires ont l'air
De femmes folles qui se sauvent !
Le vent déracine les arbres,
Plonge au profond de ton désir,
Brise les tombes et les marbres :
Ouvre le ciel à l'avenir !
LE FEU
L'ÉCLAT DE LA NUIT
LA NAISSANCE DU FEU !
Ce n'est pas de croire à la mort
Qui t'a fait reconnaître Dieu, -
Mais, au fond de l'âme qui dort,
La naissance même du Feu !
Les feux que l'on allume au loin dans le désert
Sont pareils à ceux-là qui brûlent dans la chair :
Rien ne les fait trembler comme l'obscur désir
De ne vivre jamais qu'à force d'en mourir !
Plonge dans l'air, magnificence de l'hiver !
La vertu qui s'exalte au comble de l'été
Traverse intensément ta dureté sonore
Et fait naître, au milieu de tant de pureté,
Comme la transparence encore d'une aurore, -
Où vient battre, dans l'air cinglant qui me dévore
D'un pénétrant désir que ma tristesse adore,
Quelque chose du feu des jours qui m'ont quitté !
NEIGE DES JOURS
Neige des jours ; neige des nuits ;
Neige profonde comme un puits,
Au fond de ma mémoire obscure ;
Neige de l'âme que je suis,
Quand un soleil la transfigure ;
Comme de cette part impure
De mon être d'ombre, depuis
Que Dieu m'a fait sa créature !
ILLUSION
La forêt verte se balance :
On croit que le soleil est bon !-
Et brusquement, d'un coup de lance,
Le ciel vous blesse jusqu'au fond !
Eté plein de malheur ! Eté que rien n'excuse !-
Eté qui brûle ainsi que l'or de Syracuse !
COMME UN FEU
(SI L'ÉCLAT DE LA NUIT )
Comme un feu qui prendrait dans la forêt profonde,
Si l'éclat de la nuit te ravageait le cur ;
N'hésite pas : va-t'en jusques au bout du monde
De ton être perclus d'immortelle douleur,
T'y jeter, comme on jette l'or au sein de l'onde,
Pour absoudre du temps ce fabuleux Malheur
Qui sans cesse sur terre en l'âme surabonde,
A travers les espaces d'ombre vagabonde,
Emplit les univers d'inanité féconde,
Et t'enserre de force absurde, - quand tout meurt !