1
D'UNE
CERTAINE CONNAISSANCE DE L'ART ET DU
TEMPS
On dit:" Nu comme un ver", mais
tout ce qui est ver n'est pas nu.
Cri : cette ultime
limite du silence !
"Le vide est
agressif", dit ce physicien.
Plût au ciel qu'il ne le
fût qu'en physique !
Mettre les choses à leur
place pour ne pas risquer que les choses ne nous
mettent un jour de force à la
nôtre.
Le vent, que l'on entend qui
vient et qui brusquement soulève la
feuillée, - comme l'esprit traverse un corps !
Quand le soleil se lève
à la cime des arbres
Et que le jour naissant plonge
dans l'or des fleurs !
Les arbres n'atteignent jamais
véritablement le ciel que dans la mesure
où le ciel descend jusqu'à
eux.
On ne peut seulement
déranger une fleur sans qu'aussitôt
s'émeuve une étoile.
Il est plus facile de briller
seul dans le désert qu'au milieu de toutes les
étoiles de la nuit.
Qui n'est pas soi-même
profondément "habité", ne peut
"habiter" personne.
Qui est de partout,
n'est de nulle part.
Séparez les racines du
tronc, et la feuillaison meurt ;- comme, sans la
feuillaison, les racines ne seront bientôt
jamais plus que des tentacules de rêves
avortés.
Si vous laissez les ennemis de
votre propre corps envahir votre propre corps, vous
n'aurez bientôt plus de corps ; - ainsi,
aussi, de l'esprit.
Tout doit se mériter; -
à commencer par ce qui semble
dû.
Si on néglige le
rien, que deviendra le tout ?
On tue l'avenir en le
précipitant.
Quoi que tu fasses, calcule
toujours avec le temps.
Pas de tenue sans
retenue.
Tout ordre se conquiert
: tout désordre est le fruit d'un
abandon.
Le propos qui m'assiège,
au fort de sa puissance,
Me délivre du sort qui
m'avait tourmenté.
- Ne vois-tu pas que tu voies
toutes choses comme à travers un voile
?
- Si, mais c'est le voile de
mon propre regard, celui qui certes voile plus ou
moins toutes les choses que je vois, mais aussi celui
qui me permet de voir toutes choses comme
moi-même seulement je les peux
voir.
La limite est toujours
et de toute manière en nous, et en dehors de
nous, infranchissable : on ne possède rien,
tout entier, jamais.
Quand on a tout perdu, tout
devient important, - ou plus rien ne l'est.
Toute une vie pour aboutir
à la mort ! - Quel mal se donne
véritablement l'homme pour mourir !
N'avez-vous jamais entendu sur
une plage déserte, à l'orée de
l'Automne, face à la mer et dans le grand vent
d'Ouest, la lancinante plainte des mouettes - veuves
désormais de tout l'été ? - Si
non, il vous faut aller l'entendre, car cette sorte de
mélopée pénétrante et
triste prend, dans la lumière diffuse,
mystérieuse et grise de
l'arrière-saison, l'étrange force d'un
appel aux accents singulièrement,
désespérément - et comme
humainement - déchirants.
Quand la
lumière flambe à la cîme des
arbres
Et ravage de feu les coeurs
ressuscités !
Cette mémoire du coeur -
qui pourrait bien n'être aussi que le coeur
même de la mémoire !
Certaines choses, pour qu'elles
soient, il suffirait d'avoir le courage de les
dire.
S'efforcer d'être de ceux
par qui d'autres existent pour ne pas risquer
d'être de ceux qui n'existent que par
d'autres.
Le plus grand silence est
terrible en cela qu'il ne supporte jamais que le plus
grand silence.
Toute la beauté du ciel
tient dans le seul regard des
étoiles.
Le ciel, sans les
étoiles, serait comme un grand visage d'aveugle
dans la nuit.
Les étoiles sont, dans
la profondeur des cieux, coimme la respiration
même de l'esprit.
les étoiles, même
apparemment absentes du ciel, le regard sait bien que,
malgré leur absence, elles
sont.
De la virginité frileuse
des étoiles !
Deux manières
d'être insondable : par excès ou
par défaut.
Les hommes se
réfléchissent entre eux comme des
miroirs.
On ne peut vouloir
épuiser l'instant sans risquer de
s'épuiser soi-même, car l'instant,
c'est nous.
Les choses changent : il
n'y a que les êtres qui
meurent.
Rien, si tu le veux, de tout ce
qui ne touche pas à l'essentiel de ton
être, ne peut l'atteindre
profondément.
N'ajoute pas à la nuit
du monde sous le prétexte toi-même de
briller, car ta propre - apparente -
lumière serait alors plus
ténébreuse encore aux regard d'autres
âmes que la nuit.
Parais, juste ce qu'il faut
pour ne pas immédiatement
disparaître ; au-delà de cette
limite : disparais.
Transparence : quand le plus
pur visible possible nous introduit à
l'invisible le plus pur.
Trop limpide pour ne point
enfermer de secret.
Les sommets
libèrent de la plaine, mais la plaine
repose des sommets.
Considérés d'une
certaine hauteur, les apparences sont calmes ; tout le
mal vient des zones d'ombre que chacun porte en
soi.
Ne creuser l'être
que pour toujours davantage tenter de
l'élucider.
Solitude parfaite au coeur de
l'être vierge !
Quelle tendresse habite au
coeur de l'être vierge !
Quelle tendresse habite au sein
des profondeurs !
Le soleil, à la fin du
jour, est comme la lente descente de l'âme vers
la nuit.
La pensée naît des
abîmes, et la souffrance est le bien le plus
profond de la mer.
Ici-bas, c'est toujours la
fleur qui attire et le fruit qui
désespère.
Quand le corps te manque,
venge-toi sur l'esprit !
On ne voit pas le vent ; on
n'en connaît que les effets : ainsi de
l'âme.
Le temps est à
l'éternité ce que la matière est
à l'âme.
Il n'y a que l'ultime
qui vaille, ou que ce qui se rapporte, entout,
à l'ultime.
Entre le Mirage et la
Vérité il existe cette différence
que la Vérité finit toujours par nourrir
la faim qu'elle creuse.
Plutôt l'angoisse qui
tord que la quiétude qui
endort.
Ma chair et mon esprit ont des
exigences qui se conjuguent et dont le but ultime est
d'y voir clair.
Sur le plan physique, un air
immobile devient rapidement irrespirable par
l'insupportable impression qu'il donne de n'exister
pas ; sur le plan de l'esprit au contraire, c'est
lorsque l'air s'identifie à la plus grande et
à la plus haute pureté immobile qu'il
devient véritablement et le plus
profondément respirable.
Le Sphinx est partout, mais son
oeil est en nous, et la réponse à
la question est en Dieu.
2
DE
LA FORME ET DE L'INFORME
Pas d'âme ici-bas sans
forme d'âme.
Rien ne ressemble plus à
de l'informe que de l'informe, parce que
la diversité profonde vient de
l'âme et que l'informe, par
définition n'a pas
d'âme.
L'informe : cette sorte
de "figuration" ici-bas du
non-âme.
Plus l'art tend vers
l'informel et plus il tend vers
l'informe, et plus il tend vers
l'informe et plus il tend vers
l'arbitraire.
De l'informel à
l'informe et de l'informe à
l'arbitraire - cette porte ouverte sur le
néant, il n'y a qu'un pas; - vite
franchi.
Quel sens peut
véritablement avoir la quête de la
"forme" de l'informe?
La forme fait ici-bas
partie de cela sans quoi l'esprit meurt.
On perd la forme de
l'être en perdant l'être de la
forme.
Creuser la forme, c'est creuser
l'être, car creuser l'être de la
forme, c'est creuser la forme de
l'être.
L'approfondissement de
l'informe mène au Rien ;
l'approfondissement de la forme mène au
Tout.
DE
L'ART "ABSTRAIT"
Il n'y a pas et ne peut y
avoir, à proprement parler, d'art
"abstrait", et ce qu'on appelle abusivement ainsi
n'est que l'expression avouée ou non d'un
primordial et figuré concret dont
il vient, d'où il tire toute sa substance
formelle et spirituelle, dont il ne parvient et ne
parviendra complètement jamais à se
défaire et qui le hante jusqu'en la
négation même qu'il semble en vouloir
parfois solennellement donner, mais
déibérément ici
morcelé, mutilé et comme
désintégré par des
techniques d'art, ce qui n'est pas du tout la
même chose ; - car il n'est rien ici-bas de
véritablement "abstrait"
qu'invisible.
" Le "figuratif" serait-il
mort?"
Depuis quand les regards de
tous ceux qui nous regardent - y compris de ceux qui
regardent tout ce qui désormais, par eux, n'a
plus de regard - n'ont-ils plus de figure
?
Art "abstrait" : art sans
regard, désemparé d'être sans
regard, et comme perpétuellement et
dédespérément
aveuglé par cette
irrémédiable absence en lui de
regard !
L'art "abstrait" ne vient pas
du coeur, car on ne détruit pas ce que l'on
aime, mais d'une cérébralité et
d'un certain tremblement de l'obscur - même
illusoirement paré de lumière - en
l'esprit ; - car la transfiguration de la forme, qui
seule est fruit de l'Amour, ne passe et ne pourra
jamais passer par la défiguration ou
l'élimination dans le temps de l'expression de
ce qu'il nous est tout naturellement et comme
d'emblée donné d'aimer - jusqu'à
nous en nourrir pour si profondément en vivre
et d'une certaine manière aussi en mourir -
dans ce même temps.,
" Regardez; m'a
déclaré cet homme, en s'efforçant
de me faire m'extasier devant un tableau "abstrait",
il n'y a certes pas ici de figure, mais quelle
matière !" - Comme si chez Rembrandt,
par exemple, il n'y avait pas non seulement autant de
figure que de matière mais encore
autant de matière que de figure ;
comme si, chez lui, la qualité de la
matière n'était pas moins
équivalente à celle de n'importe quelle
peinture "abstraite" de ce temps ; comme si dans cet
art enfin figure et matière ne formaient pas
qu'une seule et même réalité
vivante en laquelle la figure était
comme perpétuellement irradiée par la
matière et la matière
comme perpétuellement tranfigurée par la
figure ! - En vérité, Rembrandt
ajoute, dans son art, à la profondeur opaque et
limitée de la matière la
profondeure incommensurablement transparente de la
figure.
L'art "abstrait" - en son sens
réel de coupé de..., abstrait
de..., et donc privé de ..., - est
dans son approfondissement même
irrésistiblement attiré vers la mort,
comme la cime foisonnante d'un arbre en plein ciel et
profondément relié par ses racines
à toutes les sèves de la terre est
irrésistiblement attirée vers la
vie.
Chaque tableau "abstrait" me
fait éprouver jusqu'à l'angoisse le
sentiment d'un absolu déchirement devant
l'expression d'une réalité
elle-même alors comme
"déchirée" et qui crie
après l'unité perdue.
Art "abstrait" : sinon toujours
forcément rien ; du moins toujours
forcément mutilé.
C'est toujours par rapport
au réel - qui, seul, ne triche
pas - que l'homme trouve sa vraie mesure et
c'est toujours le réel qui donne la
vraie mesure de l'homme.
Tableau "abstrait" de X : on
croit que X est quelque chose ; tableau
"figuratif" de ce même X : on voit
brusquement et dramatiquement que ce même X -
par rapport à ce qu'on croyait qu'il pouvait
être - n'est rien.
L'art abstrait" pourrait bien
être, dans certains cas, plus qu'une supercherie
: une imposture.
L'art "abstrait" a cela de bon,
m'a dit cet homme, que l'on y met ce que l'on
veut. - Alors que dans un Rembrandt, par
exemple, et c'est toute la différence, on n'y
met pas ce que l'on veut, mais bien seulement
ce que l'on peut.
Point ici-bas de primordiale
matière qui n'existe autrement qu'incluse dans
une figure qui la "dépasse" infiniment et qui
lui donne son sens en l'informant.
Ainsi doit-il en être
aussi - pour non seulement sensiblement mais encore
intelligiblement, donc humainement et
réellement "exister" - de toute "matière
d'art".
Un seul "signe", mais
éclatant - d'une réalité d'autant
plus profondément reconnaissable ici
comme telle qu'elle a d'abord été
transfigurée par l'art - suffit, dans un
contexte par ailleurs habité par la seule et
anonyme opacité de la matière,
pour libérer et sauver totalement cette
matière d'elle-même et la faire
accéder et participer d'emblée à
la "signification" de la
figure.
Art" abstrait" et
condamné à n'exprimer plus - en son
perceptible et constant désarroi de ne pouvoir
manifestement se fixer ni s'appuyer sur rien d'autre
que les aveugles balancements ou chatoiements
de la matière - que ce qui
échappe dans le visible à toute
immédiatement sensible et intelligible
"figuration" pour nous de
l'invisible.
Si l'art "abstrait" est certes
capable de frapper d'une certaine manière le
regard et de traduire plus ou moins obscurément
quelques mouvements confus du coeur ou de l'âme,
il est absolument incapable de donner comme tel un
sens à ce qui peut apparaître
ici-bas comme un "non-sens" et dont le vrai
sens est "ailleurs". l'art "abstrait" introduit
au contraire une part - spirituellement non
négligeable - non seulement d'absence de
sens mais encore véritablement de
non-sens - de celui-là même qui
surgit de la seule conscience de l'homme et dont les
conséquences humaines sont souvent si
dramatiquement incalculables - dans
l'univers.
Deux sortes de
néants : l'inexistant et ce qui,
"existant", - mais comme de
l'"existant-inexistant", - n'a pas de
sens.
C'est le drame et la
contradiction fondamentale de l'art "abstrait" que de
ne pouvoir se séparer complètement
jamais de tout ce qui le nie et qu'il tente
désespérément de détruire,
sous peine lui-même de n'exister
pas.
Art "abstrait" : art d'une
certaine négation et d'une
négation certaine de l'"existant"
par la négation de sa
"figure".
Il y a toujours plus ou moins
d'équivalences - ou de
non-équivalences - entre les
matières ; - il n'y a jamais
d'"équivalence" entre les
regards.
Les êtres, les objets et
les paysages qui composent une oeuvre d'art dite
"figurative" nous rendent toujours quelque
chose de l'attention ou de l'amour même que nous
leur pouvons donner, par cette immédiatement
intelligible et irrécusable part
d'humanité qui les habite et qui n'est ici
que l'expression d'une réalité
"transfigurée" par l'homme dans l'art,
qu'ils gardent et que nous retrouvons sans cesse en
eux et qui nous fait indéfiniment participer du
plus secret frémissement de leur "vie"
même - comme elle les fait toujours plus ou
moins profondément participer en retour aussi
du plus intime et du plus vrai de notre
vie.
Aucune "matière
d'art" au contraire -
délibérément coupée - de
toute intelligible et frémissante
représentation de ses "sources", au
point de n'offrir plus à nos regards qu'une
réalité irrémédiablement
et désespérément anonyme, opaque
et sourde - n'est capable de nous rendre rien de la
"fraternelle" attention que nous lui pouvons
éventuellement donner et de nous "aimer" en
retour elle-même alors comme telle absolument
jamais.
Art "abstrait" : non pas
seulement, en son expression formelle, art sans
regard et donc art sans âme, mais
encore, en définitive et par cela même,
art sans Amour.
En art, la perfection de
l'"abstrait", - comme celle de
l'"informe", - c'est le rien.
Art "abstrait" :
synthèse, parfois étincelante, de
mort!
DE
LA DEFIGURATION A LA TRANSFIGURATION DE LA
FIGURE
N'accepte à la limite et
d'une certaine manière de
"défigurer " la "figure" que dans
la mesure où la nouvelle représentation
que tu en donnes est capable de nous
révéler quelque chose d'autre et de plus
que ce que nous connaissions déjà de
l'ineffable et suprême réalité
dont cette même "figure" est
secrètement ou manifestement le signe. - Dans
le cas contraire, abstiens-toi, car tu ne
découvrirais alors à nos regards que
tes abîmes.
Si l'image ne sert pas à
la transfiguration mais à la
défiguration de l'homme, l'homme finira
par ressembler à la défiguration de
l'image ; car l'homme finit toujours par
ressembler à ce qui le représente,
surtout si ce qui le représente est à ce
point une émanation de lui-même et une
création non pas certes ici pourtant de son
propre coeur mais bien de ce qu'il peut y avoir de
plus profondément discutable et arbitraire en
son esprit.
C'est apparemment un
moindre disque pour l'esprit que de s'efforcer de
"détruire" sans cesse
"impunément" en art une
réalité dont on sait pertinemment
d'avance qu'elle s'y trouve formellement
toujours comme absolument désarmée et
donc que, de toute manière, elle ne s'y
défendra pas.
La "parcellisation"
d'une réalité donnée ne vaut en
art que si elle ne perd pas toute signification pour
nous par rapport à la réalité
dont elle vient et que s'il nous est possible de la
réintégrer au moins en esprit dans la
totalité de cette même
réalité ou plus profondément
encore de la relier à ce que cette
réalité présente de plus
significatif d'elle-même à son niveau le
plus haut, - comme il en est, par exemple, pour le
corps humain, du visage, et, dans ce visage, du
regard.
La quête de
l'inachevé pour l'inachevé, comme
aboutissement de l'art, est sans issue, puisqu'on peut
toujours concevoir un inachevé plus
inachevé que l'inachevé
déjà atteint - jusqu'à cet ultime
inachevé qui n'est en quelque sorte que
l'achevé de l'inachevé et qui
s'appelle le néant.
Sculptures d'Henry Moore : art
non de l'humain, mais du minéral ou,
plus exactement, d'un humain
minéralisé qui, tirant toute sa
force des zones d'ombre de l'être,
apparaît comme une constante négation de
ce même être, en ce qu'il y règne,
qu'on le veuille ou non, une singulière
absence d'âme ; - à moins qu'il ne
soit que la prophétique expression du prochain
avénement d'une sorte d'humanité
déshumanisée au point de
n'être plus porteuse que d'une "âme"
aveugle et sourde à tout autre appel que celui
de la matière et qui n'aurait alors
tragiquement et désespérément
pour l'homme plus rien d'humain.
De la
désintégration - comme
éthique et comme esthétique - par l'art,
dans l'art, et ailleurs. - Parfait :
désintégrons ! Mais il nous faut
alors aller jusqu'au bout de notre démarche et
n'avoir de cesse que tout autour de nous ne soit
désintégré, mais quand tout
autour de nous par nous sera
désintégré, il ne nous restera
plus à en désintégrer que la
désintégration, ce qui est absurde,
à moins qu'on ne commence à
désintégrer à son tour ce qui
désintégrait, c'est-à-dire
nous-mêmes ; mais quand tout, et
nous-mêmes avec tout, sera
désintégré, à quoi donc
cela servira-t-il, puisque nulle conscience ne sera
plus là pour constater que tout sera bien enfin
réellement et définitivement - sinon
même magnifiquement -
désintégré ?
Tout "surréel"
qui ne se construit qu'à partir de la
destruction - et non de la sublimation - du
réel, ne pourra jamais présenter aux
regards qu'un champ de ruines ; car - au plan des
irrécusables rapports naturels du fond et de la
forme et qui constituent les données
élémentaires de l'existant, sans le
respect et la considération desquels il n'est
rien de véritablement compréhensible et
préhensible pour l'homme autour de lui et en
lui, et en dehors de l'invérifiable
manière dont peuvent être imaginés
quelques-uns de ces mêmes rapports au niveau
d'un certain ordre religieux particulier -
l'endeçà, l'au-delà ou le
contraire de ce qu'on appelle communément - et
désespérément - ici-bas le
réel, c'est la mort.
On ne dénude pas
l'être en le désintégrant,
mais en éclairant en lui tout ce qui
meurt de toute l'infiniment précise, lucide
et fulgurante autant qu'aimante lumière de tout
ce qui - non seulement en dehors de lui mais en lui -
ne meurt pas.
Non point la
défiguration, mais la
tranfiguration de la
"figure"!
3
DE LA
LIBERTÉ DU MARBRE ET DE LA MÉMOIRE DU
VENT
"A vouloir sculpter dans le
marbre, on en oublie le vent" (Pierre
Seghers).
Mais
- le vent ne respecte
rien tant que le marbre ;
- il n'est rien de plus
oublieux que le vent qui, en s'oubliant sans
cesse soi-même, est bien incapable de garder
jamais quelque mémoire du marbre, tandis
qu'il est possible au marbre de garder, par
l'art, quelque quasi perpétuelle mémoire
du vent ;
- le "marbre" pourrait
bien n'être en définitive aussi parfois
en art que du vent
"apprivoisé".
" Géométries
dont le risque majeur est de paraître
mortes" (Pierre Seghers).
Formes évanescentes dont
le risque majeur est de paraître
rien.
Que serait certes en art une
géométrie qui ne serait qu'une
géométrie ; - mais que serait a
fortiori en art du vent qui pourrait bien
n'être à la limite aussi que "du
vent" ?
Mieux vaut infiniment en art -
ô Bach - une géométrie
frémissante qu'un frémissement
sans géométrie.
***
" La perfection fixe (du
verbe "fixer"). Elle ne rêve plus, elle rive. Le
grain du devenir ne germe pas souvent en elle. Objet
de mémoire, objet de musée, la
perfection demande à chaque instant à
être dépassée. Comme un être
vivant, le poème subit ses mutations. C'est
bien souvent en fonction de son avenir qu'il
m'intéresse"(Pierre Seghers).
La perfection d'art ne
rêve pas moins qu'elle ne rive,
car elle ne rive que la part
extérieure du rêve, afin que
la frémissante réalité
intérieure aux prolongements
indéfinis de ce même rêve ne
risque pas de s'échapper ni de se perdre jamais
à travers la trame inconsistante et comme plus
ou moins alors inexistante des mots.
Au niveau d'une perfection
d'art, rien n'est fini dans le fini, mais c'est au
contraire toujours à partir du fini de la
perfection et de la perfection du fini que
tout commence.
De l'indéfini
à l'infini par le fini : à
condition seulement qu'il y ait d'abord, à un
moment donné, quelque part, et dans tous les
sens du terme, un fini.
La quête d'un
au-delà - pressenti ou entrevu - de la
forme et par la forme est la seule justification de la
forme.
L'art ne fixe la forme
extérieure du poème que pour plus
sûrement et plus profondément en
délivrer l'esprit.
Traduire l'être de
l'être et de l'univers par la
frémissante, lucide et lumineuse
exactitude d'un fini transfigurant
d'avoir été lui-même d'abord et de
l'intérieur même inifiniment
déjà
transfiguré.
Les mutations -
virtuellement indéfinies - d'une
perfection d'art sont intérieures. C'est
pourquoi toute perfection d'art, , sous le
regard amoureusement attentif d'une seule âme ou
d'innombrables âmes, se dépasse et se
renouvelle sans cesse elle-même,
d'elle-même, et en elle-même, -
ou elle n'est pas.
La perfection d'art n'est
pas - comme d'aucuns voudraient ironiquement et
ridiculement nous le faire croire - de l'ordre du
"léché", mais - par un certain
épuisement, sur un sujet et à partir
d'éléments extérieurs (lignes,
couleurs, mots, sons) plus ou moins "donnés",
de toutes les possibilités de la forme -
de celui d'un certain fini de cette même
forme, - au profit chaque fois d'une certaine
expression de l'infini et de
l'inépuisable.
C'est se perdre soi-même,
dans la quête d'une forme, que de refuser
à cette dernière - par négligence
ou manque de rigueur - ce qui la garderait
elle-même de se perdre.
Tout ce qui, dans un choix
déterminé, n'offre pas de
résistance, amoindrit immanquablement - et
parfois considérablement - la valeur même
de l'ensemble de ce choix et met en cause
jusqu'à la qualité de la liberté
dont il provient.
"Plus brillant que
résistant."
Le diamant seul est aussi
résistant que brillant : parce que -
seul - il possède - aussi - la
densité.
Il court plus de sang et de vie
sous le poli de certains marbres qu'il n'en
circule au sein de toutes ces formes
hétéroclites et
invertébrées qui ne prétendent
exprimer que l'instant comme tel en dehors de tout de
tout ce que cet instant peut contenir aussi
d'éternité ; - et les feux de certains
diamants admirablement ciselés - ô
Mallarmé ! - nous font jaillir de la chair
même, du coeur et de l'esprit de l'être
tout entier un "sang" - comme d'une "blessure" - qui
tire l'intensité de toute sa force d'une source
et pour une fin situées infiniment
en-deçà et au-delà de la ciselure
qui l'a fait apparamment seule jaillir : au niveau de
cette indicible transparence d'être que nous
voilait et nous révélait à la
fois sans le savoir cette même
ciselure.
Devenir et mémoire. -
Pas de devenir ici-bas sans mémoire. Car chaque
moment d'un devenir capable d'"exister" d'une certaine
manière déjà dans l'imagination
de la mémoire, non seulement ne se
réalise dans le temps qu'en fonction de ce qui
fut, mais encore, dès qu'il s'est
incarné - jusqu'à en mourir - dans ce
même temps, sans la mémoire, n'est plus.
Et la mémoire, en éternisant ce qui a
cessé d'être, est le perpétuel
devenir de ce qui meurt.
Un poème qui ne
présente formellement d'avance nulle chance de
laisser dans aucune mémoire quelques
traces indélébiles, porte
déjà la mort en soi.
La mémoire n'est pas
musée, chambre morte ou tombeau, elle est la
premanence dans le changement, ce qui dure au sein de
ce qui meurt, la seule réalité d'hier
qui survive de nous aujourd'hui et qui avec celle
d'aujourd'hui, survivra de nous demain, - car, comme
l'écrit magnifiquement Gustave Thibon : " ...
les chants par qui le Poète fixe les heures
enfuies ne sont pas seulement des tombes où
gisent les choses qui sont mortes dans le temps, ce
sont aussi des berceaux où sommeillent,
à demi transfigurées, les choses qui
vont renaître dans l'éternel. La
mémoire anticipe sur le ciel : l'homme qui se
souvient annonce le Dieu qui ressuscite".
DE LA
MUSIQUE ET DE L'IMAGE
La musique est la source
même du poème et l'image s'abreuve
indéfiniment à cette source même
du poème qu'est la musique.
Si, en poésie, la
musique peut aisément se passer de l'image,
l'image au contraire peut difficilement se passer,
pour exister, d'une certaine musique.
En poésie, certaines
musiques ébranlent à elles seules non
seulement la sensibilité profonde mais
l'imagination vive du lecteur au point que l'on peut
dire qu'elles ajoutent à leur puissance
d'incantation propre, les pouvoirs mêmes de
l'image.
L'image est plus proche du
sentiment que de la pensée, et l'accumulation
des images dans un même poème ne peut se
faire et ne se fait en définitive qu'au
détriment de l'exactitude et de la rigueur
même de cette pensée.
Par une accumulation
systématique et précipitée des
images - qui ne peuvent alors presque toujours que se
détruire plus ou moins entre elles - dans un
même poème, on ne pense pas ; - on se
dépense.
L'image ne peut
qu'éclairer la pensée, elle ne
la remplace pas.
L'image va dans le sens d'un
élargissement de l'être, la
musique va dans le sens de son
approfondissement.
Une musique exacte et
secrètement accordée à la
pulsation profonde du poème sert la
plénitude et la rigueur de la pensée
mieux que ne le fait aucune image.
L'image - fût-elle
transparente et fluide - garde toujours en elle
quelque chose d'extérieur à
l'être, de cet extérieur visible
dont elle vient ; la musique au contraire - pourvu
qu'elle soit véritablement et
profondément musique - n'a de cesse qu'elle ne
plonge au plus secret de cet être même
pour s'y fondre et ne faire désormais plus
qu'un avec lui.
Tendre à ce que la
musique et l'image se fondent ensemble dans une
même indestructible réalité
frémissante qui ne desserve l'expression ni de
la tendresse du sentiment ni de la rigueur de la
pensée, - sans lesquelles elles-mêmes ne
seraient pas non plus alors exactement ce qu'elles
sont.
L'image ne doit pas être
un "hors-d'oeuvre" - qui peut apparaître comme
une faiblesse, et bien qu'il y ait des images de cette
sorte qui soient très belles - par rapport
à l'ensemble du poème (comme le serait,
dans un autre ordre, quelque mirage détachable
et flottant à la surface de l'être), mais
elle doit au contraire participer du sang même
et de la vie même, au niveau de la plus
secrète essence, fond et forme réunis,
du poème.
Faire en sorte que l'image non
seulement n'apparaisse jamais comme excentrique
par rapport au mouvement intérieur
général du poème mais encore
qu'elle se fonde si profondément en lui et
s'intègre si intimement à sa structure
même qu'on ne puisse l'en détacher sans
que le poème lui-même ne cesse du
même coup et en tant que tel
immédiatement d'exister.
Non qu'il s'agisse ici de jeter
quelque discrédit sur la valeur propre et les
prestiges même de l'image, mais bien
plutôt de redonner à cette
dernière - par une singulière, active et
de nouveau chaque fois comme exclusive
exaltation de tous ses feux - la place éminente
et rare qui lui revient dans le corps même du
poème, et de lui rendre ainsi, dans ce
même poème, la totalité de ses
pouvoirs.
DE
LA POESIE CLASSIQUE - ET DE L'AUTRE.
Le beau vers -
essentiellement "musique" et aux
prolongements indéfinis : le vers
talisman, le vers diamant, le vers unique - est
l'aboutissement, l'accomplissement et la suprême
justification de tout ce qui, en poésie,
n'est pas lui.
De la "facilité", de
la "sécurité" et des "fausses"
contraintes de la poésie
traditionnelle.
Si cela était
:
- pourquoi donc les
poèmes classiques de prosateurs
illustres comme de notoires auteurs modernes de
sentences poétiques ou de poèmes en
prose sont-ils si souvent, par rapport à ce
qu'on en pouvait légitimement attendre, si
médiocres ?
- les Villon, Scève,
Ronsard, La Fontaine, Racine, Chénier, Vigny,
Hugo, Nerval, Baudelaire, Mallarmé, Verlaine,
Valéry devraient pulluler dans notre
littérature ; - ce qui n'est pas.
"Bérénice", "L
Maison du Berger", "Les Fleurs du Mal",
"Hérodiade", La Jeune Parque", par exemple,
seraient-ils véritablement imaginables sans
rimes, autrement que ne vivant alors, par rapport
à ce qu'ils sont, que d'une existence
irrémédiablement et
désespérément mutilée et
dégradée?
Baudelaire, sans ses "Petits
poèmes en prose", serait encore Baudelaire ;
sans "Les Fleurs du Mal, il ne le serait
plus.
Singulière attitude en
vérité que celle de ces contempteurs
patenté de la poésie traditionnelle et
qui ne peuvent s'empêcher pourtant de faire sans
cesse appel dans leurs propres textes - comme si leur
écriture même avait besoin, pour
exister, d'un tel concours - à
quelques-unes des plus évidentes ressources de
cette dernière : soit qu'ils mettent ou
remettent l'assonance ou la rime au bout de leurs
versets; qu'ils truffent leurs poèmes en prose
ou leurs proses poétiques non seulement de
rapports de sons qui ne sont chaque fois que des
assonances ou des rimes plus ou moins
camouflées, mais encore de purs vers classiques
qui en relèvent brusquement l'éclat ;
soit qu'ils couvrent d'innombrables pages de versets
qui ne sont en réalité formés que
des plus réguliers vers blancs; soit enfin
qu'ils observent srupuleusement les mesures et les
rythmes traditionnels en des vers auxquels il ne
manque ostensiblement que la rime; - qui
pillent donc allègrement d'un
côté ce qu'ils dénigrent
solennellement de l'autre, mais en prenant seulent
bien soin de faire en sorte de laisser croire et
dire autour d'eux qu'ils ne le pillent
pas.
D'aucuns n'ont manifestement
abandonné et cherché à
systématiquement détruire la forme
poétique traditionnelle que par
incapacité véritable à creuser
eux-mêmes le langage au-delà de ce qui
avait été exprimé
déjà dans cette forme, d'y ajouter cette
nuance personnelle en même temps
qu'infinitésimale et infinie qui bouleverse,
dans le ciel de l'être, le cours même des
astres, et nous apporte de nouveau toujours ce quelque
chose apparemment de presque rien d'autre qui donne
pourtant à ce qui est, à partir de
l'approfondissement d'une réalité
elle-même donnée et dans les limites
délibérément acceptées
d'un univers formellement clos, l'impression
brusquement qu'il contient tout.
C'est cette double appartenance
plus ou moins dosée entre
l'élément poétique et
l'élément prose dans un
poème en prose et dans une prose
poétique qui apporte à ces derniers, par
la dualité de leurs chances, ce surcroît
de ressources formelles par quoi elles donnent le
change et qui les font rarement apparaître
totalement nulles, alors que le faisceau de
lumière unique et dru qui tombe brusquement
d'un regard sur un poème en vers traditionnels
ne lui laisse aucune chance, si le poétique
seulement manque, d'en réchapper jamais; - mais
c'est finalement un singulier surcroît de force
aussi pour ce dernier que de ne pouvoir s'appuyer et
compter, quand cela arrive, que sur la pureté
sans formelle ambivalence et nue de son
chant.
La différence
fondamentale qui existe entre un poème en prose
ou de la prose poétique et un poème en
vers traditionnels, c'est que le poème en prose
et la prose poétique peuvent cesser
d'être poétiques sans pour autant
cesser d'être de la prose, tandis que si le
poème en vers traditionnels cesse d'être
poétique, il n'est plus rien.
Ce qui signifie simplement que
l'élément essentiel d'un poème en
prose ou d'une prose poétique est
l'élément prose, tandis que
l'élément non seulement essentiel mais
encore unique d'un poème en vers traditionnels
est l'élément
poétique.
Personne n'oblige certes ni
n'empêche non plus personne de "battre" Racine,
Vigny, Baudelaire, Mallarmé, Valéry sur
leur propre terrain ni de souffrir leurs tourments
d'art pour donner les fruits que l'on sait. Compte
seul, ici comme ailleurs, non pas ce que l'on dit,
mais ce que l'on fait. S'il est vrai que rien ne peut
être plus faible qu'un vers classique, rien non
plus, quand le "souffle" passe, n'est plus
foncièrement inimitable et plus
irremplaçable que lui. A ne considérer,
comme il convient, que les sommets, et par rapport
à tout ce qui n'est pas elle, il apparaît
qu'il y a dans la poésie classique
française de tous les temps, donc du
nôtre, des pointes d'art qui tiennent de leur
perpétuel renouvellement d'hier
l'irrécusable promesse de pouvoir se renouveler
indéfiniement demain et dont le moins qu'on
puisse dire est qu'elles n'ont jamais
été dépassées. - Tout le
reste, en ce domaine, est du vent !
D'UNE
ECRITURE - POUR LA JUSTIFICATION AUSSI D'AUTRES
SEMBLABLES ECRITURES
Ecrire en vers classiques est
moins finalement pour moi une cause que je
défends qu'une manière d'être que
j'assume, et que - décidément aussi -
je justifie.
Si en poésie, mon
tempérament se refuse d'instinct aux
"excès de langage", c'est parce que je sens
confusément que ma tendance naturelle à
cultiver ces mêmes excès n'est finalement
pas ce qu'il y a de meilleur en moi.
Il y a toujours dans mes
poèmes comme une sorte de
précipitation, de soif
effrénée d'arriver au but et que ce but
soit clair - au moins dans sa formulation s'il
ne peut l'être aussi toujours et de la
même manière ailleurs jusqu'en ses
plus subtils et imprévisibles éventuels
prolongements.
Qu'importe qu'il puisse
t'arriver d'utiliser, en dehors des mêmes mots,
de mêmes accouplements de mots et de mêmes
tournures de phrases pour exprimer les
différents aspects d'une réalité
qui n'est finalement jamais que la tienne ou que celle
dont la tienne n'est - à ton insu ou non -
qu'une certaine représentation ici-bas, si tu
parviens seulement chaque fois à exprimer le
moins mal possible à tes yeux un peu de ce
qu'il te semble y avoir en toi non pas peut-être
d'essentiel mais de moins périssable à
dire.
Ce qui peut apparaître
dans mes poèmes comme une chute, n'est
en réalité, à mes yeux, au sens
étymologique du terme, qu'une conclusion
; - comme ce l'est enfin d'un corps formellement
clos sur lui-même sous peine de mort ; comme ce
l'est aussi d'une vie qui, sa course achevée,
se referme brusquement et totalement en même
temps qu'irrémédiablement non seulement
sur elle-même, mais encore sur Dieu, - et en
Dieu.
Ma poésie n'est pas
ambiguë, ou, du moins, s'il lui arrive de
l'être, elle ne l'est jamais volontairement mais
par seule faiblesse de ma part, bien qu'il soit vrai
que s'efforçant d'exprimer toujours davantage
de l'inépuisable réalité d'un
sujet déterminé, ma poésie puisse
parfois comme tout naturellement se trouver plus ou
moins habitée, au-delà du sens premier
des mots, par un ou plusieurs sens en quelque sorte
"seconds" capables de lui donner cette apparence
d'ambiguité, mais je n'aspire finalement
qu'à tenter d'atteindre, à travers et
par la plus grande cohérence formelle et
intérieure possible du poème, à
la plus grande cohérence et unité
intérieure possible de la réalité
perpétuellement en devenir et donc mouvante du
plus irréductible pourtant de mon être
même.
Se dire : tu n'écriras
finalement jamais que pour toi. L'important est de
satisfaire ton propre goût d'une certaine
lumière sur toutes choses, par l'application
à ton art d'une certaine rigueur dans la
transparence, comme l'accomplissement le meilleur pour
toi d'une quête de la vérité par
la beauté, et pour te permettre, toutes les
fois que tu auras sombré dans la misère
et dans la nuit, de te relever plus sûrement
chaque fois et autant de fois qu'il le faudra,
d'être moins misérable enfin que tu ne le
serais si tu ne t'exprimais pas de cette
manière. Pour le reste, hormis une certaine
souffrance et une souffrance certaine inhérente
à la nature humaine et souvent
indépendante de la volonté de l'homme,
qu'importe !
Bien léger qui ne
verrait dans mes poèmes - à cause de la
transparence et de la musicalité
perpétuellement recherchées de leur
chant - qu'un jeu d'esthète, car ma
poésie, née de la souffrance et tout
entière toujours et comme douloureusement sinon
même désespérément tendue
vers une sorte de sublimation de l'instant, est
essentiellement une poésie de
rachat.
IV
DE L'ART,
DE LA LUMIÈRE ET DE LA BEAUTE
DE LA BEAUTE
Il n'est d'art sans
beauté, ni de beauté qui ne rende
meilleur.
Il n'est pas de beauté
sans un certain ornement : la nudité est le
suprème ornement, à la condition
seulement qu'elle soit belle.
Vous ne cessez de me parler de
la beauté de la Charité ; moi je
voudrais vous parler de la charité de la
Beauté.
Toute beauté d'art qui
ne ferait s'arrêter le regard le regard
qu'à l'extériorité
figée de sa forme, ne serait, pour ce
même regard, qu'une beauté
intérieurement glacée et
déjà morte en soi.
Ils me feront toujours rire
ceux qui proclament partout bellement que le
chaos est le fin du fin et la fin de tout et
qui ne trouvent jamais rien de mieux que de se servir
sans cesse eux-mêmes du beau contre ce
même beau qu'ils prétendent vouloir
précisément détruire - comme si
le beau était à leurs yeux
même paradoxalement seul capable
d'accréditer leur propre mais non moins
incroyable thèse qu'il n'est
rien.
Il est toujours infiniment plus
facile pour l'homme de réduire de la
beauté en laideur que de transfigurer de la
laideur en beauté, car si l'on peut
réduire de la beauté en laideur sans le
secours d'aucun "supplément d'âme", on ne
peut transfigurer de la laideur en beauté qu'en
lui rendant un peu de la transparence et de la
pureté primitive dont elle vient.
Si vous ne savez pas quelle
différence formellement existe entre le beau et
le laid, comme l'expression ici d'un certain mal et
là d'un certain bien, demandez donc à
n'importe quelle femme normale en mal d'enfant de
mettre volontairement au monde un "monstre", et vous
verrez ce qu'elle vous répondra.
La laideur, en tant que
telle, et même prétendument devenue objet
d'art, n'a jamais été le fruit, au sens
spirituel du terme, d'aucune sorte d'art, mais bien
plutôt celui d'un étrange manque d'art, -
à moins que ce ne soit d'abord et surtout celui
d'une singulière absence aussi de la plus
grande âme.
Il existe une sorte de
fascination de l'obscur - quelque chose comme
venant d'une beauté claire
"renversée".
O ma beauté
"convulsive" - et condamnée à
n'exister plus que par le spasme, pour le spasme et
dans le spasme, comme si le spasme aveugle et sourd
pouvait être en art le fin du fin, une fin en
soi et la fin de tout, et comme s'il n'y avait pas
véritablement de la démence à
vouloir te réduire à n'être plus
qu'un misérable objet d'interrogations
cliniques à la merci de quelque extravagante et
aléatoire psychiâtrie ; comme si encore
cette part d'être qui fut depuis des
millénaires la tienne la plus haute devait
brusquement se trouver par le diktat de quelques-uns
inexorablement rejetée dans les abîmes de
l'anathème et de la nuit ; et comme si tu ne
pouvais désormais plus te sauver et nous sauver
que dans les mouvements hoquetants et les sursauts
dérisoires d'une incontrôlable
crispation, capable de n'offrir plus enfin à
nos regards assoiffés de ta
vérité, au milieu d'un visage
lamentablement ravagé par les
ténébreuses approches d'une sorte de
delirium tremens et de la folie, que l'opacité
tragique et délirante d'un pitoyable regard
révulsé!
Beauté souillée,
beauté profanée?... - La beauté,
dans sa part éternelle, demeure inatteinte,
mais ce sont le coeur, l'âme du profanateur qui
se trouvent alors obscurcis au point de ne plus la
percevoir, la recevoir.
Point ici-bas de beauté
qui ne soit profondément aussi une
beauté triste, car la beauté, qui
n'a pas de prix, est, dans son expression formelle,
perpétuellement menacée, et de savoir
que ce qui n'a pas de prix est perpétuellement
menacé, a quelque chose de
déchirant.
Toute réussite d'une
beauté est le fruit d'une "rupture".
Parler des mouvements de
l'être en termes de beauté, c'est
en parler en termes de destin, car la
beauté, qui porte en elle à la fois le
rayonnement de la mort et le soleil de
l'éternité, rejoint le destin en cela
que ce dernier n'est lui-même et de la
même manière formé que par les
fils inextricablement entremêlés de la
mort et de l'éternité : d'une mort
perpétuellement sauvée par de
l'éternité ; d'une
éternité perpétuellement
délivrée par de la mort.
Si la beauté n'est rien
ici-bas sans le regard, que serait le regard sans la
beauté ?
Le regard sans la beauté
serait comme sur le monde la fenêtre ouverte
d'une merveilleuse intelligence condamnée
à vivre sans connaître jamais sa
véritable raison d'être - au sein pour
elle de la plus incompréhensible et de la plus
irréductible nuit de l'esprit.
Grandeur et
désespérance ici-bas de la
beauté : de n'être jamais que ce qu'elle
est, en nous laissant toujours infiniment pressentir
tout ce qu'elle pourrait être et qu'elle n'est
pas, mais en nous donnant d'autant plus soif aussi de
ce qu'elle n'est pas qu'elle nous comble davantage
enfin de ce qu'elle est.
La beauté sur terre
n'est pas seulement la réalité qui dans
certaines âmes meurt le moins, mais encore celle
qui les transfigure le plus ; - en
vérité, celle-là même qui
serait peut-être seule capable un jour ici-bas,
en transfigurant tout, de tout sauver.
Toute beauté
menacée s'échappe en Dieu !
DE
LA LUMIERE
Un art
irréfragable et nu comme la
Lumière !
Qu'est-ce qu'un art qui ne
serait pas en même temps
nourriture?
La lumière est la
nourriture de l'esprit.
" Ce que je fais, dit la
Lumière, je le fais sobrement, - ou je ne le
fais pas."
Rien de plus terrible que la
lumière qui, en dissipant toutes les ombres,
rend toutes choses nues.
Certains êtres sont
exaspérés par la Lumière au point
qu'ils se conduisent envers elle comme des
aveugles.
Si la nuit ne peut se passer de
la lumière - parce que c'est la lumière
par son absence même qui crée la nuit,
que la nuit ne se situe jamais que par rapport
à la lumière et qu'on ne saurait pas que
la nuit existe sans la lumière, - la
lumière, au contraire, se suffit à
elle-même et n'a pas besoin de la nuit pour
exister ; la présence de la nuit ne pouvant
chaque fois qu'aiguiser comme par contraste
l'intensité déjà
incommensurablement existante de la
lumière.
Si ce qu'on tire de la nuit est
aussi obscur que la nuit même d'où on le
tire, à quoi sert-il donc de le tirer de la
nuit ?
Exorciser la nuit, pour rendre
claire toute chose - née de la
nuit !
N'exprimer la nuit que pour
mieux exalter la lumière ; n'exalter la
lumière que pour mieux sauver la
nuit.
On est toujours plus ou moins
lié par les ténèbres et
délié par la
lumière.
"Rien n'est plus
mystérieux que la lumière : on peut
toujours éclaircir ce qui est obscur ; la
transparence seule est impénétrable"
(Gustave Thibon). - Cette transparence qui
pourrait bien être le plus pur visage ici-bas de
l'Absolu.
La lumière de la terre,
c'est déjà quelque chose du Visage de
Dieu posé sur nous.
DE
L'ART
Que chez toi les mots n'aillent
jamais plus loin que la pensée ne peut les
suivre ; car jusqu'où vont les mots, là
aussi doit pouvoir aller la pensée.
Le poème à
naître préexiste toujours d'une
façon latente - et comme "en attente" au fond
de soi : tout le problème de la création
ne consiste alors qu'à le tirer de la nuit
même de l'être sans trop le
dénaturer ni donc - d'une certaine
manière aussi - le
détruire.
Dans un poème n'attend
pas que la rime soit imprévisible, mais que la
pensée, par la résonance
secrète du vers, le soit.
L'important, en art, n'est pas
de dire dix, vingt ou cent fois, fût-ce
brillamment, des choses à peu
près justes, mais de pouvoir dire
seulement une fois, le plus simplement
possible, quelque chose - ressenti d'emblée
comme tel par quelques-uns -
d'irrécusablement juste.
Le véritable souffle
poétique tient moins à la longueur
même d'un poème qu'au prolongement que
peut avoir dans certaines âmes ce même
poème, car il est des poèmes longs dont
le prolongement dans l'âme d'autrui est
pratiquement nul et des poèmes brefs dont le
prolongement dans certaines âmes est
infini.
En art, où tout n'est
presque toujours qu'une question de nuances, il
exite souvent entre le vrai et le faux la même
différence que celle sui distingue, par
exemple, deux colliers de perles dont l'un serait faux
et l'autre vrai : il n'y a que l'oeil exercé
d'un expert pour aisément s'en apercevoir ; or,
le premier est sans valeur et le second n'a pas de
prix.
Quand on n'a rien à
dire, il est bien difficile à la forme de
remplacer suffisamment le fond absent pour
réellement exiter ; il ne reste le plus souvent
alors entre les mains du "créateur" - comme une
épave flottant à la surface de la mer -
qu'une sorte d'insaisissable et pitoyable
inanité des mots.
Presque toujours en art, au
contraire de l'insolite, l'évidence,
pour rare et salutaire qu'elle soit, se remarque la
dernière.
Ce qui est essentiel
n'apparaît que très rarement dès
l'abord singulier : il y faut le plus souvent
le regard d'une extrême attention pour
découvrir en quoi cet essentiel est
unique.
En art, trop de
lucidité, crevant l'illusion,
crève la joie, il ne reste alors de refuge que
dans l'effort.
"Gratuité" de
l'écriture. - Oui, mais au niveau seulement de
l'acte d'écrire et non point à celui
d'un choix arbitraire des mots : ce n'est pas parce
que l'acte d'écrire doit être
"gratuit" que l'on doive écrire
n'importe quoi.
Poésie dite
libérée". - "Libérée"
de qui?... "Libérée" de
quoi?...
La véritable
liberté en art ne se situe pas au niveau d'une
quelconque désarticulation ou
désintégration
délibérée de la forme mais
à celui de la liberté d'âme
qui informe l'informe en lui imposant enfin, par
l'impérieuse nécessité de ses
contraintes, l'impérieuse - et lumineuse -
nécessité de ses choix.
Poésie
"libérée" de tout - sauf
d'elle-même; et "libre" -
apparemment seulement - de ne l'être
pas.
A force de jouer avec les mots,
on finit toujours par plus ou moins jouer avec sa
propre vie.
La folie - ou le "crime" - des
tenants d'une certaine poésie dite "moderne",
c'est de porter atteinte, par une volonté
forcenée de désarticulation et de
désintégration du langage, à
l'intégrité et donc à
l'unité de l'être même, -
car le verbe et l'être ne font
qu'un.
L'insolite pour l'insolite et
l'équivoque pour l'équivoque : ces
Masques !
La quête de l'ordre, d'un
certain ordre harmonieux et pur, peut être, pour
qui la vit intensément, une aussi dramatique
aventure que la quête du chaos ou de l'aventure
pour l'aventure, - comme si d'ailleurs la quête
du chaos pour le chaos pour le chaos ou de l'aventure
pour l'aventure pouvait être humainement un but
en soi! - car si la quête du chaos pour le chaos
ou de l'aventure pour l'aventure peut ne laisser qu'un
immense vide en l'âme, la quête absolument
désespérante et toujours plus ou moins
désespérée d'une
réalité dont la perfection sitôt
qu'entrevue recule indéfiniment devant nos yeux
sans qu'il nous soit véritablement jamais
possible de la saisir laisse dans l'âme une
blessure qui ne se referme totalement
jamais.
S'efforcer toujours d'atteindre
dans le langage à cette simplicité
supérieure où toutes choses
transparaissent brusquement dans l'évidence
du vrai.
Faire jaillir
indéfiniment la poésie des mêmes
mots ; - comme la vie d'un être, jamais
exactement la même, jaillit indéfiniment
du même "sang"!
Le grand art est simple ; il
doit posséder en lui comme le mouvement
profonde de la respiration la plus
élémentaire de l'être
portée à son niveau de "pulsation" la
plus haute.
Tendre à
l'élémentaire, à
n'atteindre toujours, dans l'expression par le langage
d'une réalité qui se cache en se
dévoilant et qui se dévoile en se
cachant, que la part irréductible de ce
même langage par rapport à cette
même réalité, ce qui en constitue
en quelque sorte le noyau.
Fuis le mot rare, - trop
délibérément et manifestement
recherché par toi parce que rare, -
comme tentation du superflu.
Le rare - au sens
d'essentiel à l'être et donc d'infiniment
précieux pour lui - est, comme l'air que l'on
respire, ce qui nous apparaît presque toujours
comme ce qu'il y a d'ici-bas de plus
effacé.
Rare - par apparente
absence de rare!
S'arracher au sortilège
des mots; - parvenir à ne les aimer que pour
leur geste nu.
Les vers de Racine
possèdent ce quelque chose de moins qui leur
donne ce quelque chose d'autre et de
plus qu'on ne trouve à ce point nulle part
ailleurs.
Les héros les plus
raciniens de Racine pourraient tous à la fin
des fins véritablement s'écrier : "Il
ne manque plus rien, puisque j'ai tout
perdu!"
"Racine?
Dépassé!" - La question est
seulement de savoir par qui, par quoi ou en
quoi Racine est dépassé". Il
est des dépassements qui vous
honorent.
Ne cherche pas d'abord à
être original, mais à être
vrai; - à être original
parce que vrai : original seulement
parce que vrai.
N'accepter
l'originalité de la surface que
dans la mesure où elle traduit la
vérité de la
profondeur.
Donner de la profondeur
à la surface, révéler ce
que la surface porte en elle, sans même
toujours bien le savoir, de
profondeur.
De l'insolite de la surface
à l'insolite de la profondeur : le premier
n'agissant que par brusque autant
qu'éphémère surprise et comme par
défaut de profondeur ; le second n'agissant au
contraire que par une surprise immédiatement
efficace certes dans son déclenchement mais
lente dans l'imprévisible et possiblement
lointain déroulement de ses effets, qui nous
mène de surprise en surprise et crée
comme un enchaînement indéfini de
surprises, en même temps que s'opère (au
niveau d'une réalité donnée, et
comme sous la poussée de l'existence en elle
d'un surcroît perpétuellement
renouvelé de profondeur) comme une sorte de
progressif approfondissement de cette même
profondeur, - d'une profondeur qui, une fois
révélée, se révèle
elle-même alors chaque fois
inépuisablement révélatrice de
profondeur.
En art, le comble de
l'intensité dramatique ne se situe pas au
niveau d'une expression violente et exacerbée
des sentiments et des pensées, mais à
celui - infiniment plus secret et par là
même plus subtil et plus fort - d'une
indéfinissable et tout ensemble
irrépressible densité
frémissante de l'âme, -
elle-même tout entière alors, par la
forme, comme difficilement sinon même comme
impossiblement contenue.
S'il appratient à la
musique, aux arts plastiques et au langage en
général d'exprimer, de diverses
manières, le chant profond qui sourd du coeur
et de l'intelligence de l'homme, il appartient
essentiellement à la poésie d'en
exprimer ce qui en est peut-être la part la plus
irréductible et la plus haute : le
frémissement secret de la
pensée.
Si creuser le langage ne sert
pas à creuser l'être, à quoi
sert-il donc de creuser le langage?
Le visage - et
particulièrement , dans le visage, le regard, -
est, par excellence, le miroir de l'âme, et
toute oeuvre qui ne porte en soi ne fût-ce que
le reflet - voilé ou non - d'un visage ou comme
l'attente indéfinie pour ne pas dire infinie
d'un possible visage, perd toute la qualité et
toute la force d'âme qui lui conférerait
la "présence" en elle de cet ineffable miroir
de l'âme qu'est le visage.
Ce qui distingue toujours en
art les grands initiés des simples
créateurs de formes et des dispensateurs de pur
vertige et de faux songe, c'est l'extrême
organisation en eux de la densité de la
transparence et de la pureté de la
pensée.
Ce qui fait la grandeur d'une
oeuvre, c'est moins l'originalité subtile ou
saisissante des images, l'abondance ou l'éclat
resserré du style que l'indéfinissable
présence en elle de quelques cadences
suprêmes qui éclairent brusquement
tout le reste d'un rayon tel que rien d'autre n'est
alors capable d'en altérer jamais la
fulgurante, décisive et comme
irremplaçable beauté.
L'"ouverture" se trouve
toujours à l'"intérieur"
même du poème, - comme le coeur de feu du
lotus ne brûle jamais qu'à
l'intérieur de ses pétales ouverts ou
refermés.
Que ton poème soit,
d'une certaine manière, si amoureusement et
profondément "refermé" sur
lui-même qu'il garde indéfiniment en lui,
comme son plus précieux bien, pour une
infinité d'êtres à venir, les
trésors intérieurs qu'il a
été capable de dispenser une fois
seulement déjà à
quelques-uns.
Quand les hommes de notre
époque en auront assez d'être
perpétuellement et de toute manière
choqués jusqu'au plus intime de leur
être, ils supplieront de nouveau qu'on les
charme.
La vie de l'oeuvre d'art n'est
pas de même nature que la vie de la vie, car si
la vie de la vie ne se réalise que dans un
mouvement formé d'un extraordinaire
enchaînement d'instants, la vie de l'oeuvre
d'art au contraire n'existe que par l'arrêt et
comme par la brusque et définitive fixation
formelle d'un moment privilégié de
la vie de la vie, et donc - en devenant à sont
tour elle-même alors indéfiniment source
de vie - que par une sorte d'illuminatrice et
fulgurante en même temps qu'inépuisable
éternisation de la mort.
Chair
transfigurée par l'art :
matière
d'éternité!
Seul compte d'une oeuvre ce qui
nous en reste dans l'âme.
L'Art : cette
perpétuelle remise en question des
Ténèbres par la
Lumière!
V
DU
HASARD ABSOLU ET DE LA LIBERTE
La réflexion, le
fait de revenir sur..., ne fut-ce qu'une
seule fois, est la négation du hasard
absolu et l'irréfutable preuve de l'existence
en l'homme d'un élément de
liberté qui échappe au hasard et qui le
juge comme hasard; - car le hasard ne peut revenir sur
lui-même sans se détruire lui-même
; il lui faut, pour exister, marcher
indéfiniment au-devant de lui sans jamais se
retourner.
L'existence ici-bas d'un
hasard absolu signifierait pour l'homme, en
même temps que l'abolition de toute
mémoire, l'impossibilité absolue de
connaître rien jamais non seulement de tout ce
qui - comme lui - constituerait le hasard, mais encore
de tout ce qui - éternellement libre et
maître, ailleurs, du hasard - pourrait le
délivrer de ce hasard.
Pour qui serait
enchaîné sur terre à un hasard
absolu, n'existerait que de
l'instant, un instant
indéfiniment mort sitôt que
né, donc finalement que de la mort, une
sorte de permanente et infrangible mort, - une
mort, dès ici-bas déjà,
comme absolue.
L'homme ne pourrait et ne
répondrait jamais, à l'existence ici-bas
d'un hasard absolu, que par un
désespoir absolu.
Il n'est point ici-bas de
liberté absolue ni de hasard absolu; les
événements de l'espace et du temps ne
sont formés que de perpétuels compromis
entre de la liberté et du hasard, - que de la
liberté s'inscrivant dans du hasard, - que de
la liberté s'inscrivant dans du hasard, - et de
hasard s'inscrivant dans de la
liberté.
De la relativité d'un
terrestre "hasard absolu". - Tout "hasard
absolu" (au sens d'un inexorable
enchaînement particulier d'instants), - parce
qu'il ne pourrait exister sans élimination
préalable à son seul profit, par la
souveraine et décisive intervention d'une
réalité préexistante à
lui-même et supérieure à lui,
d'une infinité d'autres semblables hasards
primitivement possibles au sein de l'univers, - ne
pourrait jamais être absolu qu'au niveau
de l'enchaînement indéfini de ses
conséquences et non pas à celui de son
origine, et ne pourrait donc finalement jamais
être non plus que le fruit du choix d'une
Liberté véritablement
elle-même alors - en sa source ultime -
Absolue.
Apparente contradiction
fondamentale de la Liberté Absolue : de ne
pouvoir se vouloir libre qu'absolument, jusques
et y compris de ne l'être pas, mais
sans cesser alors même pourtant de
l'être absolument jamais.
DU
PUR ET DE L'IMPUR
"De la guerre, démon
majeur, aux complexes, démons mineurs, le
domaine démoniaque - présent plus ou
moins subtilement dans tous les arts barbares - est
rentré en scène.
Le domaine
démoniaque, c'est celui de tout ce qui, en
l'homme, aspire à le détruire"
(André Malraux).
Il règne, dans toute une
part de l'art et de la littérature
d'aujourd'hui, une soif si profondément et
manifestement blasphématoire de
destruction de l'humain dans l'homme et du divin dans
l'humain qu'il semble qu'elle ne puisse plonger ses
racines - à l'insu peut-être parfois
même de toute conscience claire de l'homme -
qu'au sein des forces les plus radicalement et
désespérément obscures et
négatives en même temps que
formidablement et monstrueusement vivantes et
agissantes (au niveau de la plus
irrémédiable mort) de
l'univers.
Ne pas douter de l'existence,
en deçà de l'humain et de l'inhumain,
s'opposant à l'Existence et s'appuyant sur les
existences, d'une sorte de pureté de l'impur et
dans l'impur : de Pur Impur.
Le Pur Impur n'est pur -
d'une certaine manière et dans l'ordre de son
impureté même - que jusqu'à cette
ultime limite où sa pureté deviendrait
telle qu'elle serait alors capable - par attirance
suprême entre les contraires - de le faire
basculer - si c'était possible - dans le
Purement Pur. - Mais seulement si
c'était possible, car, comme il en est des
rapports des Ténèbres et de la
Lumière, le Pur Impur n'est et ne pourra
jamais être qu'une dégradation et donc
que la négation, l'affirmation a contrario, et
comme le reflet radicalement et
désespérément inversé du
Purement Pur.
Le Pur Impur : sans
lequel tout ce qui est, ici-bas, imparfaitement pur ou
impur, comme tel, n'existerait pas.
Le Pur Impur est
incapable de perdre le Purement Pur, - mais il
peut être sauvé par
Lui.
Le Pur Impur n'est
séparé du Purement Pur que par un
espace - infini.
L'absolue
intériorité de la Lumière
absolue est le seul contrepoids possible au Pur
Impur.
DU
PRIMORDIAL "CHAOS" A L'ORDRE, ET DE L'ORDRE AU
CHAOS
Il existe deux sortes de
chaos : le primordial "chaos" qui vient
de Dieu et qui porte en lui tous les possibles ordres
de l'univers; et le chaos qui vient de l'homme
et qui n'est que l'expression de la
désintégration par l'homme d'un certain
ordre issu du primordial "chaos" de l'univers,
qui porte en lui tous les éléments
désintégrés de l'ordre
détruit et qui ne pourra jamais être
autre chose, à la différence du
primordial "chaos" qui vient de Dieu, qu'un
aboutissement qui soit aussi un aboutissement de mort,
- mais d'une mort spirituellement ici comme absolue et
privée de la transfiguration de la
mort.
Le primordial "chaos"
qui vient de Dieu est un commencement sans
fin; le chaos qui vient de l'homme est une fin
sans commencement.
Ce n'est pas, dans le
primordial "chaos", le "chaos" qui est
intéressant, mais l'ordre
perpétuellement issu de ce "chaos" et
qui le justifie en le niant.
DE
LA RECHERCHE DE LA RECHERCHE POUR LA RECHERCHE ET PAR
LA RECHERCHE DE LA RECHERCHE...
Ce nouveau "narcissisme" qui
n'ose pas dire son nom et qui s'exerce à la
faveur d'une "recherche" qui n'est que la
négation même de la recherche en ce
qu'elle se condamne elle-même d'entrée
à n'aboutir nulle part, sous peine
soi-même de se détruire.
Il en est qui cherchent
indéfiniment ailleurs ce qu'ils
ont déjà profondément en
eux, et c'est pour cela qu'ils ne le trouvent
pas.
DES
CATEGORIES
Tout ici-bas, et tout
à l'intérieur de de tout, dans ses
propres limites, en soi, et par rapport à tout
ce qui n'est pas soi, et par rapport à tout ce
qui n'est pas soi, n'est que catégories.
Et nier les catégories, c'est
déjà se reconnaître de la
catégorie de ceux qui nient les
catégories par rapport à la
catégorie de ceux qui les affirment. Tout
ici-bas n'est que catégories, parce que
tout, de par sa nature même et par rapport
à tout ce qui n'est pas Tout, s'y trouve
limité par l'espace et le temps de telle sorte
qu'il semble que ce soient leurs limites mêmes
qui d'une certaine manière et en nous les
révélant créent les
catégories. L'important est seulement que ces
catégories soient non pas des catégories
mortes mais des catégories vivantes et
vraies parce que profondément et comme
indissolublement reliées entre elles par de
mutuels et infinis échanges d'Amour qui les
plongent ineffablement toutes ensemble enfin au sein
de cette suprême Catégorie sans
catégories qui est Dieu.
VI
D'UN
AMOUR
Ton Coeur, Amour, dès qu'il
l'a reconnu,
Pour le vêtir, mon coeur
s'est mis à nu!
Ton Amour m'a couvert le visage
comme un "manteau"!
Qui tu aimes, quand tu l'embrasses,
fais-le chaque fois comme si ce devait être pour
la dernière fois.
L'enfance de l'Amour est un peu
chaque fois comme l'enfance du monde, - et l'enfance
est aussi un peu chaque fois comme l'enfance
miraculeusement renouvelée de
l'Amour.
Pas d'Amour véritable qui ne
soit dès sa naissance et par sa nature
même comme percé d'une flèche en
son sein.
Aimer, c'est être
"dévoré" par ce qu'on aime au point de
le "dévorer" soi-même d'une certaine
manière à son tour en devenant
lui.
La souffrance que l'Amour se donne
à lui-même, donne à ceux qui en
souffrent et vivent d'en souffrir, la conscience
même qu'ils ont de l'intensité de cet
Amour.
Comme le ciel et la mer - si
différents entre eux - à l'horizon se
rejoignent, ainsi sans cesse nous-mêmes,
à l'infini de l'espace et du temps, nous nous
rejoignons.
Ta soif mortelle est dans mes mains
illuminées
Comme un flambeau vivant qui monte
de la nuit !
A mesure qu'elle marchait, et parce
qu'autour d'elle il se faisait toujours une plus
grande lumière, elle prenait de plus en plus un
air d'éternité.
Toute approche de l'âme
d'autrui ne peut être ici-bas qu'incertaine et
mutilée, mais c'est de ce tremblement
même qu'elle tire son plus haut prix: celui de
vouloir et de pouvoir "exister" malgré la
mutilation et malgré le mort.
Soleil de ma Mémoire :
Mémoire en moi de mon "Soleil"!
VII
DE
QUELQUES ASPECTS DU PARAITRE A L'ETRE
Le poids d'une seule âme pure
sur l'avenir de l'être est
infini.
Ce qui passionne surtout dans la
vie de certains êtres, c'est moins la succession
morcelée des instants de leur existence que la
courbe générale même de leur
cheminement : cette chute ascendante ou
descendante qui les fait comme inexorablement tomber
dans les abîmes de la Lumière ou de la
Nuit.
Ces masses d'hommes sans
contours, qui ne cherchent et ne s'aiment
précisément que parce qu'elles sont
sans contours; comme toutes ces sortes
d'idées collectives qui s'agglomèrent
toujours plus ou moins centre elles et qui drainent
d'autant plus sûrement la conscience des peuples
qu'elles se révèlent flottantes,
confuses et arbitraires!... - Je n'arrive pas à
comprendre qu'on puisse aimer quelque chose de
vague.
Ce que je redoute, dans le
vague, ce n'est point tant d'y rencontrer de
l'inconnu que du vide; - parce que le
vide est, comme le néant, de
l'inconnu-inconnaissable.
Le vague et le rien
se rejoignent en cela qu'ils expriment tous deux de
l'inexistant; l'un, par absence de
réalité; l'autre, par inconsistance
d'être et comme par "surcroît
d'irréalité".
Tout ce qui est
limité verse en l'âme, par la
conscience aiguë qu'il nous donne de ses limites
même, le pressentiment très doux de
l'illimité.
***
La confusion des ordres et des
valeurs - en l'être et hors de l'être
- par l'être entraîne presque
immanquablement une désagrégation
intérieure sinon même extérieure
de ce même être, par la confusion qu'elle
entretient en lui entre ce qui lui est essentiel et ce
qui ne l'est pas.
Si le faux était
égal au vrai, à quoi servirait au
faux - de quelque nom qu'on le nomme et depuis
des millénaires - de paraître
n'être pas vrai, et vice versa? - Ainsi
du beau et du laid, du bien et du
mal, du jour et de la nuit, du
pur et de l'impur, de la vie et
de la mort, et de tous ces contraires
que d'aucuns s'ingénient à si
consciempment et comme diaboliquement vouloir faire
croire qu'ils les confondent absolument, tout en
prenant bien soin dans le même temps de ne pas
manquer de les distinguer et de les opposer
radicalement au fond d'eux-mêmes pour leur
propre usage et à leur seul
profit.
Pour une mouche, pas de
différence entre une vomissure et la
Piéta de Michel-Ange, sinon qu'il lui
est bien plutôt même possible de trouver
dans la première une certaine sorte de
nourriture que ne lui offre pas la seconde, tant il
est vrai que c'est toujours au niveau des soifs les
moins pures comme des regards les plus obscurcis par
rapport à la Lumière que toutes choses
se confondent le plus inextricablement entre elles et
que cette hiérarchie des valeurs que l'esprit
est amené pour son propre usage à si
clairement concevoir se trouve le plus
désepérément
renversée.
C'est peut-être au niveau de
l'idée qu'ils se font de la vie et de la mort
qu'apparaît le plus clairement encore à
quel point les hommes sentent bien -
confusément ou avec force - que tout n'est
finalement pas égal à tout, car si
du moins la vie et la mort pour eux ne faisaient
qu'un, ils ne s'acharneraient pas de si belle
manière à vouloir presque toujours
retarder jusqu'aux extrêmes limites du possible
l'avènement de ce moment si profondément
inestimable où il leur sera donné
à chacun de pouvoir jouir eux-mêmes enfin
de leur propre mort.
***
Il est toujours infiniment plus
difficile d'obéir aux dieux qu'aux
démons, parce que si les démons sont
plus dévorants que les dieux, les dieux
sont plus exigeants que les
démons.
Derrière cette sorte
d'étrange et comme irrésistible
fascination qu'exercent sur certaines
âmes les manifestations ici-bas du
monstrueux et du laid se
révèle le refus inconscient ou
solennellement proclamé de toute forme possible
de résurrection immédiate ou
ultérieure de l'être au profit d'un
singulier attrait pour l'anéantissement de
toute chose au fond de quelque obscure et comme
désespérément inexistante
réalité par l'intermédiaire de
quelque irrémédiable mort; - à
moins qu'il ne s'agisse, à travers la
quête de ce monstrueux et de ce
laid, de celle d'un Mal après lequel ces
âmes aspirent comme après
l'avènement du règne de l'envers
même de la Lumière et comme pour se
venger de l'exitence de cette dernière par le
triomphe enfin - autour d'eux et en eux - des
abîmes de la plus insondable et de la plus
irrémédiable Nuit.
La fascination n'est pas de l'ordre
de l'Amour; il y a dans la fascination comme une sorte
de possession indue et donc de viol de l'être
fasciné : rien peut-être de ce qui
fascine ne transfigure.
Quel que soit l'abîme
où tu tombes, ne prends jamais goùt
à l'enfer.
***
On ne compose pas avec ce qui
décompose; - on ne peut jamais tenter - en
se gardant bien de se perdre avec lui - que de le
sauver.
Se décomposer en restant
apparamment soi-même est bien la pire des
décompositions qui soit; - comme
celle-là même de cette eau qui croupit et
se décompose sans pour autant jamais cesser
apparemment d'être de l'eau, et bien qu'il ne
s'agisse plus alors, à l'analyse, exactement de
la même eau.
L'homme n'a jamais tant soif
d'abaisser que ce qui lui apparaît comme si haut
ni de souiller que ce qu'il pressent comme si
pur.
Un esprit fort n'est pas
forcément un esprit pur; mais un esprit pur est
toujours fort de son apparente
vulnérabilité: on croit toujours pouvoir
l'atteindre en cela d'irréductiblement pur en
quoi pourtant on ne l'atteint
précisément tout entier
jamais.
A la source absolue correspond,
par équivalence de nudité, le
désert absolu en lequel - comme dans la
nudité d'un miroir sans tain - l'âme se
connaît et reconnaît, à travers sa
propre nudité, son abîme et sa chance,
son irréductible et seul visage et, par
là même enfin, sa
vérité.
Purifier sans cesse le pur, afin
qu'il ne devienne pas, à la longue et comme par
habitude, par une sorte de presque inévitable
et naturel croupissement, formellement ou en esprit,
impurement pur.
L'eau pure qui sourd de terre, pour
rester éternellement pure, doit être
éternellement renouvelée par une eau
venue du ciel, au moins aussi pure qu'elle et
intarissable à jamais.
S'efforcer de retrouver sans cesse
en soi les éléments profonds de sa
source ou de sa fin; cette fin - qui est
source.
Toute l'angoisse de l'homme vient
de sa certitude de ce qu'il porte en lui
d'irrémédiable en même
temps que de son doute de ce qu'il porte en lui
de possible.
Etrangeté de
l'éternel mirage du mythe du changement:
tout change et rien ne change; les instruments
de la mort peuvent bien depuis des millénaires
n'être pas toujours exactement les mêmes,
la réalité fondamentale de la mort
reste, elle, inébranlablement la même, et
le sens ou le non-sens - selon les êtres - de la
mort est inchangé. - Ah! qu'est-ce donc
véritablement qu'un changement qui nous plante
toujours la même interrogation dans le coeur?
Qu'est-ce donc qu'un changement qui ne change pas la
mort?
L'homme ne change pas la
mort: il n'en peut et n'en pourra jamais changer -
avec l'aide, supposée ou non, de Dieu et chacun
pour son seul propre usage; ce qui est
cependant déjà beaucoup, sinon
même tout, pour lui - que le
sens.
En détruisant ce qu'il y a
de périssable en l'être, - et en se
détruisant alors elle-même en
détruisant ses propres raisons de
détruire, - la mort tue la
mort.
La mort de
l'éphémère est la suprême
justification de l'éphémère, ce
par quoi l'éphémère se fond en ce
qui n'est pas l'éphémère et qui,
du même coup, le rend capable et digne, - d'une
certaine manière et d'une manière
certaine, - ailleurs, de
durer.
Toutes choses pour nous changent
vraiment quand la réalité qui nous
entoure commence à nous apparaître non
seulement comme ne nous ayant jamais
complètement appartenu mais encore comme
commençant à ne plus du tout nous
appartenir, et qu'il descend en nous comme
l'étrange sentiment d'une sorte de
mûrissement qui se ferait lentement par le
dedans, - à la manière d'un fruit qui ne
serait alors doré que par le seul rayon d'un
solleil intérieur et dont la
réalité intérieure seule de
l'être même serait la source.
Tout ce qui, d'une certaine
manière, ne s'appuie pas ici-bas
réellement et profondément sur ce qui
meurt - en tant précisément qu'il
meurt, risque de se rendre indigne et de se couper
de ce qui dure; - car ne dure véritablement sur
terre et ailleurs, non pas que ce qui -
apparemment - ne meurt pas encore, mais que ce qui
déjà ne meurt plus.
Ne pas demander à Dieu plus
qu'il ne peut nous donner, car l'instant ne peut nous
donner que lui-même, c'est-à-dire la
précarité de l'instant, mais la
mort en nous de l'instant - de quelque nature
(et jusqu'à la sublimation et à la
transfiguration) que soit cette mort de l'instant -
peut nous donner dès maintenant
l'éternité.
On ne remonte pas à Dieu en
détruisant ce qui est pour retrouver ce qui
fut, mais en transfigurant sans cesse ce qui
est - et qui meurt - pour qu'il devienne
dès maintenant semence
d'éternité.
***
L'homme ne brûle
jamais que d'atteindre à son expression
définitive.
De toutes parts
perpétuellement envahi par moi-même,
j'aspire de toutes mes forces à l'irruption en
moi d'un einfrangible et suprême
réalité qui me sépare enfin de
moi!
Enlevez l'âme ; il n'y a plus
même de corps.
Enlevez le corps : reste
l'âme.
Je crois à la
réalité de ce dont mon âme a
besoin.
L'homme ne peut s'accrocher
indéfiniment qu'aux paroles d'un
Dieu.
Dieu est partout et nous ne sommes
nulle part - qu'en Lui.
Dieu mène parfois ses
créatures de telle sorte qu'on croirait
qu'elles fussent aveugles.
De l'infini "Contenu" du
"Sans-Contours". - Dieu n'est pas "vague", Il est
impénétrable et insaisissable dans la
totalité de son être, - ce qui n'est pas
du tout la même chose. ce n'est pas Dieu qui est
"vague" par rapport à notre regard, mais notre
regard qui est impuissant et "vague" par rapport
à Lui. Le "vague" de Dieu en nous ne vient pas
d'une quelconque "inconsistance" ou "absence
d'être" de sa part, mais au contraire, par
rapport à ce que nous sommes, d'un infini - et
infiniment bouleversant - surcroît
d'Etre.
Cette chute de Dieu dans le temps,
d'un poids infini, pour une possibilité de
rachat infinie!
Jésus-Christ : ce
Dieu qui permet tout, parce qu'il peut tout
sauver!
"J'ai soif de toute ta soif,
jusqu'à Moi!"
L'impur : ce par quoi l'homme
accède peut-être le plus
communément à Dieu. - "Etiam
peccata!..."
Où n'existe pas la mort ne
peut exister non plus de pouvoir de
résurrection.
L'éternité pour
l'homme : n'être plus, afin de plus cesser
d'être.
Se perdre en Dieu, pour ne pas
perdre Dieu en soi!
Après la mort, Dieu restera
toujours pour nous incompréhensible, mais ce
que nous connaîtrons de Dieu, nous
comblera.
Dieu, non pas cernable, mais
discernable.
Dieu, ce milliards de visages et
qui n'en font qu'Un.
Dieu : ce qui reste, quand il ne
reste plus rien.