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L'ÉCLAT DU JOUR QUI MEURT
GM
A
la Douleur
de
l'homme
dans
l'Univers
Pleure d'un astre mort le jour décoloré,
Conscience attentive au meurtre des étoiles !...
Ainsi suis-je et ne suis-je pas ;
Sous le couvert d'une apparence
Dont lentement dans le silence
En un perpétuel trépas
Se désagrège l'existence,
Que la présence d'une absence
Où s'égarent même mes pas...
Ce midi clair a vu frémir
Dans les abîmes de mon âme
Autant de silence de flamme
Qu'une âme peut en contenir !
Tragique source de la mer
Où les larmes s'effondrent toutes ! -
Toutes ! - du fond d'un tel désert
Que dans ton âme tu redoutes
Qu'il ne soit pire que l'enfer !
Ah! ne plus savoir
Si le coeur se prive
D'atteindre la rive
Où brille l'espoir,
Et s'il n'est, ce soir
Où le ciel vient choir
Comme à la dérive,
Nulle âme qui vive
Plutôt morte que vive
Au sein du vent noir !
Neige des jours ; neige des nuits ;
Neige profonde comme un puits,
Au fond de ma mémoire obscure ;
Neige de l'âme que je suis,
Quand un soleil la transfigure ;
Comme de cette part impure
De mon être d'ombre, depuis
Que Dieu m'a fait sa créature !
Le flot qui me désole est celui qui m'enivre ;
De s'en défaire on meurt, autant que de le suivre ; -
On ne sait quel soleil nous mène jusqu'aux cieux
Qui nous font ou bien morts ou bien devenir dieux !
Je n'ôse pas croire au vent qui m'inspire
De respirer mieux quand il souffle fort ; -
Il n'est pour mon coeur de silence pire
Que celui de l'âme où le ciel se tord ;
Ni de souffle tel que je ne désire,
Si le mal n'échappe à mon fol empire,
Qu'il ne soit celui même de la mort !
Triste soir : des oiseaux traversent le ciel vide ; -
Et triste était mon âme, en d'autres soirs pareils,
De toujours se sentir, au bord de l'ombre avide,
Devenir elle-même étrangement lucide,
A voir mourir - au fond de soi - tant de soleils !
Je suis celui qui marche au-devant de la mer ;
Je suis l'adorateur des astres déchirants ;
Je suis celui qui vient d'au-delà de la chair,
D'un pays de tendresse et d'arbres transparents ;
Je suis celui qui meurt de vivre en un désert
De ténèbres sans fin jusqu'en mon âme errants...
Soleils des songes périssables,
Des folles soifs et de la faim
Des grands espaces désirables,
Vos dieux sont morts parmi les sables
Où s'enlisaient, reconnaissables,
Les sombres gloires de leur fin !
Flambeau vivant de la mer morte
Au fond de soi comme un désert
Dont le vent de ténèbre emporte
Les songes lourds à travers l'air, -
Jusqu'à cette secrète porte
Par où, sans être la plus forte,
Mais comme pour le coeur l'aorte,
L'âme s'engouffre dans la chair !
Regarde, en la mare qui boit
Le seul soleil que réverbère
Sa face calme que l'on voit,
Au fond d'une onde sans colère
Mais transie encore d'un froid
Dont l'angoisse même s'accroît,
Parmi des flammes fourvoyées,
Flotter, dans un silence roi,
Mille folles herbes noyées...
UNE FLAQUE AU SOLEIL TREMBLANT...
Une flaque au soleil tremblant de fin d'été
Etale au songe proche de l'hiver la nudité
Pourrissante, tragique et calme de son onde ; -
On dirait que le clair du ciel a déserté
La tendresse de l'air pour la douleur profonde
De tout le mal promis au coeur mortel du monde,
Qaund s'en retire pour jamais la pureté...
I
Le silence troublant qui monte des marais
Désarme la présence ultime de ton ombre,
Orage pénétrant de nuit, quand tu parais,
L'eau calme, croupissante, inextricable et sombre,
Où prolifère, d'algue, un peuple de forêts !
II
Marais profond comme l'eau morte
Qui règne, en ses nocturnes jeux,
Sur ce pays de terre forte
Et solitaire sous les cieux,
Livre aux ultimes profondeurs
D'âme secrète et lourde aussi
D'obscures soifs et de douleurs
A rendre son désert transi,
L'éclair soudainement nacré
De ta surface d'herbes vertes
Où vient trembler au bout du pré
Parmi tant de regards inertes,
Ce pur rayon d'astre attendu
Qui brille, en ce décor perdu,
Comme, après mille nuits offertes,
Au coeur d'irrévélables pertes,
Le tendre éclat d'un rêve dû.
JE NE SUIS RIEN QU'UN SONGE...
Je ne suis rien qu'un songe à peine véritable,
Tellement je me meurs de vivre à tout moment,
Et tellement le feu qui brille en mon étable
A la pâleur d'un jour qui règne sombrement
Sur tout ce qui rendrait mon âme délectable, -
Mais que l'astre immortel d'un ciel d'hiver dément !
La branche morte est là, qui te force à te taire :
Exsangue, blême, aveugle, au bord du chemin creux ; -
Te crois-tu différente à ce bois grabataire,
Pauvre âme, dans ta course errante sur la terre,
Transparente au soleil et sous le vent légère,
Et peut-être déjà, sous un aspect contraire,
Plus morte que la branche, en son exil ombreux !
Tout le froid dans tes membres longs
Et tes regards d'astres éteints...
Ainsi déjà, sous les rayons
De cet Automne que je plains
De voir mourir les sauterelles,
La transparence de tes ailes
Et de tes clairs fuseaux menus -
En leur silence devenus,
Avec la fin des saisons belles,
Comme ce feu des immortelles
Que le temps ne reverra plus...
Triste à jamais de ne plus voir
Ton silence dans l'or s'étendre !...
S'est trouvé pris qui croyait prendre
Ta belle flamme en son pouvoir, -
Tant que voilà ta chaude cendre
Si transparente dans le soir
Et ta chère âme au fol vouloir,
Toutes, - d'un art de les pourfendre
On ne sait né de quel savoir
Pour mieux s'instruire d'un coeur tendre, -
Morte, - ainsi qu'un astre noir !
ou
LA BÊTE
Tu regardes la bête, ô toi qu'elle regarde
De son regard tranquille, à tout l'espace ouvert ; -
Il n'est pas de soleil en toi qui se hasarde,
Qui puisse la surprendre en sa nocturne chair ;
Rien n'excite sa fièvre d'âme ou la retarde;
Mais le mal qui pénètre en toi comme une écharde,
La laisse indifférente à ce mirage clair
D'une réalité d'un jour, dont l'oeil se farde, -
Tandis que ton silence emplit de mort la mer !
Sur ma table, à l'affût de mon regard vivant,
Ton regard mort, corail inquiétant et sombre,
Vers ma face mortelle, interrogeant mon ombre,
Pour y scruter des jours de mon destin quel nombre
- Au gré de mêmes flots sans cesse dérivant -
Lui reste encor sur terre à vivre, - le suivant...
Le temps nous engloutit dans un spasme d'étoile ; -
Et le vent qui surgit du fond de la forêt
Nous fait croire qu'il n'est plus favorable voile
Que celle sur la mer qui passe et disparaît...
Trahison du vent
Qui sape les feuilles
Et, quoi que tu veuilles,
Te disperse, Amant
Du soleil vivant
Des jours que tu cueilles,
Toi qu'un ciel dément,
- Ici, comme avant, -
Sourdement endeuille
Eternellement !
Ombre vivante que fustige
Le vent surgi du sombre nord,
Est-il pour toi d'autre prestige,
Comme la plante sur sa tige,
Que de surseoir à ce vertige
Qui te traverse l'âme lige,
Quand le silence froid te mord !
Le souffle glacé qui te défigure,
Crois-tu qu'il soit nu si profondément
Qu'il puisse t'étreindre ici sans mesure
Pour te fondre mieux dans son élément ;-
Si jamais, du fond de ton âme pure,
S'élève, d'un cri, sous le ciel dément,
Cette force en toi d'un bonheur qui dure
Et se meurt de vivre éternellement ?
Eau froide où plonge
Au soleil blême
L'éclat quand même
D'un pâle songe !
Où va le flot
Dont l'or titube
Et que n'élude
Aucun sanglot ?
Navrante ivresse
Du pauvre coeur
Que nul ne blesse
D'un vrai bonheur !
Où donc s'égare,
A jamais las,
- Et qui t'effare, -
Le tintamarre
De tous ces glas ?
Le vent qui frappe ton visage
A la vertu même du temps
Qui dénature le rivage
Où s'abîment les mouvements
De ta pauvre âme en grand voyage
Vers ce décor qu'un Dieu rêvant
Promet à tout cet équipage
De coeur, de corps, de ciel tremblant,
Qui n'est pour toi qu'un héritage
A la merci du moindre autan ; -
Quand passera du grand carnage
Le souffle irrémédiablement
Qui balaiera le ci-devant fantomatique personnage
Que tu seras devenu, quand
Ne restera de ton image
De pâle songe sur la plage
Et de néant pour seul bagage,
Que dérisoire cendre au vent !
Tu souffres, pauvre coeur, et ta blessure immense
S'aggrave du silence où sombre ta raison :
Nul soleil n'apparaît derrière l'évidence
Des choses qui se font sans cesse et se défont
En cet étrange abîme d'ombre et de démence
Où l'homme infiniment se pense et se repense
Sans espérer jamais pouvoir par sa puissance
De lui-même briser les murs de sa prison !
Prisonnier de la mort par les murs de la vie,
Je m'enferme en moi-même au plus fort de la mort ;
D'une mort par tant d'amour suivie
Qu'on ne sait de l'amour ou de la mort encor
Lequel des deux sera, dans l'âme, le plus fort !
Le soleil qui se lève est le même pour moi
Que celui dont le feu m'emportait dans sa fuite,
Lorsque de l'univers je croyais être un roi. -
Et je m'en vais me perdre en la mort qui m'habite,
Comme si dans ce corps où je suis à l'étroit, -
L'ombre ne devait plus que m'envelopper vite !
Le coeur de l'homme est un profond tombeau
Où s'accumulent mille rêveries
Qui, comme autant d'obscures pierreries
Dont nul soleil irrémédiable et beau
N'allume plus en l'âme le flambeau,
Au fond des gouffres sombres où tu cries,
Ne brilleront jamais d'un jour nouveau !
Tu marches, et ton pas s'imprime dans le sable
De manière que rien n'en garde souvenir.
O visage de vent ! Silence périssable !
Amertume sans fin dans le soleil levant !
Mortel frémissement d'un songe désirable !
N'existe plus pour toi que devenir mouvant !
Et même ta tristesse d'âme délectable
N'attend plus qu'un seul souffle d'ombre pour mourir !
Il faut rentrer, vois-tu : le jour te dissimule
L'ombre qui s'agrandit dans ton désert vivant ;
Les nuages en toi, plus sombres, s'accumulent ;
Et ton pas qui s'en va, sous le soleil, rêvant,
N'ignore pourtant pas que le malheur circule,
A cette heure déjà qui dans la nuit recule,
En ton coeur désoeuvré, - plus que jamais, avant !
Par cet effroi qui ressuscite,
Quand le vent souffle en toi si fort
Que de ton sang s'y précipite
Le flot soudainement si vite
Qu'il semble même qu'il n'hésite
A rompre de la chair les bords ; -
C'est comme si l'âme, en sa fuite,
N'en pouvait plus, dans les limites
Irrémédiables de ton corps
Et mille fois par toi maudites
De n'être rien que si petites,
De retenir, en soi, la mort!
Qui suis-je ? Où vais-je ? Où sommes-nous ?
Le temps s'enfonce à deux genoux
Dans l'océan de ma misère. -
Tout nous divise sur la terre ;
Tout nous sépare, hormis Dieu ;
Ce drame d'être - dans ce lieu,
Où la minute brêve expire -
Nous-mêmes moins qu'enfer le pire ;
Tout nous échappe, de nos fins :
Nos soifs et ces ultimes faims
Qui brisent plus qu'on ne peut dire
L'âme et le corps, et le désert
De ce coeur fait de pauvre chair -
Et qui soi-même se déchire !
S'amenuisent les jours où la souffrance blême
Transfigure le temps en pure éternité ;
Se retirent les flots des rives que l'on aime ;
Et l'Automne se fait moins rare que l'été. -
Que nous restera-t-il, dans la lumière avare
A répandre sur nous toujours sa vérité :
De l'immensité pâle encor de la beauté ;
Du solennel soleil dont le désir se pare ;
Des profondeurs de l'âme où le regard s'égare ;
De l'amour, dans les coeurs, qui brille comme un phare ;
Et, de tout ce malheur dont le silence effare,
L'âpre flot - par le flot des songes - emporté ?
Pareille à l'or du temps qui va se fondre en l'âme
Pour n'y désormais plus former que souvenir,
Et pour n'y tisser non plus que cette trame
D'une vie attentive au jeu du seul mourir,
Ta conscience épure en elle l'artifice
Des jours apparemment plus forts que ton destin,
Quand les flots de la mer troublante avec malice
Te font croire à leur tour qu'il n'est de précicpice
Où ton être ne puisse aller se perdre en vain !
Passe le temps ; meurt la substance
De ce beau corps à peine né
Que déjà mort, - dont l'apparence
S'effrite au coeur désordonné.
Où donc mon âme se perd-elle ?
Vers quelle nuit ? En quels combats ?
Par quels dédales ? L'immortelle -
Que je ressens quand mon coeur bat ?
Lorsque revient la grande artère
Rouler du sang dans mes dix doigts,
C'est toute l'âme de la terre
Qui se mélange à mes effrois !
Tumulte d'ombre !... Solitude !...
Inexistence du vivant,
Quand l'espace mouvant n'élude
Qu'un murmure égaré du vent !
Quel gouffre en l'être ?... Quel silence
Ouvre ce coeur tranquille et sourd
Au vol secret de la semence
Du plus inexorable amour ?
Dites-moi, Songes, qui vous êtes ?
Quelle parfaite profondeur
Creuse le lit de la défaite
En les abîmes de mon coeur ?
Coups redoublés !... Tendresse lente
Et douloureuse à concevoir
Ce que recèle cette attente
Du plus aventuré savoir !
Ne te dérobe pas sans cesse
A l'abandon de ce pouvoir
Que mon peu d'existence laisse
A ton mouvement clair et noir,
Et frappe, Coeur, dans ma poitrine,
Jusqu'à ce que mon sort brisé
Par l'âpre feu qui m'illumine
Du seul Soleil qui m'ait grisé,
N'entende plus que ta puissance
Marteler l'âme avec le corps,
Par cette obscure conscience
Que j'ai, malgré mon rythme fort,
Sous cette absence de silence
Et l'apparence d'un décor,
De la suprême connivence
De l'être même avec la mort !
O Nuit, féconde en artifices,
Toi qui libères mon esprit
De millénaires précipices
Dont le vertige me surprit,
M'obtienne - avec tranquillité
Transfigurant jusqu'au visage
D'un corps pétri de vérité,
Dès lors qu'enfin devenu sage
Il ne lui reste pour seul gage
Que de survivre à sa beauté -
De mieux connaître, ton ouvrage,
Par un surcroît de pureté,
Pour quelque temps loin du rivage
Où le temps meurt de pauvreté,
De sombre ivresse, l'avantage
D'être à la mort apparenté !
Dis-moi la ville et l'or et le monde et la mer,
Et le sel triomphant de toute soif hautain ; -
Et l'horizon fermé par la clameur humaine,
Et la mort de l'Amour par l'amour de la Chair !
OU
"TRISTIS USQUE AD MORTEM..."
Regarde-toi dans un miroir :
Quel fol orgueil se dissimule
Sous l'éclat triste du vouloir
Que l'âme et Dieu sans fin reculent
Devant les bornes du savoir, -
Lorsque toujours la mort ulule
Du fond du gouffre où le vent noir
Ne souffre rien qu'il ne bouscule
Ton être pour l'y faire choir
Et que ton oeil ne pourra voir
Bientôt, fermant sa renoncule,
Sous les étoiles qui pullulent,
S'ouvrir l'ultime fleur du soir !
Si mon ombre n'est rien que le songe de moi,
Que le songe d'un songe et d'un tremblant effroi,
C'est qu'il se meurt parmi l'espace qui poudroie,
De ne pouvoir survivre au feu de nulle joie !
C'est une étrange mort que la mort immortelle :
Ce flot du sang jusqu'à la bouche en forme d'aile ;
Et ce feu qui la nuit brûle les papillons, -
Lorsque d'un sombre cri vers l'ombre nous crions !
Le masque qui surgit du fond de ma figure
Tombe de mon visage en ce temps révélé. -
Rien de moi dans l'espace aveugle ne perdure,
Ni ma nocturne soif, ni mon silence ailé,
Et qui n'aille se perdre en la tendresse obscure
D'un univers mortel où la race future -
Si l'homme, sous le flot de son ivresse impure,
Ne vient rompre le cours secret de l'aventure -
Surgira sous un ciel de songes étoilé !
Surgissement de l'herbe au ras de l'eau figée
Par le gel qui l'a prise en son amour de glace,
Tu ressembles, dans l'air cinglant, sur toi, qui passe,
A mon âme flottant au souffle sur ma face
D'un hiver de silance et d'ombre où l'or s'efface ;-
Tandis qu'au fil des jours et sans que nulle trace
Ne révèle qu'à peine, au sein du calme espace,
A mon regard distrait le glissement vorace
De ta reptilienne et formidable race, -
Tu prépares en moi, déjà, ton apogée !
Mon être diaphane entre mes doigts se glace :
Je me vide de moi dans le temps dévoré.
Le jour qui soutenait ma force est moins vivace
En cet ultime coeur que l'immortelle trace
De ce qui reste en lui de malheur abhorré.
La présence insondable au ciel de l'amertume
Ajoute à la douleur du gel qui perce en moi,
Et l'espace fuyant qui balayait d'écume
Le seul soleil de gloire où le désir s'allume,
Frissonne d'un silence où l'âme meurt de froid !
Par ce fol remuement de feuille au coeur de l'arbre
Du vent qui l'investit de sa fureur glacée ;
Et ce lunaire éclat dont la blancheur de marbre
Divulgue en vain ton âme, en ton regard tracée ;
Remémore ton sang dans tes veines fécondes,
Si vif à circuler jusqu'en un tel esprit,
Qu'il te sépare et trie au sein des vastes mondes -
Qui roulent sous tes pieds les gouffres que tu sondes,
Ce pur diamant noir qu'un sombre éclair t'offrit !
Frénésie ! Azur ! Apre ardeur ! Que sais-je ?
Délires de bleus étalés sans fard
Sur ma vérité que rien ne protège
De ces feux partout dans le ciel épars !
Ivre appel en moi d'un déchirure
Qui romprait le charme, hélas ! refermé
De ce tendre étau d'innocence pure
Qui m'arrache un cri comme de damné !
Chaleur brute ! Absence ! Oeuvre de démence !
Chavire l'esprit, quand le deuil est roi
D'une soif assise en la fraîcheur dense !
Ah ! crève ce mur où meurent d'effroi
Les oiseaux perdus dans le grand carnage
De tous ces rayons, comme lasers froids,
Qui frappent de mort l'aile qui voyage !
Strident rire ! ô rire ! en l'air égaré
Du halètement de ma voix sauvage
Si près de franchir l'utime degré
De la clameur folle au bord de l'orage !
Quelle oreille offerte au temps recouvert
D'une nudité qui le décompose,
Au fond d'un soleil blanc comme un désert
Surprendra le cri torturant des roses ! -
Ah ! survivre enfin loin des sombres cieux
De flamme torride où le mal empire
D'une soif pareille à celle des dieux
Qu'un mortel soleil tient sous son empire
Et dont la fureur, comme d'un vampire,
Dévore le coeur même par les yeux !
Et pour que renaissent, à n'y pas croire,
Le rire des jours tendres d'ici-bas ;
Le flot qui s'enfuit ; l'âme dans sa gloire ;
Le ciel qui nous rend la mort dérisoire ;
Le désir profond comme la mémoire ;
Le soir qui se meurt calme entre nos bras ;
Et cette ombre immense de par le monde
Qui nous laisse l'âme et le coeur sans voix
Tellement elle est en douceur féconde ;
Sans que nul malheur d'astre n'y réponde
Et ne mez détruise encore une fois ;
Par les prés, les mers, les déserts, les bois,
Avec sa fraîcheur d'aile de colombe,
Ah ! que la nuit tombe ! ah ! que la nuit tombe !
Ah ! que la nuit tombe à jamais sur moi !
La campagne m'emplit d'une douceur profonde :
Quelle tendresse règne en son nocturne sein ?
Je respire l'air frais partout qui surabonde ;
L'arbre m'invite à croire au songe qui l'étreint ;
La lumière tremblante effleure le chemin ;
Tout nous porte au désir d'éternité féconde ; -
Et les heures du jour palpitent dans ma main !
Tu me saoùles de vent, nature effervescente,
Pleine d'ombre, de nuits et d'immortels soleils ;
Je vis, je meurs, je ris, je pleure et me lamente ;
Je me plonge en le sein de consolants sommeils ;
Il n'est rien d'éternel en toi que je ne chante ;
Et tes feux, délivrés du mal qui les tourmente,
Sont à ceux de mon coeur et de la mort pareils !
Pour Gine
O sillage ! Mon beau sillage !
Ame de l'âme !... L'endormi -
Où s'en allait mon plus bel âge,
Comme sur l'aile d'un ami !
Couche ton ombre sur mon ombre,
Au plus secret de la ferveur :
Il n'est de sombre que le nombre
Dont ne se berce pas mon coeur !
Tendresse calme ! Cher délire !
Folle promesse au fond des temps ;
Rien ne demeure de mon rire
Que l'éclat terne de mes dents.
Jeunesse ?... Morte en la mémoire !... -
L'eau qui s'écoule ne peut plus
Suffire à contenir la gloire
Précieuse des jours perdus.
Allez ! Allez ! fissure neuve
Où le reste du ciel s'en va
A la manière de ce fleuve
Tout au fond de l'océan-là, -
Comme le sable de la dune
Où s'émiette au vent du nord
Le seul miracle de chacune
De nos pauvres minutes d'or !...
Filez ! filez ! fliez ! fileuses
La belle trame aventureuse
Où s'égaraient nos jeunes pas !
Plongent au fond, les sommeilleuses,
D'un rêve pâle de trépas !
Que reste-t-il du beau navire
Qui naviguait dans le ciel clair ?
Que reste-t-il de cet empire
De pur silence dans la chair ?
Rien ne résiste à la blessure
Qui sonne en l'âme comme un glas.
Et l'immortelle meurtrissure
Qui suivait l'être pas à pas
Le jette au fond d'une aventure
Où, malgré l'ombre opaque et dure,
Une lumière luit tout bas.
Tout se défait, se désagrège
Des jours que nous avons connus,
Et comme flamme sur la neige
Soudainement ne brille plus,
Ainsi s'éloigne du rivage
Où s'élabore la douleur,
Mais non dans l'âme, la douceur
De cet impatient bonheur
Qui rayonnait sur ton visage -
Et soulevait d'amour sauvage
Et de lumière sans partage,
Au-delà même de notre âge,
Le plus lointain du paysage
De notre inaltérable coeur !
DE L'UN ET L'AUTRE VISAGE...?
De l'un et l'autre visage,
Lequel des deux est le plus vrai :
Du visage on dirait d'un sage,
De celui de l'homme mauvais ?
Se découvre ma trouble image
Aux pas de côté que je fais,
Mais se construit le bel ouvrage
De mon peu de bien et de paix.
Quel songe en moi me départage,
Sans que je sache si je vais
Recueillir l'or d'un héritage
Ou me perdre au mal que je sais ? -
Ah ! sur la pente de mon âge,
Avant que du sort les effets
Ne me retirent tout usage
De rien connaître désormais,
Qui donc me vaudra l'avantage
De comprendre enfin mon secret ?
Vérité diffuse,
O ma vérité
Tendrement qui ruse
Avec la clarté !
Quelle apothéose
En mon coeur de chair
Qui souffre, si j'ose
Vivre d'esprit clair !
Du firmament tendre,
Vois, s'épanouit,
D'ineffable cendre,
La cendreuse nuit,
Lorsque, par la cime
Des arbres parfaits,
Se meuvent, sublimes,
Les astres de lait,
Et qu'en toi s'élève,
Subtile à souhait,
La pulpeuse sève
Des songes muets.
D'essence future,
- Instant précieux ! -
Glisse la plus pure
Ame dans les cieux !
O si fine lame
A briser le coeur !
Est-il mal en l'âme
Plus que ce malheur
Qui veut que tout change
Et meurt à l'instant
Que le doigt de l'Ange
Vous touche le sang,
Et que la blessure
Qu'il y fait tout bas
Brûle la plus pure
Ame d'ici-bas ?
Mais pour la défaire
A jamais du feu
Qui détruit l'amère
Flamme de ce lieu !
Ah ! que ne déserte
Au fond du miroir
Cette gloire offerte
A mon désespoir !
Par cette brûlure
Extrême pourtant
Dont mon âme endure
L'immortel tourment,
Qu'il ne soit tendresse,
Pur soleil, désir,
Ni folle promesse
d'âme en devenir,
A la fin qui n'aillent
Ineffablement
Se perdre vraiment
En un ciel sans faille -
Eternellement !
Le jour s'amenuise
En rompant ses ors !
Quel rêve éternise
En nous ces décors !
Et quelle présence,
Comme d'une lance
A percer le coeur
Du plus clair silence,
Tire ta puissance
Et sa survivance
De la connaissance,
En notre âme , immense,
D'un Soleil qui meurt !
Sur une pointe sèche, "Rêverie",
d'André Jacquemin.
Regard qui ne regarde
Le temps s'évanouir
Que pour redécouvrir
Au fond d'un ciel qui tarde
En l'âme à revenir,
Ce que le souvenir
D'amours à défaillir,
Jusqu'au fatal mourir
Déjà qui le poignarde,
Pour quelque pur désir
D'ivresses à saisir,
Au coeur, qui se hasarde,
En son désastre garde
Encore d'avenir !
Un reste de chaleur m'éloigne de mon ombre
Et me revêt d'un feu qui meurt en s'exprimant. -
Ah ! que s'ouvre pour moi déjà dans la nuit sombre
Comme un éclair de vie où nul soleil ne ment !
Arrière donc, désir d'amère solitude !
Pour mon coeur, il n'est pas de plus réel souci
Que de se perdre où va toute décrépitude
Se garder pour toujours d'un devenir transi,
Et que de se murer dans cette survivance
Des grands arbres dressés dans l'ordre de l'été
Pour y puiser d'Amour - jusque dans la démence
D'un ciel qui les nourrit d'ardente indifférence -
Ce qu'il leur faut de suc, de flamme et d'existence,
Comme, dans un royal oubli de la souffrance,
D'un songe nu sorti des rives du Léthé !
OU
SUR UNE EXTRAORDINAIRE TÊTE DE FEMME "AVEUGLE"
ANTIQUE DE DÉLOS
I
Epouvantée, avec tes yeux de morte vive,
Tu me regardes sans me voir,
De ce regard perdu que le silence avive,
Au-delà du plus sombre soir,
D'un grand soleil de corps et d'âme à la dérive,
Au plus secret de ton miroir !
II
Et ta bouche entr'ouverte, en ce désir d'un songe
Où ton regard ne la suit plus,
Par cette lèpre immonde et pâle qui la ronge
De quelque inaltérable pus,
Laisse couler, de cette espèce d'âme où plongent
Mille soupirs irrésolus,
Cette incommensurable soif qu'elle prolonge
Aux fleuves d'astres jamais bus !
A Daniel
Et ta chair est ma chair,
Et ton sang est mon sang ;
Et ton propre esprit clair
Est le mien renaissant.
Me brûle la brûlure
D'un sort qui te contraint ;
Et le mal que j'endure
Est celui qui t'étreint.
Et rien ne me délivre
De ce feu désormais
Qui t'empêche de vivre
Ainsi que je t'aimais.
Et ta face m'obsède
Inexorablement
De cette âme vraiment
Qui toute la possède,
Et, bien qu'elle en procède
Encore obscurément,
Par soif secrètement
De lui venir en aide,
Aucunement pourtant
Ne cède à son tourment.
* Ton douloureux visage,
Émouvant comme un cri,
Jusqu'au fond de mon âge,
Me transperce l'esprit !
Lagny, janvier 1979.
I
A Myriam.
Un jour poignant d'entre les jours meurtris
Me vient étreindre encore l'âme noire ; -
Que s'abolisse enfin de ma mémoire
Ce gouffre en moi d'où naissent tous mes cris !
Et que survive, en sa terrestre errance,
Ce coeur qui bat comme le jour qui fuit,
Quand le désastre d'ombre en apparence
Plonge au néant le songe qu'il détruit.
Rien ne me reste, en la douleur qui dure
De ce silence d'âme au ciel désert,
Que l'éclat pur et vrai de ta blessure,
Où l'esprit souffre et crie avec la chair.
Mais il n'est pas de si terrible abîme
Qu'il n'y persiste, aux rives du malheur,
Ce clair soleil des songes que nous fîmes,
Quand il n'était point d'ombre en notre coeur !
Lorsque, riant de toute sa tendresse,
Rien n'existait que le regard de l'air
Pour nous priver de vivre en la détresse
D'un jour dont brille en notre coeur l'éclair. -
Voici qu'au loin des ombres la cohorte
Va s'enfuyant derrière l'horizon ; -
Tout redevient possible, et, de la sorte,
Le bel espoir s'agite en sa prison.
Tu vois déjà, du sein de l'âpre brume,
Se révéler un devenir meilleur
Que celui-là dont la funeste écume
Nous submergea l'âme d'un vaste pleur.
Le jour renaît de la nuit ténébreuse, -
Comme, du fond de l'océan glacé,
Surgit l'éclat de l'île bienheureuse
Qui resplendit sur ton plus noir passé ;
Et le soleil de la suprême chance,
Que nous masquaient les astres révolus,
De nouveau règne enfin par sa puissance
Sur le malheur des jours qui ne sont plus.
Juin 1985
II
Si le malheur t'assaille au-delà du possible ;
Si du grand jour surgit l'abominable nuit ;
Si la douleur humaine a pris ton coeur pour cible ;
Et si tu n'entends plus que de l'enfer le bruit ;
Sache que nous savons que, jusqu'à l'indicible,
Tu dressas la clarté de ton regard qui luit
Sur l'abîme effrayant de l'ombre imprévisible,
De toute force en toi, dont rien ne fuit !
La verticalité tremblante de ton âme,
Et solitairement si proche d'en mourir,
Par tout ce que le monde, en son désastre infâme,
Est capable, de soif mortelle, de nourrir !... -
Plus sainte d'avoir su si longuement souffrir
L'intérieur désert d'un mal qui le réclame,
Va : malgré tout cela qui veut t'anéantir,
Tu renaîtras, du fond de ton terrestre drame,
Comme l'acier, d'un feu, fait pour le raffermir,
Plus proche de ce Dieu dont l'éternelle flamme
Peut seule te permettre, en l'âme, de guérir !
OU
PETITE VARIATION SUR UN THÈME
Que vienne la Rose
En mon coeur de chair
Allumer sans cause
Un feu qui se perd,
Mais qui ressuscite
Au plus clair du temps
La tendresse en fuite
Avec les autans,
Afin que perdure
Jusqu'au ciel désert
- Et comme une épure ! -
La grande figure
Calme de la mer !
*
Qui suis-je ? La Rose.
Où vais-je ? Ne sait
Le vent, et pour cause !
Moi, - si l'on savait ! -
Où mon pied se pose,
Je m'élève, chose,
vers Dieu, - le Parfait !
*
Que vienne la Rose
Dans le soir défunt
Délivrer sans cause
Le plus clair parfum
Dont l'âme s'enivre,
A ne plus savoir
De ce mal de vivre
Au sein du vent noir
Que cette présence
Si vive dans l'air
D'un parfait silence
Où le coeur se perd
De grande Rosace
Sur le ciel désert,
Lorsque toute chair
Et tout ce qui passe
A jamais s'efface
Au fond de la mer !
*
Silencieuse lèvre humide
A l'horizon de mon désir !
De chair et d'âme, l'air fluide
N'arrive pas à te saisir !
On te croirait mortelle, or moi
Je sais que ta victoire, en fête
Au fond de l'âme, hors du froid
Où la mort règne justement,
C'est d'être inaltérablement
Par la mort de la mort en toi
A toute survivance prête, -
Au point que, dans mon devenir,
Je ne sais si ta force est mienne
Ou si, pour peu qu'il m'en souvienne,
C'est à moi de t'appartenir !
UNE TÊTE D'ADONIS
OU DE BOUCHE À OREILLE
ET
D'AME A AME
Regard lointain de parole non dite...
Lèvre entrouverte au souffle du désir
De l'âme toute à travers l'air en fuite
D'un vol soudain d'abeilles à saisir,
Dont l'essaim fol, en la lumière vive
Du plein midi d'un clair soleil doré,
Bourdonnera bientôt de rive en rive
De quelque oreille à l'écoute attentive
Du miel des mots que nul sommeil ne prive
De réjouir - d'une tendresse active
A troubler l'être en sa douceur pensive -
L'autre âme toute elle-même captive
Du pur canal exquisement foré !
OU
SOLEIL DES SONGES
Soleil des songes ! Plénitude !
Rien ne discerne en ton pouvoir
Ce flot d'espace que n'élude
Nul vent du nord tragique et noir
De l'immortelle certitude
Que la lumière dense à voir
Dissipe en l'âme la plus rude
Les ombres même du miroir !
Règne de l'âme ! Subterfuge !...
Parmi les palmes de mon corps
Où je m'invente mon refuge,
Par toi, je vaincrais mille morts,
Si je savais du mal transfuge
En les racines de mon sort
Vaincre du fleuve le déluge
Et rompre l'ombre qui me mord !
Halte du temps ! Douceur pensive !
En moi les mots ont la saveur
De cette force dans le coeur
Plus que nulle autre primitive
Qui vient détruire en sa chaleur
De l'être même la langueur
Et fait renaître en l'âme vive
Une abondance de splendeur !
Allons ! Vivante ! Viens, ma reine,
Surprendre enfin cette pâleur
Dont s'enivrait ma souveraine
Attente folle de malheur,
Et brise en moi ce crépuscule
Au fond de ma plus sourde peur
Qui me rendait ma chance nulle
De rayonner de vrai Bonheur !
Esclave même au point de ne pouvoir tenir
Encore entre mes doigts le songe qui m'effleure,
De l'innombrable temps et de l'ombre et de l'heure
Où notre chair vivante et vaine va finir,
J'attends du seul Soleil en qui se réverbère
La lumière du jour et celle de la nuit,
Que se résolve en moi l'identité contraire
D'un mal que j'apprivoise au fond de ma misère
Et d'un ciel que ma soif d'Amour ne saurait taire -
Mais qui secrètement encor sur cette terre,
Semblable à ce qui m'aime et ce qui me détruit,
Comme un feu qui me hante et qui me désespère,
Sans cesse me tourmente et pour jamais me fuit !
Le désert - en mon coeur glacé comme une eau froide -
Surprend par sa brûlure et l'ombre de la mer
Et le geste étendu de la déraison roide,
A pourfendre à jamais les rives de l'hiver ; -
Redécouvre en la nuit rebelle à l'aventure
Et figée en un gel que nul soleil ne peut
Traverser de sa flamme même la plus pure,
Cette immobilité vivace d'une 2pure
Que, sous un masque d'astres morts à la mesure
De l'immortelle soif en toi de ce qui dure
Et te délivre enfin du cri de ta blessure,
Te révèle et te jette encore à la figure
La force inaltérable et rare de son feu !
Règnent la mort, la mer et le sable mouvant :
En ton âme, il n'est pas d'éternité tranquille.
Et la force de l'arbre et le rire du vent ;
Et les cris forcenés qui montent de la ville ;
Et le malheur qui vient trahir le coeur souvent ;
Et la détresse folle et la tendresse vile ;
Et tout ce qui se meut dans l'ombre comme avant ;
Ne parviendront jamais à rompre l'immobile
Et solitaire course, au fond d'un ciel rêvant,
De cette Etoile claire où toute nbuit fragile
S'émeut d'une beauté qui rend la mort facile, -
Comme celle, à la fin d'un songe décevant,
Et pour n'y laisser plus que trace indélébile,
D'un immortel soleil dans l'âme, se levant !
Lorsque l'éternité vous rentre par la gorge
Et fait battre le coeur à vous le rompre enfin ;
Lorsque rien ne résiste au feu de cette forge
Par où pénètre en nous le règne du divin ;
Quand la vie elle-même en nous se désagrège
Et que s'effondre l'âme, il semble dans le corps,
Au point qu'on ne sait plus ce qui le plus allège ;
D'être encore vivant ou mort parmi les morts ;
Quand la nuit vous embrasse et jusqu'au coeur de l'être
Envahit tout de vous qui vous croyiez vainqueur
De l'essence des jours ainsi que du paraître,
Du tragique aujourd'hui comme du sombre ailleurs ;
C'est alors seulement que la nudité pure
D'un Soleil pour toujours absent de la douleur
Désarme ce désastre en l'âme qu'inaugure
Et parachève en nous le règne de la peur,
Afin d'en préserver l'incomparable Epure
Et de nous délivrer des affres du malheur !
TREMBLE : DANS L'OMBRE VASTE ...
Tremble : dans l'ombre vaste, immensément parfaite,
Descend, comme d'un feu, l'étrange vérité
Qui te serre la gorge ainsi qu'une défaite
Au milieu de la nuit vivante de l'été !
Quelle terreur de vivre en toi se dissimule
Quand tout semble limpide à tes yeux grand ouverts ?
Ne vois-tu pas d'un mal qui dans ton coeur circule
Monter comme des flots tragiquement amers ?
A quelle source aller boire, de blanche écume,
Pour renaître, à l'instant que le soleil s'allume,
L'eau vive en la fraîcheur fragile du matin ?
Et quelle force croire, où le malheur s'agite
Et nous tourmente l'âme en ses désirs sans fin ?
Les morts, comme la mort, en notre coeur vont vite,
Vers l'abîme où le noir du monde nous étreint. -
Ah ! ne connaître rien que la douceur de vivre
Des jours après des jours dans les soleils calmés,
Sans que plus rien n'empêche l'âme de les suivre
Et de se perdre en eux jusqu'à plus n'être qu'ivre
De ces grands ciels de gloire en nous qui nous délivrent
Des songes remplis d'ombre et par nous tant aimés !
...Et la mer se répand dans l'âme comme un flot
Venu du plus profond de l'océan des âges ;
Et son bruit solitaire en nous n'est qu'un écho
Du souffle qui jadis passa sur nos visages,
Immobile et fugace et tendre comme l'eau... -
O Soleil éternel de l'éternelle errance
De l'éternité neuve au coeur de l'homme fou
De croire qu'ici-bas tout ce qui recommence
N'exprime que la mort de ce qui contient tout ; -
Car le songe immortel et libre de l'abîme
Qui flotte dans l'air vif et dans les coeurs humains
Ne connaîtra jamais, en sa terrestre cime,
Que le gouffre insensible et trouble des jours vains,
Jusqu'à ce que s'élève enfin l'appel vivace
Du grand large étalé sous le regard soudain
De l'homme devenu ce fils de haute race
D'un Dieu de solitude et qui lui tend la main !
Comme l'Amour, la mort et l'amertume folle
Te saisissent la gorge en son néant profond, -
Ainsi te désarçonne encore la parole
Immortelle et fugace, en sa terrestre obole,
Qui te frappe le coeur sans cesse et l'âme au front !
LES HEURES DE DÉTRESSE EXTRÊME...
Les heures de détresse extrême sur la terre,
Où l'homme ne sent plus sur lui que sa misère,
Où le feu devient glace et toute glace feu, -
Traversent le temps pur comme un tison de Dieu !
On vit parmi des dieux qui rêvent de la mort :
De l'innocence et folle mort, la mort-amante ;
Et qui ne savent pas, en leur fureur démente,
Que les noirs tourbillons au ciel de l'épouvante
Ne sont que le reflet inverse, en l'âme errante,
De cela qui sans fin - d'un soleil pur - les mord !
L'univers effrayant des gouffres qui t'habitent
Ni l'âme qui se mêle à ton néant profond,
Ne sont le moindre abîme où le désert palpite
De toute l'amertume immense dans sa fuite
D'un coeur au coeur duquel la mort se précipite
De telle sorte ici que rien n'en ressuscite, -
S'il n'y règne pourtant le Dieu qui nous confond !
Ta présence parfaite emplit le gouffre immense
Où l'âme va se perdre au sein profond des mers ;
L'être inlassablement vers l'avenir s'élance,
Afin d'en maîtriser la terre et les enfers :
Rien n'échappe à la mort où plongent toutes chairs ;
Le soleil tournoyant ravage les déserts ;
Il n'est pire souffrance en nous que Ton absence ; -
Et la douleur de l'homme emplit les univers !
Je t'emporte avec moi, grand souffle indélébile
Qui remplis l'univers de ton fuyant secret, -
Et le grand chêne sombre où ton silence file
Et fait bruire soudain le feuillage parfait,
Me révèle qu'il n'est de tendresse futile
Ni de caresse d'âme en l'univers docile
Où n'apparaisse un jour le Dieu qui s'y cachait !
O Dieu, ta vérité pénètre l'atmosphère
Où mon âme, ce soir, respire l'air profond ;
Une immense clameur s'élève de la terr,
Où le ciel avec l'ombre même se confond ! -
Qu'ai-je à faire sur terre encore, qu'ai-je à faire,
Après tout ce malheur où je tournais en rond,
Quand je vois de ce monde immense la misère,
Dans le flot emporté d'une détresse amère,
Se planter dans mon âme ainsi qu'un éperon ?
Ne surgiras-Tu pas du fond de ma figure,
- Quand tout change, se trouble et se disperse en moi ;
Dans le vent qui m'emporte au gré d'une aventure
Qui me brise le coeur et m'ouvre une blessure
En laquelle il n'est pas d'ivresse qui perdure
De tout ce qui tenait mon âme sous sa loi, -
Si, par un clair sursaut de conscience pure,
Et pour clamer ma pauvre soif de créature,
Il ne reste plus rien dans mon désert que Toi ?
La meurtrissure affreuse, aux racines du coeur,
Etreint ma conscience pâle, aux épars ; -
Que ne puis-je, Seigneur, aux rives du malheur,
Plonger ma solitude d'âme en Tes regards !
Espace nu d'aridité première ;
Visage ultime au centre de ce lieu ; -
Que m'envahisse enfin cette lumière
De force pur et vérité plénière
Qui comblera tout mon désir de Dieu !