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L'ÉCLAT DU JOUR QUI MEURT

 

GM

 

 

 

A

la Douleur

de

l'homme

dans

l'Univers

 

 

 

Pleure d'un astre mort le jour décoloré,

Conscience attentive au meurtre des étoiles !...

 

 

 

AINSI SUIS-JE...

 

Ainsi suis-je et ne suis-je pas ;

Sous le couvert d'une apparence

Dont lentement dans le silence

En un perpétuel trépas

Se désagrège l'existence,

Que la présence d'une absence

Où s'égarent même mes pas...

 

 

CE MIDI CLAIR...

 

Ce midi clair a vu frémir

Dans les abîmes de mon âme

Autant de silence de flamme

Qu'une âme peut en contenir !

 

 

TRAGIQUE SOURCE DE LA MER...

 

Tragique source de la mer

Où les larmes s'effondrent toutes ! -

Toutes ! - du fond d'un tel désert

Que dans ton âme tu redoutes

Qu'il ne soit pire que l'enfer !

 

 

DÉRIVE

 

Ah! ne plus savoir

Si le coeur se prive

D'atteindre la rive

Où brille l'espoir,

Et s'il n'est, ce soir

Où le ciel vient choir

Comme à la dérive,

Nulle âme qui vive

Plutôt morte que vive

Au sein du vent noir !

 

 

NEIGE DES JOURS...

 

Neige des jours ; neige des nuits ;

Neige profonde comme un puits,

Au fond de ma mémoire obscure ;

Neige de l'âme que je suis,

Quand un soleil la transfigure ;

Comme de cette part impure

De mon être d'ombre, depuis

Que Dieu m'a fait sa créature !

 

 

LE FLOT QUI ME DÉSOLE...

 

Le flot qui me désole est celui qui m'enivre ;

De s'en défaire on meurt, autant que de le suivre ; -

On ne sait quel soleil nous mène jusqu'aux cieux

Qui nous font ou bien morts ou bien devenir dieux !

 

 

JE N'ÔSE PAS CROIRE...

 

Je n'ôse pas croire au vent qui m'inspire

De respirer mieux quand il souffle fort ; -

Il n'est pour mon coeur de silence pire

Que celui de l'âme où le ciel se tord ;

Ni de souffle tel que je ne désire,

Si le mal n'échappe à mon fol empire,

Qu'il ne soit celui même de la mort !

 

 

TRISTE SOIR...

 

Triste soir : des oiseaux traversent le ciel vide ; -

Et triste était mon âme, en d'autres soirs pareils,

De toujours se sentir, au bord de l'ombre avide,

Devenir elle-même étrangement lucide,

A voir mourir - au fond de soi - tant de soleils !

 

 

JE SUIS CELUI QUI MARCHE...

 

Je suis celui qui marche au-devant de la mer ;

Je suis l'adorateur des astres déchirants ;

Je suis celui qui vient d'au-delà de la chair,

D'un pays de tendresse et d'arbres transparents ;

Je suis celui qui meurt de vivre en un désert

De ténèbres sans fin jusqu'en mon âme errants...

 

 

CRÉPUSCULAIRE...

 

Soleils des songes périssables,

Des folles soifs et de la faim

Des grands espaces désirables,

Vos dieux sont morts parmi les sables

Où s'enlisaient, reconnaissables,

Les sombres gloires de leur fin !

 

 

FLAMBEAU VIVANT...

 

Flambeau vivant de la mer morte

Au fond de soi comme un désert

Dont le vent de ténèbre emporte

Les songes lourds à travers l'air, -

Jusqu'à cette secrète porte

Par où, sans être la plus forte,

Mais comme pour le coeur l'aorte,

L'âme s'engouffre dans la chair !

 

 

MARE

 

Regarde, en la mare qui boit

Le seul soleil que réverbère

Sa face calme que l'on voit,

Au fond d'une onde sans colère

Mais transie encore d'un froid

Dont l'angoisse même s'accroît,

Parmi des flammes fourvoyées,

Flotter, dans un silence roi,

Mille folles herbes noyées...

 

 

UNE FLAQUE AU SOLEIL TREMBLANT...

 

Une flaque au soleil tremblant de fin d'été

Etale au songe proche de l'hiver la nudité

Pourrissante, tragique et calme de son onde ; -

On dirait que le clair du ciel a déserté

La tendresse de l'air pour la douleur profonde

De tout le mal promis au coeur mortel du monde,

Qaund s'en retire pour jamais la pureté...

 

 

MARAIS

 

I

 

LE SILENCE TROUBLANT...

 

Le silence troublant qui monte des marais

Désarme la présence ultime de ton ombre,

Orage pénétrant de nuit, quand tu parais,

L'eau calme, croupissante, inextricable et sombre,

Où prolifère, d'algue, un peuple de forêts !

 

 

II

 

MARAIS PROFOND...

 

Marais profond comme l'eau morte

Qui règne, en ses nocturnes jeux,

Sur ce pays de terre forte

Et solitaire sous les cieux,

Livre aux ultimes profondeurs

D'âme secrète et lourde aussi

D'obscures soifs et de douleurs

A rendre son désert transi,

L'éclair soudainement nacré

De ta surface d'herbes vertes

Où vient trembler au bout du pré

Parmi tant de regards inertes,

Ce pur rayon d'astre attendu

Qui brille, en ce décor perdu,

Comme, après mille nuits offertes,

Au coeur d'irrévélables pertes,

Le tendre éclat d'un rêve dû.

 

 

JE NE SUIS RIEN QU'UN SONGE...

 

Je ne suis rien qu'un songe à peine véritable,

Tellement je me meurs de vivre à tout moment,

Et tellement le feu qui brille en mon étable

A la pâleur d'un jour qui règne sombrement

Sur tout ce qui rendrait mon âme délectable, -

Mais que l'astre immortel d'un ciel d'hiver dément !

 

 

LA BRANCHE MORTE...

 

La branche morte est là, qui te force à te taire :

Exsangue, blême, aveugle, au bord du chemin creux ; -

Te crois-tu différente à ce bois grabataire,

Pauvre âme, dans ta course errante sur la terre,

Transparente au soleil et sous le vent légère,

Et peut-être déjà, sous un aspect contraire,

Plus morte que la branche, en son exil ombreux !

 

 

 

SAUTERELLE

 

Tout le froid dans tes membres longs

Et tes regards d'astres éteints...

Ainsi déjà, sous les rayons

De cet Automne que je plains

De voir mourir les sauterelles,

La transparence de tes ailes

Et de tes clairs fuseaux menus -

En leur silence devenus,

Avec la fin des saisons belles,

Comme ce feu des immortelles

Que le temps ne reverra plus...

 

 

PHALÈNE

 

Triste à jamais de ne plus voir

Ton silence dans l'or s'étendre !...

S'est trouvé pris qui croyait prendre

Ta belle flamme en son pouvoir, -

Tant que voilà ta chaude cendre

Si transparente dans le soir

Et ta chère âme au fol vouloir,

Toutes, - d'un art de les pourfendre

On ne sait né de quel savoir

Pour mieux s'instruire d'un coeur tendre, -

Morte, - ainsi qu'un astre noir !

 

 

L'INNOCENCE

ou

LA BÊTE

 

Tu regardes la bête, ô toi qu'elle regarde

De son regard tranquille, à tout l'espace ouvert ; -

Il n'est pas de soleil en toi qui se hasarde,

Qui puisse la surprendre en sa nocturne chair ;

Rien n'excite sa fièvre d'âme ou la retarde;

Mais le mal qui pénètre en toi comme une écharde,

La laisse indifférente à ce mirage clair

D'une réalité d'un jour, dont l'oeil se farde, -

Tandis que ton silence emplit de mort la mer !

 

 

ÉTRILLE

 

Sur ma table, à l'affût de mon regard vivant,

Ton regard mort, corail inquiétant et sombre,

Vers ma face mortelle, interrogeant mon ombre,

Pour y scruter des jours de mon destin quel nombre

- Au gré de mêmes flots sans cesse dérivant -

Lui reste encor sur terre à vivre, - le suivant...

 

 

LE TEMPS NOUS ENGLOUTIT...

 

Le temps nous engloutit dans un spasme d'étoile ; -

Et le vent qui surgit du fond de la forêt

Nous fait croire qu'il n'est plus favorable voile

Que celle sur la mer qui passe et disparaît...

 

 

VENT

 

Trahison du vent

Qui sape les feuilles

Et, quoi que tu veuilles,

Te disperse, Amant

Du soleil vivant

Des jours que tu cueilles,

Toi qu'un ciel dément,

- Ici, comme avant, -

Sourdement endeuille

Eternellement !

 

 

OMBRE VIVANTE...

 

Ombre vivante que fustige

Le vent surgi du sombre nord,

Est-il pour toi d'autre prestige,

Comme la plante sur sa tige,

Que de surseoir à ce vertige

Qui te traverse l'âme lige,

Quand le silence froid te mord !

 

 

ÉTERNELLEMENT...

 

Le souffle glacé qui te défigure,

Crois-tu qu'il soit nu si profondément

Qu'il puisse t'étreindre ici sans mesure

Pour te fondre mieux dans son élément ;-

Si jamais, du fond de ton âme pure,

S'élève, d'un cri, sous le ciel dément,

Cette force en toi d'un bonheur qui dure

Et se meurt de vivre éternellement ?

 

 

GLAS

 

Eau froide où plonge

Au soleil blême

L'éclat quand même

D'un pâle songe !

 

Où va le flot

Dont l'or titube

Et que n'élude

Aucun sanglot ?

 

Navrante ivresse

Du pauvre coeur

Que nul ne blesse

D'un vrai bonheur !

 

Où donc s'égare,

A jamais las,

- Et qui t'effare, -

Le tintamarre

 

De tous ces glas ?

 

 

 

SIC

 

Le vent qui frappe ton visage

A la vertu même du temps

Qui dénature le rivage

Où s'abîment les mouvements

De ta pauvre âme en grand voyage

Vers ce décor qu'un Dieu rêvant

Promet à tout cet équipage

De coeur, de corps, de ciel tremblant,

Qui n'est pour toi qu'un héritage

A la merci du moindre autan ; -

Quand passera du grand carnage

Le souffle irrémédiablement

Qui balaiera le ci-devant fantomatique personnage

Que tu seras devenu, quand

Ne restera de ton image

De pâle songe sur la plage

Et de néant pour seul bagage,

Que dérisoire cendre au vent !

 

 

PAUVRE COEUR...

 

Tu souffres, pauvre coeur, et ta blessure immense

S'aggrave du silence où sombre ta raison :

Nul soleil n'apparaît derrière l'évidence

Des choses qui se font sans cesse et se défont

En cet étrange abîme d'ombre et de démence

Où l'homme infiniment se pense et se repense

Sans espérer jamais pouvoir par sa puissance

De lui-même briser les murs de sa prison !

 

 

PRISONNIER...

 

Prisonnier de la mort par les murs de la vie,

Je m'enferme en moi-même au plus fort de la mort ;

D'une mort par tant d'amour suivie

Qu'on ne sait de l'amour ou de la mort encor

Lequel des deux sera, dans l'âme, le plus fort !

 

 

LE SOLEIL QUI SE LÈVE...

 

Le soleil qui se lève est le même pour moi

Que celui dont le feu m'emportait dans sa fuite,

Lorsque de l'univers je croyais être un roi. -

Et je m'en vais me perdre en la mort qui m'habite,

Comme si dans ce corps où je suis à l'étroit, -

L'ombre ne devait plus que m'envelopper vite !

 

 

PROFOND TOMBEAU

 

Le coeur de l'homme est un profond tombeau

Où s'accumulent mille rêveries

Qui, comme autant d'obscures pierreries

Dont nul soleil irrémédiable et beau

N'allume plus en l'âme le flambeau,

Au fond des gouffres sombres où tu cries,

Ne brilleront jamais d'un jour nouveau !

 

 

TU MARCHES...

 

Tu marches, et ton pas s'imprime dans le sable

De manière que rien n'en garde souvenir.

O visage de vent ! Silence périssable !

Amertume sans fin dans le soleil levant !

Mortel frémissement d'un songe désirable !

N'existe plus pour toi que devenir mouvant !

Et même ta tristesse d'âme délectable

N'attend plus qu'un seul souffle d'ombre pour mourir !

 

 

IL FAUT RENTRER, VOIS-TU...

 

Il faut rentrer, vois-tu : le jour te dissimule

L'ombre qui s'agrandit dans ton désert vivant ;

Les nuages en toi, plus sombres, s'accumulent ;

Et ton pas qui s'en va, sous le soleil, rêvant,

N'ignore pourtant pas que le malheur circule,

A cette heure déjà qui dans la nuit recule,

En ton coeur désoeuvré, - plus que jamais, avant !

 

 

PAR CET EFFROI...

 

Par cet effroi qui ressuscite,

Quand le vent souffle en toi si fort

Que de ton sang s'y précipite

Le flot soudainement si vite

Qu'il semble même qu'il n'hésite

A rompre de la chair les bords ; -

C'est comme si l'âme, en sa fuite,

N'en pouvait plus, dans les limites

Irrémédiables de ton corps

Et mille fois par toi maudites

De n'être rien que si petites,

De retenir, en soi, la mort!

 

 

DÉCHIREMENT

 

Qui suis-je ? Où vais-je ? Où sommes-nous ?

Le temps s'enfonce à deux genoux

Dans l'océan de ma misère. -

Tout nous divise sur la terre ;

Tout nous sépare, hormis Dieu ;

Ce drame d'être - dans ce lieu,

Où la minute brêve expire -

Nous-mêmes moins qu'enfer le pire ;

Tout nous échappe, de nos fins :

Nos soifs et ces ultimes faims

Qui brisent plus qu'on ne peut dire

L'âme et le corps, et le désert

De ce coeur fait de pauvre chair -

Et qui soi-même se déchire !

 

 

S'AMENUISENT LES JOURS...

 

S'amenuisent les jours où la souffrance blême

Transfigure le temps en pure éternité ;

Se retirent les flots des rives que l'on aime ;

Et l'Automne se fait moins rare que l'été. -

Que nous restera-t-il, dans la lumière avare

A répandre sur nous toujours sa vérité :

De l'immensité pâle encor de la beauté ;

Du solennel soleil dont le désir se pare ;

Des profondeurs de l'âme où le regard s'égare ;

De l'amour, dans les coeurs, qui brille comme un phare ;

Et, de tout ce malheur dont le silence effare,

L'âpre flot - par le flot des songes - emporté ?

 

 

PAREILLE À L'OR DU TEMPS...

 

Pareille à l'or du temps qui va se fondre en l'âme

Pour n'y désormais plus former que souvenir,

Et pour n'y tisser non plus que cette trame

D'une vie attentive au jeu du seul mourir,

Ta conscience épure en elle l'artifice

Des jours apparemment plus forts que ton destin,

Quand les flots de la mer troublante avec malice

Te font croire à leur tour qu'il n'est de précicpice

Où ton être ne puisse aller se perdre en vain !

 

CONNAISSANCE

 

Passe le temps ; meurt la substance

De ce beau corps à peine né

Que déjà mort, - dont l'apparence

S'effrite au coeur désordonné.

 

Où donc mon âme se perd-elle ?

Vers quelle nuit ? En quels combats ?

Par quels dédales ? L'immortelle -

Que je ressens quand mon coeur bat ?

 

Lorsque revient la grande artère

Rouler du sang dans mes dix doigts,

C'est toute l'âme de la terre

Qui se mélange à mes effrois !

 

Tumulte d'ombre !... Solitude !...

Inexistence du vivant,

Quand l'espace mouvant n'élude

Qu'un murmure égaré du vent !

 

Quel gouffre en l'être ?... Quel silence

Ouvre ce coeur tranquille et sourd

Au vol secret de la semence

Du plus inexorable amour ?

 

Dites-moi, Songes, qui vous êtes ?

Quelle parfaite profondeur

Creuse le lit de la défaite

En les abîmes de mon coeur ?

 

Coups redoublés !... Tendresse lente

Et douloureuse à concevoir

Ce que recèle cette attente

Du plus aventuré savoir !

 

Ne te dérobe pas sans cesse

A l'abandon de ce pouvoir

Que mon peu d'existence laisse

A ton mouvement clair et noir,

 

Et frappe, Coeur, dans ma poitrine,

Jusqu'à ce que mon sort brisé

Par l'âpre feu qui m'illumine

Du seul Soleil qui m'ait grisé,

 

N'entende plus que ta puissance

Marteler l'âme avec le corps,

Par cette obscure conscience

Que j'ai, malgré mon rythme fort,

 

Sous cette absence de silence

Et l'apparence d'un décor,

De la suprême connivence

De l'être même avec la mort !

 

 

SOMMEIL

 

O Nuit, féconde en artifices,

Toi qui libères mon esprit

De millénaires précipices

Dont le vertige me surprit,

M'obtienne - avec tranquillité

Transfigurant jusqu'au visage

D'un corps pétri de vérité,

Dès lors qu'enfin devenu sage

Il ne lui reste pour seul gage

Que de survivre à sa beauté -

De mieux connaître, ton ouvrage,

Par un surcroît de pureté,

Pour quelque temps loin du rivage

Où le temps meurt de pauvreté,

De sombre ivresse, l'avantage

D'être à la mort apparenté !

 

 

DIS-MOI LA VILLE ET L'OR...

 

Dis-moi la ville et l'or et le monde et la mer,

Et le sel triomphant de toute soif hautain ; -

Et l'horizon fermé par la clameur humaine,

Et la mort de l'Amour par l'amour de la Chair !

 

 

RENONCULE

OU

"TRISTIS USQUE AD MORTEM..."

 

Regarde-toi dans un miroir :

Quel fol orgueil se dissimule

Sous l'éclat triste du vouloir

Que l'âme et Dieu sans fin reculent

Devant les bornes du savoir, -

Lorsque toujours la mort ulule

Du fond du gouffre où le vent noir

Ne souffre rien qu'il ne bouscule

Ton être pour l'y faire choir

Et que ton oeil ne pourra voir

Bientôt, fermant sa renoncule,

Sous les étoiles qui pullulent,

S'ouvrir l'ultime fleur du soir !

 

 

SI MON OMBRE...

 

Si mon ombre n'est rien que le songe de moi,

Que le songe d'un songe et d'un tremblant effroi,

C'est qu'il se meurt parmi l'espace qui poudroie,

De ne pouvoir survivre au feu de nulle joie !

 

 

C'EST UNE ÉTRANGE MORT...

 

C'est une étrange mort que la mort immortelle :

Ce flot du sang jusqu'à la bouche en forme d'aile ;

Et ce feu qui la nuit brûle les papillons, -

Lorsque d'un sombre cri vers l'ombre nous crions !

 

 

LE MASQUE QUI SURGIT...

 

Le masque qui surgit du fond de ma figure

Tombe de mon visage en ce temps révélé. -

Rien de moi dans l'espace aveugle ne perdure,

Ni ma nocturne soif, ni mon silence ailé,

Et qui n'aille se perdre en la tendresse obscure

D'un univers mortel où la race future -

Si l'homme, sous le flot de son ivresse impure,

Ne vient rompre le cours secret de l'aventure -

Surgira sous un ciel de songes étoilé !

 

 

SURGISSEMENT DE L'HERBE...

 

Surgissement de l'herbe au ras de l'eau figée

Par le gel qui l'a prise en son amour de glace,

Tu ressembles, dans l'air cinglant, sur toi, qui passe,

A mon âme flottant au souffle sur ma face

D'un hiver de silance et d'ombre où l'or s'efface ;-

Tandis qu'au fil des jours et sans que nulle trace

Ne révèle qu'à peine, au sein du calme espace,

A mon regard distrait le glissement vorace

De ta reptilienne et formidable race, -

Tu prépares en moi, déjà, ton apogée !

 

 

MON ÊTRE DIAPHANE...

 

Mon être diaphane entre mes doigts se glace :

Je me vide de moi dans le temps dévoré.

Le jour qui soutenait ma force est moins vivace

En cet ultime coeur que l'immortelle trace

De ce qui reste en lui de malheur abhorré.

La présence insondable au ciel de l'amertume

Ajoute à la douleur du gel qui perce en moi,

Et l'espace fuyant qui balayait d'écume

Le seul soleil de gloire où le désir s'allume,

Frissonne d'un silence où l'âme meurt de froid !

 

 

FUREUR GLACÉE

 

Par ce fol remuement de feuille au coeur de l'arbre

Du vent qui l'investit de sa fureur glacée ;

Et ce lunaire éclat dont la blancheur de marbre

Divulgue en vain ton âme, en ton regard tracée ;

Remémore ton sang dans tes veines fécondes,

Si vif à circuler jusqu'en un tel esprit,

Qu'il te sépare et trie au sein des vastes mondes -

Qui roulent sous tes pieds les gouffres que tu sondes,

Ce pur diamant noir qu'un sombre éclair t'offrit !

 

 

SOLAIRE

 

Frénésie ! Azur ! Apre ardeur ! Que sais-je ?

Délires de bleus étalés sans fard

Sur ma vérité que rien ne protège

De ces feux partout dans le ciel épars !

Ivre appel en moi d'un déchirure

Qui romprait le charme, hélas ! refermé

De ce tendre étau d'innocence pure

Qui m'arrache un cri comme de damné !

Chaleur brute ! Absence ! Oeuvre de démence !

Chavire l'esprit, quand le deuil est roi

D'une soif assise en la fraîcheur dense !

Ah ! crève ce mur où meurent d'effroi

Les oiseaux perdus dans le grand carnage

De tous ces rayons, comme lasers froids,

Qui frappent de mort l'aile qui voyage !

Strident rire ! ô rire ! en l'air égaré

Du halètement de ma voix sauvage

Si près de franchir l'utime degré

De la clameur folle au bord de l'orage !

Quelle oreille offerte au temps recouvert

D'une nudité qui le décompose,

Au fond d'un soleil blanc comme un désert

Surprendra le cri torturant des roses ! -

Ah ! survivre enfin loin des sombres cieux

De flamme torride où le mal empire

D'une soif pareille à celle des dieux

Qu'un mortel soleil tient sous son empire

Et dont la fureur, comme d'un vampire,

Dévore le coeur même par les yeux !

Et pour que renaissent, à n'y pas croire,

Le rire des jours tendres d'ici-bas ;

Le flot qui s'enfuit ; l'âme dans sa gloire ;

Le ciel qui nous rend la mort dérisoire ;

Le désir profond comme la mémoire ;

Le soir qui se meurt calme entre nos bras ;

Et cette ombre immense de par le monde

Qui nous laisse l'âme et le coeur sans voix

Tellement elle est en douceur féconde ;

Sans que nul malheur d'astre n'y réponde

Et ne mez détruise encore une fois ;

Par les prés, les mers, les déserts, les bois,

Avec sa fraîcheur d'aile de colombe,

Ah ! que la nuit tombe ! ah ! que la nuit tombe !

Ah ! que la nuit tombe à jamais sur moi !

 

 

 

LA CAMPAGNE M'EMPLIT...

 

La campagne m'emplit d'une douceur profonde :

Quelle tendresse règne en son nocturne sein ?

Je respire l'air frais partout qui surabonde ;

L'arbre m'invite à croire au songe qui l'étreint ;

La lumière tremblante effleure le chemin ;

Tout nous porte au désir d'éternité féconde ; -

Et les heures du jour palpitent dans ma main !

 

 

DÉLIVRANCE

 

Tu me saoùles de vent, nature effervescente,

Pleine d'ombre, de nuits et d'immortels soleils ;

Je vis, je meurs, je ris, je pleure et me lamente ;

Je me plonge en le sein de consolants sommeils ;

Il n'est rien d'éternel en toi que je ne chante ;

Et tes feux, délivrés du mal qui les tourmente,

Sont à ceux de mon coeur et de la mort pareils !

 

 

SILLAGE

 

Pour Gine

 

O sillage ! Mon beau sillage !

Ame de l'âme !... L'endormi -

Où s'en allait mon plus bel âge,

Comme sur l'aile d'un ami !

Couche ton ombre sur mon ombre,

Au plus secret de la ferveur :

Il n'est de sombre que le nombre

Dont ne se berce pas mon coeur !

Tendresse calme ! Cher délire !

Folle promesse au fond des temps ;

Rien ne demeure de mon rire

Que l'éclat terne de mes dents.

Jeunesse ?... Morte en la mémoire !... -

L'eau qui s'écoule ne peut plus

Suffire à contenir la gloire

Précieuse des jours perdus.

Allez ! Allez ! fissure neuve

Où le reste du ciel s'en va

A la manière de ce fleuve

Tout au fond de l'océan-là, -

Comme le sable de la dune

Où s'émiette au vent du nord

Le seul miracle de chacune

De nos pauvres minutes d'or !...

Filez ! filez ! fliez ! fileuses

La belle trame aventureuse

Où s'égaraient nos jeunes pas !

Plongent au fond, les sommeilleuses,

D'un rêve pâle de trépas !

Que reste-t-il du beau navire

Qui naviguait dans le ciel clair ?

Que reste-t-il de cet empire

De pur silence dans la chair ?

Rien ne résiste à la blessure

Qui sonne en l'âme comme un glas.

Et l'immortelle meurtrissure

Qui suivait l'être pas à pas

Le jette au fond d'une aventure

Où, malgré l'ombre opaque et dure,

Une lumière luit tout bas.

Tout se défait, se désagrège

Des jours que nous avons connus,

Et comme flamme sur la neige

Soudainement ne brille plus,

Ainsi s'éloigne du rivage

Où s'élabore la douleur,

Mais non dans l'âme, la douceur

De cet impatient bonheur

Qui rayonnait sur ton visage -

Et soulevait d'amour sauvage

Et de lumière sans partage,

Au-delà même de notre âge,

Le plus lointain du paysage

De notre inaltérable coeur !

 

 

DE L'UN ET L'AUTRE VISAGE...?

 

De l'un et l'autre visage,

Lequel des deux est le plus vrai :

Du visage on dirait d'un sage,

De celui de l'homme mauvais ?

Se découvre ma trouble image

Aux pas de côté que je fais,

Mais se construit le bel ouvrage

De mon peu de bien et de paix.

Quel songe en moi me départage,

Sans que je sache si je vais

Recueillir l'or d'un héritage

Ou me perdre au mal que je sais ? -

Ah ! sur la pente de mon âge,

Avant que du sort les effets

Ne me retirent tout usage

De rien connaître désormais,

Qui donc me vaudra l'avantage

De comprendre enfin mon secret ?

 

 

VÉRITÉ DIFFUSE...

 

Vérité diffuse,

O ma vérité

Tendrement qui ruse

Avec la clarté !

 

Quelle apothéose

En mon coeur de chair

Qui souffre, si j'ose

Vivre d'esprit clair !

 

Du firmament tendre,

Vois, s'épanouit,

D'ineffable cendre,

La cendreuse nuit,

 

Lorsque, par la cime

Des arbres parfaits,

Se meuvent, sublimes,

Les astres de lait,

 

Et qu'en toi s'élève,

Subtile à souhait,

La pulpeuse sève

Des songes muets.

 

 

 

D'ESSENCE FUTURE...

 

D'essence future,

- Instant précieux ! -

Glisse la plus pure

Ame dans les cieux !

 

O si fine lame

A briser le coeur !

Est-il mal en l'âme

Plus que ce malheur

 

Qui veut que tout change

Et meurt à l'instant

Que le doigt de l'Ange

Vous touche le sang,

 

Et que la blessure

Qu'il y fait tout bas

Brûle la plus pure

Ame d'ici-bas ?

 

Mais pour la défaire

A jamais du feu

Qui détruit l'amère

Flamme de ce lieu !

 

Ah ! que ne déserte

Au fond du miroir

Cette gloire offerte

A mon désespoir !

 

Par cette brûlure

Extrême pourtant

Dont mon âme endure

L'immortel tourment,

 

Qu'il ne soit tendresse,

Pur soleil, désir,

Ni folle promesse

d'âme en devenir,

 

A la fin qui n'aillent

Ineffablement

Se perdre vraiment

En un ciel sans faille -

 

Eternellement !

 

Le jour s'amenuise

En rompant ses ors !

Quel rêve éternise

En nous ces décors !

 

Et quelle présence,

Comme d'une lance

A percer le coeur

Du plus clair silence,

 

Tire ta puissance

Et sa survivance

De la connaissance,

En notre âme , immense,

 

D'un Soleil qui meurt !

 

 

 

REGARD

 

Sur une pointe sèche, "Rêverie",

d'André Jacquemin.

 

Regard qui ne regarde

Le temps s'évanouir

Que pour redécouvrir

Au fond d'un ciel qui tarde

En l'âme à revenir,

Ce que le souvenir

D'amours à défaillir,

Jusqu'au fatal mourir

Déjà qui le poignarde,

Pour quelque pur désir

D'ivresses à saisir,

Au coeur, qui se hasarde,

En son désastre garde

Encore d'avenir !

 

 

LÉTHÉ

 

Un reste de chaleur m'éloigne de mon ombre

Et me revêt d'un feu qui meurt en s'exprimant. -

Ah ! que s'ouvre pour moi déjà dans la nuit sombre

Comme un éclair de vie où nul soleil ne ment !

Arrière donc, désir d'amère solitude !

Pour mon coeur, il n'est pas de plus réel souci

Que de se perdre où va toute décrépitude

Se garder pour toujours d'un devenir transi,

Et que de se murer dans cette survivance

Des grands arbres dressés dans l'ordre de l'été

Pour y puiser d'Amour - jusque dans la démence

D'un ciel qui les nourrit d'ardente indifférence -

Ce qu'il leur faut de suc, de flamme et d'existence,

Comme, dans un royal oubli de la souffrance,

D'un songe nu sorti des rives du Léthé !

 

 

 

MORTE VIVE

OU

SUR UNE EXTRAORDINAIRE TÊTE DE FEMME "AVEUGLE"

ANTIQUE DE DÉLOS

 

I

 

Epouvantée, avec tes yeux de morte vive,

Tu me regardes sans me voir,

De ce regard perdu que le silence avive,

Au-delà du plus sombre soir,

D'un grand soleil de corps et d'âme à la dérive,

Au plus secret de ton miroir !

 

II

 

Et ta bouche entr'ouverte, en ce désir d'un songe

Où ton regard ne la suit plus,

Par cette lèpre immonde et pâle qui la ronge

De quelque inaltérable pus,

Laisse couler, de cette espèce d'âme où plongent

Mille soupirs irrésolus,

Cette incommensurable soif qu'elle prolonge

Aux fleuves d'astres jamais bus !

 

 

FORCE

 

A Daniel

 

Et ta chair est ma chair,

Et ton sang est mon sang ;

Et ton propre esprit clair

Est le mien renaissant.

Me brûle la brûlure

D'un sort qui te contraint ;

Et le mal que j'endure

Est celui qui t'étreint.

Et rien ne me délivre

De ce feu désormais

Qui t'empêche de vivre

Ainsi que je t'aimais.

Et ta face m'obsède

Inexorablement

De cette âme vraiment

Qui toute la possède,

Et, bien qu'elle en procède

Encore obscurément,

Par soif secrètement

De lui venir en aide,

Aucunement pourtant

Ne cède à son tourment.

 

* Ton douloureux visage,

Émouvant comme un cri,

Jusqu'au fond de mon âge,

Me transperce l'esprit !

 

Lagny, janvier 1979.

 

 

I

 

UN JOUR POIGNANT...

 

A Myriam.

 

Un jour poignant d'entre les jours meurtris

Me vient étreindre encore l'âme noire ; -

Que s'abolisse enfin de ma mémoire

Ce gouffre en moi d'où naissent tous mes cris !

 

Et que survive, en sa terrestre errance,

Ce coeur qui bat comme le jour qui fuit,

Quand le désastre d'ombre en apparence

Plonge au néant le songe qu'il détruit.

 

Rien ne me reste, en la douleur qui dure

De ce silence d'âme au ciel désert,

Que l'éclat pur et vrai de ta blessure,

Où l'esprit souffre et crie avec la chair.

 

Mais il n'est pas de si terrible abîme

Qu'il n'y persiste, aux rives du malheur,

Ce clair soleil des songes que nous fîmes,

Quand il n'était point d'ombre en notre coeur !

 

Lorsque, riant de toute sa tendresse,

Rien n'existait que le regard de l'air

Pour nous priver de vivre en la détresse

D'un jour dont brille en notre coeur l'éclair. -

 

Voici qu'au loin des ombres la cohorte

Va s'enfuyant derrière l'horizon ; -

Tout redevient possible, et, de la sorte,

Le bel espoir s'agite en sa prison.

 

Tu vois déjà, du sein de l'âpre brume,

Se révéler un devenir meilleur

Que celui-là dont la funeste écume

Nous submergea l'âme d'un vaste pleur.

 

Le jour renaît de la nuit ténébreuse, -

Comme, du fond de l'océan glacé,

Surgit l'éclat de l'île bienheureuse

Qui resplendit sur ton plus noir passé ;

 

Et le soleil de la suprême chance,

Que nous masquaient les astres révolus,

De nouveau règne enfin par sa puissance

Sur le malheur des jours qui ne sont plus.

 

Juin 1985

 

 

II

 

SI LE MALHEUR T'ASSAILLE...

 

Si le malheur t'assaille au-delà du possible ;

Si du grand jour surgit l'abominable nuit ;

Si la douleur humaine a pris ton coeur pour cible ;

Et si tu n'entends plus que de l'enfer le bruit ;

Sache que nous savons que, jusqu'à l'indicible,

Tu dressas la clarté de ton regard qui luit

Sur l'abîme effrayant de l'ombre imprévisible,

De toute force en toi, dont rien ne fuit !

 

 

 

LA VERTICALITÉ TREMBLANTE...

 

La verticalité tremblante de ton âme,

Et solitairement si proche d'en mourir,

Par tout ce que le monde, en son désastre infâme,

Est capable, de soif mortelle, de nourrir !... -

Plus sainte d'avoir su si longuement souffrir

L'intérieur désert d'un mal qui le réclame,

Va : malgré tout cela qui veut t'anéantir,

Tu renaîtras, du fond de ton terrestre drame,

Comme l'acier, d'un feu, fait pour le raffermir,

Plus proche de ce Dieu dont l'éternelle flamme

Peut seule te permettre, en l'âme, de guérir !

 

 

EXALTATION DE LA ROSE

OU

PETITE VARIATION SUR UN THÈME

 

Que vienne la Rose

En mon coeur de chair

Allumer sans cause

Un feu qui se perd,

 

Mais qui ressuscite

Au plus clair du temps

La tendresse en fuite

Avec les autans,

 

Afin que perdure

Jusqu'au ciel désert

- Et comme une épure ! -

La grande figure

 

Calme de la mer !

 

 

*

 

Qui suis-je ? La Rose.

Où vais-je ? Ne sait

Le vent, et pour cause !

Moi, - si l'on savait ! -

Où mon pied se pose,

Je m'élève, chose,

vers Dieu, - le Parfait !

 

*

 

Que vienne la Rose

Dans le soir défunt

Délivrer sans cause

Le plus clair parfum

 

Dont l'âme s'enivre,

A ne plus savoir

De ce mal de vivre

Au sein du vent noir

 

Que cette présence

Si vive dans l'air

D'un parfait silence

Où le coeur se perd

 

De grande Rosace

Sur le ciel désert,

Lorsque toute chair

Et tout ce qui passe

 

A jamais s'efface

Au fond de la mer !

 

*

 

Silencieuse lèvre humide

A l'horizon de mon désir !

De chair et d'âme, l'air fluide

N'arrive pas à te saisir !

On te croirait mortelle, or moi

Je sais que ta victoire, en fête

Au fond de l'âme, hors du froid

Où la mort règne justement,

C'est d'être inaltérablement

Par la mort de la mort en toi

A toute survivance prête, -

Au point que, dans mon devenir,

Je ne sais si ta force est mienne

Ou si, pour peu qu'il m'en souvienne,

C'est à moi de t'appartenir !

 

 

 

SUR

UNE TÊTE D'ADONIS

OU DE BOUCHE À OREILLE

ET

D'AME A AME

 

Regard lointain de parole non dite...

Lèvre entrouverte au souffle du désir

De l'âme toute à travers l'air en fuite

D'un vol soudain d'abeilles à saisir,

Dont l'essaim fol, en la lumière vive

Du plein midi d'un clair soleil doré,

Bourdonnera bientôt de rive en rive

De quelque oreille à l'écoute attentive

Du miel des mots que nul sommeil ne prive

De réjouir - d'une tendresse active

A troubler l'être en sa douceur pensive -

L'autre âme toute elle-même captive

Du pur canal exquisement foré !

 

 

A LA LUMIÈRE INTÉRIEURE

OU

SOLEIL DES SONGES

 

Soleil des songes ! Plénitude !

Rien ne discerne en ton pouvoir

Ce flot d'espace que n'élude

Nul vent du nord tragique et noir

De l'immortelle certitude

Que la lumière dense à voir

Dissipe en l'âme la plus rude

Les ombres même du miroir !

 

Règne de l'âme ! Subterfuge !...

Parmi les palmes de mon corps

Où je m'invente mon refuge,

Par toi, je vaincrais mille morts,

Si je savais du mal transfuge

En les racines de mon sort

Vaincre du fleuve le déluge

Et rompre l'ombre qui me mord !

 

Halte du temps ! Douceur pensive !

En moi les mots ont la saveur

De cette force dans le coeur

Plus que nulle autre primitive

Qui vient détruire en sa chaleur

De l'être même la langueur

Et fait renaître en l'âme vive

Une abondance de splendeur !

 

Allons ! Vivante ! Viens, ma reine,

Surprendre enfin cette pâleur

Dont s'enivrait ma souveraine

Attente folle de malheur,

Et brise en moi ce crépuscule

Au fond de ma plus sourde peur

Qui me rendait ma chance nulle

De rayonner de vrai Bonheur !

 

 

ESCLAVE MÊME...

 

Esclave même au point de ne pouvoir tenir

Encore entre mes doigts le songe qui m'effleure,

De l'innombrable temps et de l'ombre et de l'heure

Où notre chair vivante et vaine va finir,

J'attends du seul Soleil en qui se réverbère

La lumière du jour et celle de la nuit,

Que se résolve en moi l'identité contraire

D'un mal que j'apprivoise au fond de ma misère

Et d'un ciel que ma soif d'Amour ne saurait taire -

Mais qui secrètement encor sur cette terre,

Semblable à ce qui m'aime et ce qui me détruit,

Comme un feu qui me hante et qui me désespère,

Sans cesse me tourmente et pour jamais me fuit !

 

 

BRÛLURE

 

Le désert - en mon coeur glacé comme une eau froide -

Surprend par sa brûlure et l'ombre de la mer

Et le geste étendu de la déraison roide,

A pourfendre à jamais les rives de l'hiver ; -

Redécouvre en la nuit rebelle à l'aventure

Et figée en un gel que nul soleil ne peut

Traverser de sa flamme même la plus pure,

Cette immobilité vivace d'une 2pure

Que, sous un masque d'astres morts à la mesure

De l'immortelle soif en toi de ce qui dure

Et te délivre enfin du cri de ta blessure,

Te révèle et te jette encore à la figure

La force inaltérable et rare de son feu !

 

 

RÈGNENT LA MORT, LA MER...

 

Règnent la mort, la mer et le sable mouvant :

En ton âme, il n'est pas d'éternité tranquille.

Et la force de l'arbre et le rire du vent ;

Et les cris forcenés qui montent de la ville ;

Et le malheur qui vient trahir le coeur souvent ;

Et la détresse folle et la tendresse vile ;

Et tout ce qui se meut dans l'ombre comme avant ;

Ne parviendront jamais à rompre l'immobile

Et solitaire course, au fond d'un ciel rêvant,

De cette Etoile claire où toute nbuit fragile

S'émeut d'une beauté qui rend la mort facile, -

Comme celle, à la fin d'un songe décevant,

Et pour n'y laisser plus que trace indélébile,

D'un immortel soleil dans l'âme, se levant !

 

 

LORSQUE L'ÉTERNITÉ...

 

Lorsque l'éternité vous rentre par la gorge

Et fait battre le coeur à vous le rompre enfin ;

Lorsque rien ne résiste au feu de cette forge

Par où pénètre en nous le règne du divin ;

Quand la vie elle-même en nous se désagrège

Et que s'effondre l'âme, il semble dans le corps,

Au point qu'on ne sait plus ce qui le plus allège ;

D'être encore vivant ou mort parmi les morts ;

Quand la nuit vous embrasse et jusqu'au coeur de l'être

Envahit tout de vous qui vous croyiez vainqueur

De l'essence des jours ainsi que du paraître,

Du tragique aujourd'hui comme du sombre ailleurs ;

C'est alors seulement que la nudité pure

D'un Soleil pour toujours absent de la douleur

Désarme ce désastre en l'âme qu'inaugure

Et parachève en nous le règne de la peur,

Afin d'en préserver l'incomparable Epure

Et de nous délivrer des affres du malheur !

 

 

TREMBLE : DANS L'OMBRE VASTE ...

 

Tremble : dans l'ombre vaste, immensément parfaite,

Descend, comme d'un feu, l'étrange vérité

Qui te serre la gorge ainsi qu'une défaite

Au milieu de la nuit vivante de l'été !

Quelle terreur de vivre en toi se dissimule

Quand tout semble limpide à tes yeux grand ouverts ?

Ne vois-tu pas d'un mal qui dans ton coeur circule

Monter comme des flots tragiquement amers ?

A quelle source aller boire, de blanche écume,

Pour renaître, à l'instant que le soleil s'allume,

L'eau vive en la fraîcheur fragile du matin ?

Et quelle force croire, où le malheur s'agite

Et nous tourmente l'âme en ses désirs sans fin ?

Les morts, comme la mort, en notre coeur vont vite,

Vers l'abîme où le noir du monde nous étreint. -

Ah ! ne connaître rien que la douceur de vivre

Des jours après des jours dans les soleils calmés,

Sans que plus rien n'empêche l'âme de les suivre

Et de se perdre en eux jusqu'à plus n'être qu'ivre

De ces grands ciels de gloire en nous qui nous délivrent

Des songes remplis d'ombre et par nous tant aimés !

 

 

SURVIVANCE

 

...Et la mer se répand dans l'âme comme un flot

Venu du plus profond de l'océan des âges ;

Et son bruit solitaire en nous n'est qu'un écho

Du souffle qui jadis passa sur nos visages,

Immobile et fugace et tendre comme l'eau... -

O Soleil éternel de l'éternelle errance

De l'éternité neuve au coeur de l'homme fou

De croire qu'ici-bas tout ce qui recommence

N'exprime que la mort de ce qui contient tout ; -

Car le songe immortel et libre de l'abîme

Qui flotte dans l'air vif et dans les coeurs humains

Ne connaîtra jamais, en sa terrestre cime,

Que le gouffre insensible et trouble des jours vains,

Jusqu'à ce que s'élève enfin l'appel vivace

Du grand large étalé sous le regard soudain

De l'homme devenu ce fils de haute race

D'un Dieu de solitude et qui lui tend la main !

 

 

 

PAROLE

 

Comme l'Amour, la mort et l'amertume folle

Te saisissent la gorge en son néant profond, -

Ainsi te désarçonne encore la parole

Immortelle et fugace, en sa terrestre obole,

Qui te frappe le coeur sans cesse et l'âme au front !

 

 

LES HEURES DE DÉTRESSE EXTRÊME...

 

Les heures de détresse extrême sur la terre,

Où l'homme ne sent plus sur lui que sa misère,

Où le feu devient glace et toute glace feu, -

Traversent le temps pur comme un tison de Dieu !

 

 

LA MORT-AMANTE

 

On vit parmi des dieux qui rêvent de la mort :

De l'innocence et folle mort, la mort-amante ;

Et qui ne savent pas, en leur fureur démente,

Que les noirs tourbillons au ciel de l'épouvante

Ne sont que le reflet inverse, en l'âme errante,

De cela qui sans fin - d'un soleil pur - les mord !

 

 

L'UNIVERS EFFRAYANT...

 

L'univers effrayant des gouffres qui t'habitent

Ni l'âme qui se mêle à ton néant profond,

Ne sont le moindre abîme où le désert palpite

De toute l'amertume immense dans sa fuite

D'un coeur au coeur duquel la mort se précipite

De telle sorte ici que rien n'en ressuscite, -

S'il n'y règne pourtant le Dieu qui nous confond !

 

 

TA PRÉSENCE PARFAITE...

 

Ta présence parfaite emplit le gouffre immense

Où l'âme va se perdre au sein profond des mers ;

L'être inlassablement vers l'avenir s'élance,

Afin d'en maîtriser la terre et les enfers :

Rien n'échappe à la mort où plongent toutes chairs ;

Le soleil tournoyant ravage les déserts ;

Il n'est pire souffrance en nous que Ton absence ; -

Et la douleur de l'homme emplit les univers !

 

 

JE T'EMPORTE AVEC MOI...

 

Je t'emporte avec moi, grand souffle indélébile

Qui remplis l'univers de ton fuyant secret, -

Et le grand chêne sombre où ton silence file

Et fait bruire soudain le feuillage parfait,

Me révèle qu'il n'est de tendresse futile

Ni de caresse d'âme en l'univers docile

Où n'apparaisse un jour le Dieu qui s'y cachait !

 

 

O DIEU, TA VÉRITÉ...

 

O Dieu, ta vérité pénètre l'atmosphère

Où mon âme, ce soir, respire l'air profond ;

Une immense clameur s'élève de la terr,

Où le ciel avec l'ombre même se confond ! -

Qu'ai-je à faire sur terre encore, qu'ai-je à faire,

Après tout ce malheur où je tournais en rond,

Quand je vois de ce monde immense la misère,

Dans le flot emporté d'une détresse amère,

Se planter dans mon âme ainsi qu'un éperon ?

 

 

NE SURGIRAS-TU PAS... ?

 

Ne surgiras-Tu pas du fond de ma figure,

- Quand tout change, se trouble et se disperse en moi ;

Dans le vent qui m'emporte au gré d'une aventure

Qui me brise le coeur et m'ouvre une blessure

En laquelle il n'est pas d'ivresse qui perdure

De tout ce qui tenait mon âme sous sa loi, -

Si, par un clair sursaut de conscience pure,

Et pour clamer ma pauvre soif de créature,

Il ne reste plus rien dans mon désert que Toi ?

 

 

QUE NE PUIS-JE...

 

La meurtrissure affreuse, aux racines du coeur,

Etreint ma conscience pâle, aux épars ; -

Que ne puis-je, Seigneur, aux rives du malheur,

Plonger ma solitude d'âme en Tes regards !

 

 

ESPACE NU...

 

Espace nu d'aridité première ;

Visage ultime au centre de ce lieu ; -

Que m'envahisse enfin cette lumière

De force pur et vérité plénière

Qui comblera tout mon désir de Dieu !