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En lisant "Orénoque"

 

En 1941, j'écris dans "Rivière", parmi des définitions : "source au coeur des sables ; pensée de bords nouveaux s'enrichissant et qui, sans cesse, va laissant la rive déjà caressée..."

 

Et Gaston Bachelard, en 1963, dans "DIALECTIQUE DE LA DURÉE" : "...La substance spirituelle se couvre ainsi d'une infinité d'attributs, d'une diversité prodigieuse, et tous les degrés de l'attribution ont une égale force d'attribution. Le charme des finesses de l'analyse psychologique passe immédiatement au rang des richesses de l'âme. Le psychologue inscrit l'émotion de sa fine analyse au compte de la valeur foncière de nos sentiments. Pour lui, la nuance est une couleur. On a alors l'impression que l'âme bergsonienne ne peut s'interrompre de sentir et de penser, que les sentiments et les idées se renouvellent sans trêve à sa surface et chatoyent, dans le flot de la durée, comme l'eau de la rivière ensoleillée..." (p. 5).

 

Que ce soit l'Orénoque ou la Sèvre Nantaise ou Niortaise, du côté de Maurice Courant, leurs eaux et leurs buées matinales sont mêmes et, sans doute, lui et moi, les avons reconnues.

 

Robert Ganzo

 

Masque criant ce qu'il recouvre

De vérité, comme un démon !...

Quand la forêt dense qui s'ouvre

Au fleuve nu qu'elle découvre -

Comme la sève au coeur du rouvre,

Appelle l'âme par son nom !

 

 

Morts des forêts en avalanches

Sur les trésors d'astres péris

Parmi leurs immortelles branches, -

Comme des femmes, nuits aux hanches,

Sous des flots vains d'ivresses blanches

Ou d'anciens feux de paradis !

 

 

Orénoque, quand tu verdis

Sous les lianes, Orénoque,

De la forêt qui se disloque,

Et que tu draines aux midis

De tant de rêves la défroque,

L'âme frémit - comme une loque

Au moindre vent qui la provoque -

D'ouïr les choses que tu dis !

 

 

Et vous roulez, comme la mort,

Vos larges eaux, d'ombres fertiles,

A travers d'incroyables îles,

Fleuves de songe, où l'oiseau dort ; -

Au-delà des superbes villes

Qui roulent de grands fleuves d'or,

Où l'homme tend ses mains débiles

De mille activités serviles

Vers quelque rêve - comme un port !

 

 

Lointaines eaux de la mémoire,

Refluant jusqu'au petit jour

De l'instant même dans sa gloire

Où nulle force dérisoire

N'empêchera toute victoire

D'aller toujours, de moire en moire,

Se perdre au Fleuve de l'Amour !

 

 

"ORÉNOQUE" :

ou ce chant d'un "ailleurs", dans le langage d'ici, pour la poétique édification de partout !

 

Des fleuves tumultueux et des forêts enchevêtrées de l'Amérique à cette harmonie si parfaitement classique et comme "à la française" d'un style impérissable, - par le transparent chemin des étoiles !

 

Haut langage, dans l'irréductible et profondément musical enchaînement de mots qui apparaissent, sous le vent d'une mentale autant que géographique "distance", comme brusquement régénérés.

 

Une "terre" qui ne serait pas seulement celle d'une chair et d'un sang, mais celle aussi, par une transmutation extraordinairement et subtilement secrète de l'esprit, de millions d'astres enfouis au fond de la mémoire, pour une restitution "insensée", à travers eux, de la lumière!

 

Non pas l'exégèse d'une oeuvre pareille, mais le plongeon singulier de l'être au sein d'un univers "contradictoire" jusque dans la cohésion de son existence même, par les indéfinis arrière-plans qui le composent et dont il tire le rayonnement unique de sa lumière et de sa nuit.

 

D'une "splendeur concertée" à une certaine "logique" du mystère - jusqu'à cette liberté fondamentale et créatrice de la plus souveraine et solennelle exaltation par l'art de tout ce qui profondément, en nous et en dehors de nous, déjà ne meurt pas.

 

Insondable enracinement de l'être même ici en sa propre "durée", - où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire se mêlent en d'infinies étreintes d'âme, pour un "dépaysement" total de l'humaine aventure - au fond des temps "illimités"...

 

Robert Ganzo - ou la tentation de l'Origine, par une constante soif du plus profond de son être même de se plonger indéfiniment au sein de cette Réalité fondamentale en laquelle l'âme - qui s'y renouvelle - quête sans cesse une perpétuelle identification de son désir et la suprême justification de sa fin.

 

Il règne en cette poésie, où perpétuellement le Songe affleure de partout, comme le frémissement secret d'une incommensurable surabondance d'âme et l'ineffable présence aussi d'une "absence" telle qu'il semble qu'elle ne puisse jamais être véritablement comblée que par Dieu.