DANS
LA CLARTE
d'un ciel qui tremble...
GM
A
La très chère et profonde
Mémoire
de Charles TEMPLÉRAULT,
emporté
par la tourmente,
le
30 aoùt 1914
à
Neuvizy-les-Ardennes,
dans
sa vingt-et-unième
année.
Qu'il
repose
avec les siens,
dans la Paix !
Du
plus haut
tremblement
de
l'esprit.
Si la mort me prenait l'arrachement des choses,
Je mourrais de survivre à leurs métamorphoses...
BRUYÈRE
Bruyère vive entre mes doigts
De l'éclat pur qui ressuscite
En le miracle d'or des bois
La flamme immense qui palpite
Au coeur du Roi d'entre les rois !
Le grand ciel voyageur a déchiré ses voiles
Pour laisser apparaître encore des étoiles !...
La forêt met en moi de longs frissons d'étoiles,
Et le vent qui traverse encore la feuillée,
Jette dans l'âme même, à son souffle éveillée,
Comme un frémissement d'insaisissables voiles...
Le soir calme remplit mes forces de lumière ! -
C'est comme si l'éclat du jour mourant en moi
Envahissait l'espace et l'ombre tout entière
De cette irrépressible ivresse printanière
Qui brise de l'hiver en l'âme l'astre froid !
Pour Gine
Vois, sous le ciel vivant dont le regard s'abreuve,
Au souvenir d'un Coeur jadis qui s'y perdit,
La gerbe des Lilas, superbe d'être neuve,
Surgir, en la lumière vive de midi,
Sans que nulle aile d'ombre sombre ne l'émeuve
Et n'apporte en secret l'irrécusable preuve,
Comme coule à jamais jusqu'à la Mer le fleuve,
Que se brise l'écho du verbe qui la dit !
D'irradiant azur et d'astre flamboyant,
Ton rire au grand vent d'Est alimente les sources
D'un ciel plus clair de voir en leur ultime course
Les nuages perdus au fond de la grande Ourse,
Se laver d'or subtil, - en l'âme guerroyant !
La superbe vallée ouvre son coeur limpide
A l'éclat surprenant du jour ensoleillé ;
Tout respire la force, au vent d'un ciel lucide
Et par ce même vent sans cesse balayé ; -
Et l'homme ne peut rien, jusqu'en son âme avide,
Que d'être, par la mort de l'ombre, émerveillé !
Dans le frémissement doré de l'altitude
Où, prisonnier des jours en leur exactitude,
L'arbre répand son âme inconsidérément,
La terre, en un sursaut de certitude, élude,
Par force intérieure, et resserrante et rude,
Pour une gorge offerte au sort qui la dénude,
La sueur âpre et froide, ô Mort, d'un noir tourment !
Plonge dans l'air, magnificence de l'hiver !...
La vertu qui s'exalte au comble de l'été
Traverse intensément ta dureté sonore
Et fait naître, au milieu de tant de pureté,
Comme la transparence encore d'une aurore, -
Où vient battre, dans l'air cinglant qui me dévore
D'un pénétrant désir que ma tristesse adore,
Quelque chose du feu des jours qui m'ont quitté !
Le ciel se meurt au fond des nuits ;
L'ombre, de l'ombre, s'effarouche ; -
Quel souffle expire sur ta bouche ;
Quel jour tremblant sur toi se couche ;
Lorsque tu dis, en toi : "Je suis !"?
J'imagine, raisonne et me remplis de rêve ;
Le grand arbre frissonne au calme de mon front ;
Le monde inanimé dans mon âme s'achève ;
L'éternité s'égare en la minute brève ; -
Et le soleil des morts, dans mon ciel pur, se rompt !
Un peu d'ombre sur du désir ;
La mer lointaine en ma mémoire ;
Un coeur qui ne veut pas finir ;
Le ciel troublant de mon histoire ;
Et l'amertume dure à boire
Au fond du gouffre dérisoire
Où le soleil s'en vient mourir !
Coeur de mort ! Coeur de vie ardente ! Coeur avare !
Coeur perdu dans l'éclat secret de ton miroir !
Coeur semblable à la mer inconsolable et rare
Qui s'en vient battre l'âme en l'air et qui s'égare
En l'insondable nuit qui monte avec le soir !
L'arbre se fige en ma présence,
Dans la clarté d'un ciel dormant :
Nous sommes bien de connivence,
L'arbre, en sa belle survivance,
Et moi, pauvre âme, en mon errance,
Quand nous rêvons du seul silence
Qui va dans l'ombre se formant !
Je ne sais si la mort et moi,
Lorsque nous serons seuls ensemble,
Sombrerons dans l'univers froid
Qui, dans mon être, se rassemble ; -
Ou bien, sans trop savoir pourquoi,
Parce que l'âme folle y croit,
Dans le silence, sans effroi,
De la clarté d'un ciel qui tremble !
Le sombre jour et la tremblante nuit
Ta soif nocturne, en l'ombre, préfigurent ;
Tu ne sais rien des mots qui t'inaugurent,
De ciel sans faille ou de tristesse pure,
Cette douleur, en ton néant, qui dure ; -
Quand la ténèbre, en ton silence luit !
Né de l'ombre, je vais vers l'ombre et je ne suis
Que cette ombre d'une ombre en l'ombre que je fuis, -
Et qui s'en va se perdre toute au fond des nuits...
Encore un pas de plus sur la terre des hommes ;
Encore un pas de plus dans l'univers glacé ;
- Ces pauvres hommes de misère que nous sommes ! -
Encore un pas de plus ; - et tout est effacé ...
A
Maurice Régnier
In memoriam.
... Et la mort t'a surpris lorsque d'un souffle encor
Tu ne respirais plus que pour devenir mort.
Rentre en toi : n'attends plus d'espace qu'en toi-même ;
La détresse t'invite à tous les abandons ;
La solitude arrive et dans ton âme sème
Ce visage d'un jour ouvert au seul blasphème
D'une mort qui t'abreuve alors de tous ses dons !
On survit un jour, et puis quelques heures ;
L'ombre nous entraîne en son flot mouvant ;
Le rire des jours s'enfuit ; tu demeures
Juste ce qu'il faut pour être émouvant ;
Se voile de nuit l'âme, quand tu pleures ; -
Et tu n'es que songe ; et tout n'est que vent !...
Par les brandes du temps, que de feux viennent prendre !
Que de désirs de mort se mêlent à la vie !
Que de soleils s'en vont à l'horizon descendre !
Que d'humaines chaleurs se réduisent en cendre !
Que de malheur s'engouffre en l'âme la plus tendre ! -
Que de breuvages clairs que trouble encor la lie !
La menace est en nous comme l'orage aux cieux ;
Comme le désespoir au coeur de l'espérance ;
Comme l'atome nu dans l'univers immense ;
Comme la mer sans cesse au loin qui recommence
A nous bercer de néant pur en son errance ; -
Et, de la mort terrible en sa magnificence,
Comme la certitude affreuse dans nos yeux !
Le train file et t'emporte, il semble, à la dérive ;
Le train, vers l'au-delà des jours, t'emportera ... -
Dans le fond de ton être, il n'est âme qui vive ;
De tes songes, en l'air, plus rien ne restera,
Ni trace de tes pas, sur terre, qui te suive :
Et tu n'es qu'un néant, dans l'ombre, qui s'en va !...
Je regarde la terre, et la terre me fuit ;
Et la terre elle-même en silence m'atterre, -
Tellement brusquement me semble son appui
Pour encor peu de temps ne me soutenir guère
Que pour m'envelopper d'un linceul de pierre
Dont il ne surgirait pas même de lumière
Pour ne fût-ce éclairer qu'une tremblante nuit !
Il s'éloigne de moi, l'homme à la marche alerte :
Est-ce lui qui me fuit, moi qui le vais fuyant ;
Moi qui me dis : " Je doute !", ou lui qui se dit : Certes ! " ;
Dans le jour qui se ferme ou dans la nuit offerte,
Est-ce moi ce marcheur qui marche vers sa perte -
Ou qui va, sous le ciel, des larmes essuyant ?
La mer n'est plus la mer ! La mer au rythme sombre !
La mer toujours semblable avec son flot amer !
La mer toujours amère, en mon silence, sombre
Au-delà de l'esprit lui-même et de la chair !
La mer s'en va rejoindre, et son désir sans nombre,
En l'ombre sans retour, de l'Innocence, l'Ombre !
La mer s'en va de moi ! La mer n'est plus la mer !...
Qu'espères-tu de moi, silence des forêts,
Quand je marche au-devant des brumes de l'Automne,
Où mon pas en tremblant dans le matin résonne
Comme s'il n'y avait brusquement plus personne,
Hors moi, pour croire encore aux feux de ta couronne, -
Dans l'ombre enveloppante et douce où tu parais ?...
La forêt m'appartient, puisqu'elle m'aime toute,
Et que je la chéris comme mon plus grand bien
(Avec la mer vivante, en l'ombre, que j'écoute) ; -
Car elle met en moi ces rêves en déroute
Qui risquaient de m'étreindre l'âme avec le doute
D'aller me perdre au fond d'un grand Soleil qui vient !
La lumière traverse, au coeur des pierres mortes,
L'origine abolie en son néant profond ; -
Le clair jour se disperse ; et l'ombre qui l'emporte,
Enténèbre un peu plus la barrière du mont.
La bête hurle en l'homme ; - et jusqu'à l'horizon,
L'oppression de vivre, en l'âme, est la plus forte.
L'herbe des champs qui te regarde, est-elle claire,
Et pour toi pleine encor d'un fulgurant mystère ;
Et le discret soleil qui luit sur ton chemin
Ne pose-t-il un peu de gloire sur ta main, -
Lorsque, par la saison éparse sur ton front,
Le brusque orage, au fond d'un ciel qui se corrompt,
Et comme dans la chair de fer d'un éperon,
Te vient saisir enfin l'esprit d'un éclair prompt !
L'extrême chemin creux ruisselle de tendresse ;
La lumière profuse y fuse à chaque instant ;
On dirait que l'amour de l'être sans paresse
Y propage sa force au rythme pur du sang ;
Tout semble y respirer le calme et la promesse
D'un coeur épris de claire chance brusquement ; -
Lorsqu'au fond de ton âme folle, la détresse
Hurle à la mort d'un jour terrible, - justement !
L'ouragan - comme un fou! -traverse le ciel noir
Qu'il déchire d'un souffle extrême sur l'eau vive ;
A cette heure sur terre il n'est âme qui vive ;
Le soleil nous regarde ainsi qu'un faux miroir
Dont l'oeil incandescent dans le désert s'active ;
Et la mort, quittant l'or qui brille sur sa rive
Lorsque son coeur tragique éclate dans le soir
De mille sombres feux que son désir captive,
Par cet éclair d'un jour qui dans le jour dérive,
S'exalte en nous plus que jamais, - sans le savoir !
Ballotté par le flux des vagues de l'éther,
Tu t'enfonces parmi la terre inexprimable !... -
O ma Douceur de n'être rien qu'un souffle d'air,
Qu'un peu d'âme fragile en la fragile chair,
Quelque chose qui meurt à force d'être clair,
Qu'une tristesse vague éparse sur le sable
Que disperse(nt) les folles vagues de la mer !...
L'espace où je respire est à peine visible
Sous le soleil des jours qui passent sombrement ...
Que reste-t-il de ce grand rêve indélébile
Qui devait m'emporter jusques au firmament ? -
Une ombre sur le sol ; un souffle, en l'air dicible ;
Du moindre mouvement de l'univers, la cible ;
De mon être en errance, un simple égarement ;
Quelque chose de frêle, en l'âme du possible :
Une rumeur de mort sous un soleil dément !
C'est la chasse et déjà se terrent les gibiers ;
La peur vient de partout prendre aux tripes les bêtes :
Lièvres, pigeons, faisans, chevreuils et sangliers ; -
Comme vous tous : bourgeois, manants de quelles fêtes !
Poursuivis on ne sait au fond de quels halliers,
Par l'autan harcelés de toutes ses tempêtes,
Sans qu'il soit contre lui pour vous de boucliers, -
N'êtes-vous, tant le sort se paye de vos têtes,
A la mort, vous aussi, plus que jamais liés ?
Vent d'Ouest ! ô grand vent vivant de ma victoire !
Le seul qui me fascine et qui m'emporte aux cieux
De toute cette force unique dans sa gloire
D'une mer qu'il déserte au fond de ma mémoire,
Mais pour m'en rendre l'âme, - où l'âme dérisoire,
A travers les éclairs secrets de son histoire,
Et comme d'une source où l'on s'en revient boire,
Cherche à redevenir celle des anciens dieux !
Le sombre éclat des jeux de l'amertume
Emporte inifiniment le rythme des jours clairs
Au-delà de l'espoir d'un ciel où l'astre fume
Tellement que plus rien n'en brise les éclairs ; -
Nulle ferveur ne vient troubler les moindres chairs ;
La lumière traverse à peine encor les airs ;
Et ton regard se perd en quelque étrange brume
Où ne respirent plus tes rêves les plus chers !
Et la force du rêve à bras le corps nous prend
Et fait basculer l'âme en l'or de la chimère ;
Et ton rire est pareil à la rumeur du vent
Qui remplit de fureur les gorges de la terre ;
Et ton désir de vivre en l'univers errant
N'est qu'un funeste cri de mort de l'éphémère
- Au-delà d'un silence d'astre délirant -
Vers un ciel qui l'étreint d'une douleur amère !...
Te voilà, grandissant sur l'aile de la crête
Où je traîne, insensible à ton pouvoir, mes pas,
Grand vent, grand vent de mer qu'amène la tempête
Et, de l'horizon fol, qui souffles sur ma tête
D'une telle funeste force qu'il s'apprête,
Ton déferlement vaste et clair que nul n'arrête,
A tout déraciner des choses d'ici-bas, -
Hors mon âme, qu'absorbe une tout autre quête,
Hors mon âme, à jamais, qui ne te connaît pas !
L'ombre, la mer, le vent ni l'existence pure,
Il n'est rien, dans un souffle à peine, qui perdure
Plus que la pâle soif de l'âme sur les eaux,
Plus que le vol rapide et frêle des oiseaux,
Et plus que la mortelle et superbe aventure
De l'homme poursuivant et sa propre figure
Et, sans pouvoir jamais en faire la capture
Aussi profondément que dans sa course obscure
Il ferait d'un grand cerf à courre en la nature,
Sa pensée elle-même éparse en les roseaux !...
Comme un feu qui prendrait dans la forêt profonde,
Si l'éclat de la nuit te ravageait le coeur ;
N'hésite pas : va-t-en jusques au bout du monde
De ton être perclus d'immortelle douleur,
T'y jeter, comme on jette l'or au sein de l'onde,
Pour absoudre du temps ce fabuleux Malheur
Qui sans cesse sur terre en l'âme surabonde,
A travers les espaces d'ombre vagabonde,
Emplit les univers d'inanité féconde,
Et t'enserre de force absurde, - quand tout meurt !
Solitude du soir au fond de l'ombre amère ;
Quelle douleur, dis-moi, t'emporte loin de toi ?
Le malheur à cette heure encore désaltère
Ton âme si fragile et tendre entre tes doigts,
Comme si, dans ce temps perdu, la pauvre hère
Ne pouvait que traîner des ombres la misère
Et l'affreuse couleur des songes à la fois, -
Et, loin de cette gloire immense sur la terre,
Comme si, dans tes yeux trop tristes pour lui plaire,
Le soleil brusquement brillait d'un sombre effroi !
Que sait-on du Désir qui soulève les mondes ?
Que sait-on de ces Feux d'éternité profonde
Où se perdent les feux profonds de nos désirs ? -
Que sait-on de la mort et du soleil lui-même
Qui toujours nous regarde et dans notre âme sème
- Comme l'on sème au vent les choses que l'on aime -
La tristesse de vivre et celle de mourir ?
Le grand défaut de la Cuirasse ailée,
C'est le Destin qui brise le destin :
Brisant ainsi la fontaine scellée ;
La cloche d'or, aux sombres vents, fêlée ;
La soif de vivre à de la mort mêlée ; -
Et cette nuit de l'âme constellée
Où le soleil, de rouge sang, se teint !
Éloigne-toi de moi, silence de la mer !
Silence épouvantable où se meurent les eaux !
Où le monde m'étreint comme un corset de fer
Qui me déchirerait le coeur avec la chair ; -
Où ne respirent plus dans l'âme les oiseaux !...
Le Songe, environné de pureté profonde,
Plonge dans l'Océan vivace du savoir, -
Pour en faire jaillir, comme d'un gouffre l'onde,
Comme s'il n'existait rien d'autre par le monde,
L'Or qui brille en l'espace inverse du Miroir !
Rappelle-toi ce flot de folle démesure
Qui te remplit l'esprit d'un devenir vainqueur,
Quand tu marchais parmi la houle et la douleur
De ne pouvoir survivre à la tristesse obscure
Qui montait de l'abîme avec sa profondeur,
Et, loin du seul soleil de ce qui transfigure,
Comme si l'ombre était plus pure que ton coeur !
Si de ton coeur la mort éclaire le visage,
C'est qu'elle est plus que toi l'image de ton coeur :
Car la mort ne supporte pas que l'on partage,
Avec qui que ce soit qui dans notre héritage
Nous laisse quelque peu de certitude en gage,
Rien qui puisse ternir en l'âme sa splendeur !
Si le songe t'emporte au-delà du délire ;
Si la mort te regarde avec des yeux d'enfant ;
Tout s'apaise en ton âme et, rien que de le dire,
S'éclaire d'astre en elle, et tout devient sourire,
Et la ténèbre même en ton désert le pire,
Comme une mer lointaine et qui soudain respire,
Te couvre de son aile d'ombre et te défend !
S'éprend de toi le ciel vivant, morte durée ;
T'absorbe en son sein nu le ciel si méritoire
Et digne, par-delà l'espace dérisoire,
D'en survivre à jamais au coeur de la mémoire, -
De n'avoir tant cherché des ombres la curée
Que pour toujours dresser sur leur tombeau sa gloire !
Si ton coeur préférait la mer à l'amertume
Et le désir de vivre au désespoir profond,
Il verrait se lever, du fond de l'âpre brume,
Au lieu de ce malheur toujours qui le confond,
Ces feux multipliés d'irremplaçable écume
Qui brille et brusquement te jette, en l'air qui fume,
Mille vivants soleils de gloire sur ton front !
Quel désert en ton coeur tumultueux t'enivre,
Et quelle force en toi te livre à l'abandon ? ... -
Au-delà de l'appel des songes à les suivre,
Comme le sel des mers toujours qui nous délivre
D'un malheur qui nous laisse une rougeur au front,
Il n'est rien qui ne puisse faire que le vivre
De l'âme ne soit pas la source du pardon !
Nous sommes enfermés dans notre éternité
Tellement que plus rien jamais ne nous disperse
De l'immuable feu d'un ciel que le vent berce, -
Comme une glace ardente au centre de l'été !
Le vent de mer léger qui te lave la face
De toute la splendeur d'un jour rejaillissant,
Dans ton coeur laissera cette immuable trace
D'éternité fragile et cependant vivace -
Qui circule à la pointe extrême de ton sang !
Je ne suis rien que cendre au vent qui l'a voulue ;
Qu'un peu d'ombre fugace en mon désert de glace ;
Qu'un silence mort en l'âme résolue
A ne supporter plus que ce qui la dépasse -
Et va se perdre au fond du ciel de haute race
D'un Dieu perdu parmi son Éternité nue !
Je respire en ton sein, vivante éternité ;
Rien ne perdure en moi que l'immortelle essence
De ce flot pour toujours en l'air de pureté
Qui remplit mon esprit de cette connaissance
Dont le vent lumineux dans l'âme recommence
A bercer de savoir profond mon existence, -
Comme de la splendeur du mouvement immense
Que les grands arbres font dans l'orbe de l'été !
Les rayons glacés qui tombaient du ciel
Purifiaient l'air d'une ivresse étrange ;
Les blés verdissaient partout sans mélange
Pour un devenir d'être essentiel ;
Et les jours allaient, calmes, quand tout change,
D'un rythme, il semblait, presque fraternel, -
Comme si, lavé de la moindre fange,
Et sans que nul mal plus ne le dérange,
Le temps devenait lui-même éternel !
L'éternité m'absorbe, en ce désert du monde,
Où je marche toujours, muet, vers l'inconnu.
L'orage des désirs et de l'espace gronde
Jusqu'au coeur adoré d'un Paradis Perdu .
Ah ! que survienne en moi cette lumière blonde,
Et que le plus grand ciel des jours me soit rendu, -
Où je m'en irai boire, au sein d'une eau profonde,
A cette Coupe d'Or où je n'ai jamais bu !
Tombe sur moi, beauté magistrale du ciel !
Parfum de certitude au coeur de la cité !
Passe sur moi, terrible souffle essentiel
De ce qui ne meurt pas d'avoir toujours été !
Règne sur moi, hors du désir démentiel,
Soleil de gloire immarcescible, Vérité !
"SI TU POSAIS LE SEUL REGARD
QU'IL TE FAILLE JAMAIS POSER
SUR TA SEULE ÂME, A LA BRISER,
TU VERRAIS EN TOI QUELLE PART,
SANS QU'IL N'Y RENTRE NUL HASARD,
J'AI, DE L'Y METTRE TOUTE, OSÉ !"
-